• Pulp magazines, berceau du roman noir

    Pulp magazines, berceau du roman noir

    Sur les kiosques à journaux les Pulps se faisaient une vive concurrence

    Les pulp magazines son un outil d’émancipation culturelle à plusieurs niveaux, d’abord parce qu’ils accompagnent la montée de l’éducation des classes les plus basses, ils ne s’adressent pas au bourgeois qui les dédaignent et les suppose pauvre de contenu. C’est donc un outil de démocratisation des savoirs. Ensuite, ils vont permettre à toute une littérature populaire de s’entraîner et de développer une technique d’écriture, moderne, plus adaptée à l’évolution des mœurs de la masse. Ce faisant, ils vont aborder des sujets difficilement traités dans la littérature bourgeoise, la violence, les rapports sexuels, les perversions, etc. tout ce qui fait qu’un être humain est un être humain. C’est l’âge adulte de la littérature. Cela est évidemment vrai pour les pulp magazines qui prennent le crime pour sujet, mais c’est également le cas pour ceux qui s’intéressent à la sexualité et à ce qui était officiellement considéré comme des déviances. C’est bien dans les pulp magazines que très tôt aux Etats-Unis on parlera d’homosexualité et d’adultère, de lesbianisme et autre. Pour aborder ces sujets « adultes », le langage et le style doivent être nouveaux. On va se servir du langage de la rue, mais aussi d’un style elliptique, justement parce que les histoires doivent être denses, mais tenir dans un nombre de pages restreint. Encore que très souvent ces short-stories puissent atteindre cinquante ou soixante pages. On se demande souvent comment ces Pulp Magazines qui connaissaient des tirages élevés, culminant jusqu’à 600 000 exemplaires, ont pu péricliter. Une des raisons est que l’évolution économique et éducative a entraîner les lecteurs vers des histoires plus longues, c’est une règle de la plupart des loisirs : avec le temps qui passe, les films sont plus longs, les romans sont plus épais, qu’ils soient très sophistiqués ou non, c’est comme s’il fallait retenir le client captif dans son travail pour qu’il échappe à la concurrence extérieure. Les pulp magazines n’étaient pas tous dévolus au crime, les autres domaines où ils étaient actifs, sont la romance (love pulp), l’équivalent de nos Harlequin, et le western. Mais ils donnaient aussi dans le magazine « cochon » comme Hollywood Nights, Spicy ou Pep Stories. Seuls sont restés dans les mémoires les pulp criminels et les westerns. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir

    Les pulp magazines dévolus au crime et à la détection, apparaissent en 1915, avec Detective Story Magazine, et ils vont proliférer jusque vers la fin des années cinquante[1]. Ils sont très nombreux et nous ne parlerons ici que de quelques uns. Ils correspondent en quelque sorte à l’âge d’or de la culture américaine, ou disons à l’apogée de son modèle. Le public recherché est principalement celui qui peuple les grandes villes.  L’idée est de travailler sur un marché très large et de vendre cess magazines à des prix très bas. C’est donc l’avènement d’une culture de masse, consciemment développée. Une des particularité de ces productions, est qu’elles sont produites par des auteurs qui sont de basse extraction, qui ne viennent pas de la bourgeoisie. C’est pour cela sans doute qu’ils trouveront naturellement le style adéquat au public visé. Detective Story Magazine est dans l’esprit de ses créateurs destiné à remplacer les livres bon marché que Street & Smith publiait jusqu’alors, ils étaient spécialisés dans Nick Carter. Il aura 1057 numéros, avant que le titre ne disparaisse – pas complètement toutefois puisqu’il resurgira plusieurs fois avec très peu de succès. Au départ le contenu est très démarqué des romans anglais, Conan Doyle ou Aghata Christie. Mais au fil des années il s’encanaillera, descendant, comme le disait Raymond Chandler, dans le ruisseau au lieu de rester dans les beaux quartiers à disserter sur la neurasthénie criminelle des aristocraties et des bourgeois. on y trouvera du Sax Rhomer, du Edgar Wallace, mais aussi des textes de Carroll John Daly, qu’on peut considérer comme le premier auteur « noir » et qui précédera de peu Dashiell Hammett chez Black Mask. Detective Story Magazine publie des short stories, mais aussi des feuilletons, ce qui permet de fidéliser le public. Le succès de cette publication est tel que de nombreuses histoires qu’elle publie serviront de support à des émissions radiophoniques dans les années trente. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir

    Black Mask fut lancé en avril 1920, initialement pour renflouer un éditeur endetté. H L Mencken qui éditait à perte un magazine littéraire huppé The Smart Set. Les premiers numéros du Black Mask étaient plutôt généralistes, même s’il visaient un public populaire. C’est seulement quand les premiers éditeurs, une fois leur bénéfice pris, revendirent le titre que celui-ci devint le Black Mak tel qu’on le connait, c’est-à-dire la revue prestigieuse qui publia Carroll John Daly  qui inventera pour Black Mak le détective Race Williams, puis Dashiell Hammett qui utilisera ses souvenirs pour créer l’Op, et enfin Raymond Chandler qui mettra en scène les premiers exploits de Philip Marlowe, William Irish, Erle Stanley Gardner. Ce magazine qui était bi-mensuel jusqu’en 1926 devint ensuite mensuel et a production s’étendit  jusqu’en 1951, soit plus de trente années. Il y a plusieurs ruptures d’avec les précédentes revues qui publiaient des histoires de détective ou policières. La première est que les textes étaient illustrés, et pas seulement la couverture. Ce qui voulaient dire que les éditeurs ne cherchaient pas à se donner des airs prétentieux, ce qui n’empêchait pas son directeur, Joseph Shaw, de viser la qualité littéraire, ce qui conduisit à l’adoption de ce style si particulier fait d’un certain détachement, et d’une grande économie. Style qu’on identifie à tort au seul Dashiell Hammett, mais qui se diffusa à toute la revue Le second point est mieux connu, c’est le développement du récit hard boiled qui justement éloigne le récit de détection des décors de la bourgeoisie et le plonge dans le ruisseau, décrivant cette Amérique morose de l’entre-deux-guerres, de l’entre-deux-crises, ouvrant la voie à une critique approfondie de la société capitaliste, vindicative et inégalitaire. Le succès est là. Dashiell Hammett sera un des premiers auteurs de short stories et de feuilletons à passer au roman dans une prestigieuse maison d’édition, Alfred Knopf, avec Red Harvest, en 1929. Et très rapidement le cinéma va suivre. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir

    Cette littérature de gare, comme aurait dit Frédéric Dard qui fut aussi un immense auteur de nouvelles, obtint un franc succès mais surtout contamina la littérature blanche dans le monde entier à partir du moment où ces écrivains passèrent à la publication de romans. Gallimard publia dès 1932 La moisson rouge, puis Le facteur sonne toujours deux fois en 1934. Albert Camus avouait que son style dans l’écriture de L’étranger devait beaucoup au roman noir américain. Peu à peu on reconnut la qualité littéraire de ces auteurs, même si cette qualité était trop souvent confondue avec un simple naturalisme qui permettait de plonger son regard dans un monde violent et corrompu, trop peu connu des personnes bien éduquées. Bien entendu, les auteurs possédaient des styles très différents, Raymond Chandler était bien plus sentimental et émotif que Dashiell Hammett, et Horace McCoy développait une critique acerbe violente de l’Amérique. Contrairement aux réflexions abusives de Jean-Patrick Manchette, les auteurs du Black Mak, et consécutivement du roman noir américain, ne se réduisait pas au « béhaviorisme », il y avait aussi beaucoup de psychologie même chez Hammett. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir

    Le premier texte publié par Raymond Chandler dan Black Mask 

    Ce qui est remarquable dans l’ensemble de ces premières revues – par la suite viendront Ellerry Queen Mystery Magazine, Alfred Hitchcock Mystery Magazine, mais la logique éditoriale sera bien différente – c’est la manière de présenter les textes. D’abord en les enrobant d’une couverture illustrée qux couleurs vives, parfois criardes, où le sensationnel domine. Ces couvertures très soignées présentaient souvent des femmes aux postures suggestives comme on dit, elles amenèrent d’ailleurs Manhunt devant les tribunaux. En effet pour améliorer les ventes, la revue avait décidé d’agrandir son format, ce qui permettait d’occuper un espace plus important dans les kiosques à journaux, mais c’est ce qui permettait aux puritains de repérer plus rapidement les publications subversives ! Dans les années cinquante, il y avait un durcissement de la censure aux Etats-Unis comme en France qui accompagnait la lutte contre le communisme ! Le procès dura pratiquement dix ans et se termina par la déconfiture de l’éditeur de Manhunt. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir

    Les auteurs du Black Mask, le 11 janvier 1936 

    Thrilling detective par contre s’efforçait seulement de surfer sur la vague des pulps. C’était seulement un des titres qui changeait constamment à partir de Thrilling Mystery. L’ensemble a eu 88 numéros entre 1935 et 1951. C’était une publication saturée de publicités, alimentée par des auteurs obscurs, dont la plupart écrivaient sous pseudonymes. C’était un mauvais décalque de Black Mask, y compris en ce qui concernait les dessins de couverture. Elle ne semble guère avoir eu de principes éditoriaux remarquables ni d’ambition littéraire, en dehors de réduire les coûts. Mais peu importe cette dérive mercantile, les Pulps dévolus au « noir » faisaient leur chemin et produisait ausi une littérature de qualité qui, au fil du temps, allait être reconnue pour elle-même. C’est seulement vers la fin des années soixante qu’eut lieu cette réhabilitation de la littérature populaire, d’abord aux Etats-Unis, puis ensuite en France. La raison en était que les classes populaires accédaient à l’université et pouvaient maintenant peser sur l’appareil critique. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir 

    Manhunt est beaucoup moins connu que Black Mask, c’est pourtant la revue la plus prestigieuse, après elle. Elle aura cent treize numéros entre 1953 et 1967. A cette époque le roman noir a acquis droit de citer, et elle va publier des auteurs prestigieux, comme James M. Cain, Kenneth Millar, David Goodis, William Irish, William R. Burnett. En dehors du vétéran James M. CaIn, ces auteurs représentaient une nouvelle génération, plus âpre et peut-être plus désespérée. Cette revue de qualité se voulait être l’héritière de Black Mask. Mais l’époque avait changé et de nombreux écrivains de romans noirs gagnaient très bien leur vie, protégés par des agents littéraires astucieux et pugnaces. Pour attirer les écrivains déjà connus, Manhunt offrait jusqu’à 5 000 $ pour une nouvelle de 5 000 mots. Le magazine était dirigé par l’ambitieux Archer Saint-John, et il est très possible que ce soit celui-ci qui ait inspiré le nom du fameux détective Lew Archer créé par Ross McDonald, qui publiait dans Manhunt sous son véritable nom de Kenneth Millar. Cette revue qui voyait progressivement son tirage s’éroder, sans doute parce que la télévision était devenue pour les classes populaires un loisir concurrent de la lecture et du cinéma, fut achevée par toute une série de procès qui non seulement visaient les illustrations de la couverture, mais également le texte de certaines nouvelles. On trouve une anthologie des meilleures histoires de Manhunt publiée en quatre volumes chez Stark Press House. 

    Pulp magazines, berceau du roman noir 

    De toutes les manières, les Pulps étaient faits pour capter l’attention, que ce soit par des histoires courtes, ou par des sérials. C’était un exercice recherché par les grands auteurs du XIXème siècle, de Guy de Maupassant à Théophile Gautier. On peut regretter que la nouvelle aujourd’hui n’ait plus pignon sur rue. C’est pourtant un excellent exercice pour l’auteur dans l’approfondissement de son style, mais aussi un motif d’étonnement renouvelé pour le lecteur. En effet, la concision, l’ellipse, oblige à créer l’inattendu sans préparation. Mais évidemment ce sens de la formule et la concision de l’écriture était aussi soutenus par des thèmes ronflants qui faisait sortir la littérature des chemins un peu trop balisés. 

    Références 

    Mike Ashley's , « The Golden Age of Pulp Fiction », Rare Book Review 32:4, (May 2005).

    E.R. Hagemann, « The Black Mask: a History of Black Mask Magazine », Mystery (January 1981, Vol. 2, No. 1)

    Jean-Jacques Schleret, « Manhunt, "la revue de la seconde génération" »Europe, vol. 62, n° 664 (Aug 1, 1984)

    Jeff Vorzimer, « The Tortured History of Manhunt », introduction à l’anthologie The Best of Manhunt, Stark House Press, 2019.


    [1] On trouve de nombreux numéros en entier sur Internet.

    « The purple gang, Frank McDonald, 1959Les filles de Grenoble, Joel Lemoigné, 1981 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :