• The purple gang, Frank McDonald, 1959

     The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Encore un film sur les gangsters et la prohibition me direz vous. Ce n’est pas tout à fait vrai. Nous sommes en 1959, et conséquemment au rapport Kefauver et à sa large diffusion télévisuelle, on a pris connaissance des agissements de la mafia, bien que ceux-ci soient nié par ce grand bandit de J. Edgar Hoover. Mais le film croise cette analyse des conséquences de la prohibition sur le crime organisé, avec deux autres thèmes. Le premier est celui des gangs de jeunes, on a vu ça dans le cinéma des années trente avec Angels with Dirty Faces, où les Dead End Kids, emmenés par Billy Hallop étaient présentés comme les acteurs principaux du films, ce groupe de très jeunes acteurs tournera dans huit films, avant de se dissoudre, toujours sur le même modèle, les jeunes adolescents lorsqu’ils sont mal entourés finissent par sombrer dans la délinquance. Mais nous sommes maintenant en 1959, la Grande Dépression est passée, la prospérité américaine est revenu, et les adolescents paraissent trop turbulents. Donc on va se saisir du sujet de la prohibition dans les années vingt pour produire une réflexion sur la violence des jeunes. La fin des années cinquante sont probablement ce qu’il y a de plus réactionnaire en matière de production de film de l’histoire de l’Amérique. Renversement de la vapeur, on va présenter la nécessité d’être dur avec les jeunes délinquants, afin de les empêcher de devenir des criminels endurcis. Le scénario est dû à Jack DeWitt un scénariste qui a navigué du côté des studios de seconde catégorie, et la télévision, mais qui connu la renommée tardivement avec la série de westerns « révisionnistes » A Man Called Horse. Il avait aussi tâté du film noir, avec Portland Exposé en 1957 et il y reviendra en 1974 avec Together Brothers, un film étrange où les personnages principaux sont des noirs, mais où le thème est celui de la mafia qui cherche à éliminer un témoin gênant – il a cinq ans – qui a assisté à l’assassinat d’un policier, noir. Franck McDonald, Jack DeWitt et même Barry Sullivan ont fait la plus grosse partie de leur carrière dans les studios de seconde catégorie et à la télévision, balayant presque tous les genres et sous-genres du cinéma hollywoodien. Allied Artists même si de temps à autre produisait des films à gros budget, c’était surtout des production de série B, l’héritière de Monogram. Mais tout ça ne préjuge pas évidemment la qualité d’un film, on le sait depuis longtemps maintenant, il y a des films de série A très oubliables, des daubes innommables et des chefs-d’œuvre dans la série B, surtout dans le film noir. 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959 

    Le représentant de la Californie au Congrès, James Roosevelt alerte sur la délinquance juvénile 

    A partir des années cinquante, le travail de la censure de l’HUAC ayant porté ses fruits, le film noir va passer d’un mode compatissant à l’égard des délinquants, le système est globalement responsable, à la nécessité de sévir durement. Le policier devient alors le héros qui essentiellement remet la société sur les bons rails de la paix civile et de la prospérité, il est symptomatique de voir que ce film est introduit par un discours lénifiant de James Roosevelt, le représentant de la Californie, mais aussi le propre fils de Franklin D. Roosevelt, le promoteur d’une réforme en profondeur qui se donnait comme priorité de lutter contre les inégalités. C’est comme si ces films pro-flics enterraient le New Deal. Ce basculement ira jusqu’aux films anti-rouges comme I was communist for the FBI[1] ou The Woman on the Pier 13[2]. Tout cela n’empêche pas que de reprendre la thématique des jeunes délinquants soit aussi un avertissement pour la population américaine des années cinquante, même si l’action se passe dans les années vingt. Inspiré de faits réels, le Purple Gang a vraiment existé, l’histoire est censée se passer à Detroit. 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959 

    La police reçoit des appels au secours des commerçant qui ont été malmenés par le Purple gang 

    Le lieutenant Harley est appelé par un couple de commerçants un peu âgés qui se sont fait agresser par des membres probables du Purple Gang. Mais Harley qui est un flic de terrain sait aussi que ce couple à un fils, William Honeyboy Willard, qu’il soupçonne fortement de faire partie de ce gang. Il va l’interroger, mais celui-ci le moque en se faisant passer pour un étudiant. Harley arrive tout de même à rafler une grande partie du gang qu’il veut poursuivre, mais Joan MacNamara, une jeune assistante sociale s’oppose à lui, au prétexte que ces jeunes sont mineurs. Elle va donc les faire libérer au prétexte qu’il faut les aider, alors qu’Harley pense que si on est trop compatissant avec eux, ils deviendront tout simplement de redoutables criminels. Harley est dégoûté et préfère encore travailler aux homicides. Pendant ce temps, Honey Boy fait des rêves de grandeurs et commence à structurer un vrai gang, pensant que la violence l’imposera, il va s’attaquer rapidement aux frères Olsen, des traficquants d’alcool qui, plutôt que de rentrer en guerre avec eux, préféreront les payer pour assurer leur protection. Mais le Purple Gang va se durcir, d’abord ils violent et assassinent la pauvre Joan MacNamara. Puis ils assassinent un flic véreux qui les renseignait. Alors qu’Harley devait prendre sa retraite pour travailler comme adjoint du shérif à la campagne, sa femme étant fatigue de la ville et de surcroit enceinte, ces meurtres vont l’empêcher de quitter son poste à la demande de son chef. 

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    Le lieutenant Harley s’accroche avec une assistante sociale qui défend les adolescents délinquants 

    Il va donc harceler le gang, mais celui-ci va se venger en s’en prenant à sa femme qui va perdre son enfant et la vie. Harley a un désir de vengeance, mais une bonne sœur à l’hôpital lui explique qu’il doit s’en garder, et qu’il doit continuer son travail dans le respect du droit. Pendant ce temps le Purple Gang grandit encore, dans un premier temps ils vont évincer les frères Olsen, qui, fortune faite, préfèrent prendre une retraite bien méritée ailleurs ! Puis dans un second temps, ils vont affronter la mafia italienne qui tente de s’implanter dans Detroit. Ça flingue un peu de tous les côtés. Un soir Daisy, une mythomane qui passe son temps au commissariat pour dénoncer tout et n’importe quoi, est témoin d’un crime commis par les Purple Gang. Elle tente de se rendre au commissariat, suivie par le gang. Mais les policiers se moquent d’elle et la renvoie. Les Purple Gang l’écrasent avec une voiture contre une palissade. De son côté Harley va retourner Henry le meilleur ami de Honeyboy Willard.mais Willard le comprend et coule son ami dans le béton. Alors que la mafia italienne commence à construire un réseau de vente de drogue chez les fleuristes, Harley va pouvoir piéger en même temps les Purple Gang et la mafia. Cette dernière en effet se fait détruite lors d’un rendez-vous, mais la police a cerné l’immeuble et va capturer enfin Willard. 

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    Le Purple gang s’attaque aux chargements des frères Olsen 

    Comme on le voit l’histoire est très dense. D’un côté nous avons un flic fatigué de l’inertie administrative et qui lutte comme il peut contre la corruption, et de l’autre l’histoire de Honeyboy Willard sur le mode ascension et chute d’un caïd, en prise avec la concurrence. Même si officiellement Harley triomphe, cette victoire est amère, en effet, il a perdu sa femme et son enfant à naître pour avoir été trop dévoué à la défense de la communauté. De manière symétrique, la pauvre Joan MacNamara qui a défendu les jeunes délinquants est elle aussi victime de sa lecture de la réalité. Et donc il y a une première surprise en voyant ce film qui montre que ce combat est perdu d’avance et qu’en outre dans les deux cas il est mené d’un point de vue idéologique, au lieu de rester sur le simple point de vue de la naïveté de la jeune assistante sociale, on renvoie celle-ci à l’aveuglement d’Harley. A la fin le film se conclut par une voix-off qui nous dit que cette lutte contre la mafia n’aura jamais de fin ! Il serait donc erroné de ne voir dans ce film qu’une apologie de de la perspicacité masculine contre la sentimentalité de la femme qui reprendrait simplement de rôle de la maman avec des enfants un peu turbulents.  C’est un peu la fonction du film noir de toujours aménager une dose d’ambiguïté dans les comportements des personnages. 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    L’assistante sociale va se faire violer et tuer par les délinquants qu’elle avait défendus 

    Par la suite nous avons une série de portraits qui sont comme des idéal-types de l’Amérique, les commerçants frileux, les policiers plus ou moins intègres, les gangsters qui sont plus ou moins malins, les frères Olsen ayant réalisé, grâce à la prohibition l’accumulation primitive du capital, se retire, probablement pour se ranger des voitures et investir leur argent illégalement gagné dans des affaires respectables. On n’insiste pas trop sur le caractère un peu ridicule de la loi sur la prohibition de l’alcool. De même on n’aura pas trop de détails sur la corruption de la police, sujet à peine évoqué. La femme d’Harley est très compréhensive, même si elle est déçu de l’indétermination de son mari, elle prend son mal en patience, et c’est d’ailleurs de cela qu’elle mourra. Honeyboy Willard est le moins monolithique des personnages de cette histoire. Certes il se croit malin, c’est un intellectuel qui se donne des leçons de cruauté à lui-même pour se prouver qu’il est plus dur que les autres. Il sacrifiera son ami d’enfance, apparemment sans remords, seulement il a un point faible, il est peureux ! Dès qu’on l’enferme, il perd les pédales et il a peur, il panique. C’est déjà comme ça que George R. Kelly était présenté dans l’excellent film de Roger Corman, Machine Gun Kelly, en 1954, avec une insistance tout aussi marquée pour identifier le sexe et l’arme. 

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    Honeyboy Willard assassine un flic corrompu 

    Il y a des personnages qui disparaissent sans qu’on comprenne trop leur fonction dans l’intrigue, c’est le cas des parents de Willard qui refusent de se poser des questions sur les pseudo-études de leur rejeton. Le personnage d’Henry est plus intéressant, tant il relie Willard à l’humanité et à l’enfance, leur relation d’amitié semble avoir inspiré Sergio Leone pour les personnages de David Aaronson et de David Bailey dans C’era una volta in America,  du reste l’acteur qui incarne Henry ressemble un peu à James Wood.

     

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Harley apprend à sa femme qu’il ne démissionnera pas de la police 

    L’ensemble est filmé pour un écran large, 1.85 : 1, ce qui donne une touche de modernité par rapport au cycle classique du film noir. Les mouvements de caméra sont plutôt économes. Et les gros plans sont limités au minimum, et les scènes d’action sont rapidement exécutées. Curieusement les scènes de cruautés sont toutes tournées avec sobriété et sans ajouter cette touche de voyeurisme qui était déjà pourtant la marque des films de mafia de cette époque. Même le viol de la pauvre Joan MacNamara est escamoté.  

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Les hommes de Willard ont flingué ceux de la mafia de Capone 

    La réalisation manque manifestement de moyens, c’est du studio cheap. Ce qui entraîne des éclairages destinés à masquer la pauvreté des décors, ça tombe bien parce que l’histoire se passe la plupart du temps la nuit. La conduite du récit se fait à la manière d’une sorte de documentaire, c’est appuyé par la présentation de James Roosevelt, puis par un commentaire qui explique ce qui se passe à l’écran. C’est une manière de prouver que l’histoire est vraie. En vérité, le Purple Gang de l’écran n’a aucun rapport avec les vrais Purple Gang. Les films noirs de série B sont coutumiers de cette manière, non seulement parce qu’elle permet dire que l’histoire est exacte, mais aussi parce que cela fait gagner du temps d’ans l’exposition de l’intrigue. Cette voix off est un peu envahissante et se réalise au détriment de la profondeur des personnages. Si les tacots sont bien d’époque, les costumes non, ils sont vraiment de la fin des années cinquante. La photo est bonne, et le rythme est plutôt soutenu, grâce à un montage très resserré.

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Willard ne supporte pas d’être enfermé 

    La distribution est, malgré un budget étriqué, intéressante. Barry Sullivan, acteur monolithique s’il en est, incarne très bien le lieutenant Harley, ce flic vieillissant, grognon et rancunier que l’idée de vengeance va ronger de l’intérieur. Dans ce rôle, il avait beaucoup vieilli. Robert Blake, habitué à ces rôles de voyous crasseux – voir  In Cold Blood ou tout de même il était mieux cadré par Richard Brooks[3]en fit ici des tonnes dans le rôle de Honeyboy Willard, mais il a toujours été un grand cabotin. Plus fin est Marc Cassel qui incarne son alter ego, Henry l’ami d’enfance qui suit Willard dans ses exactions, sans trop toutefois. Evidemment les rôles féminins ne sont pas très épais, mais ils sont assez bien tenus, notamment par Elaine Edwards qui est la femme d’Harley, et par Jody Lawrance qui incarne la naïve Joan MacNamara. 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959 

    Le gang s’en prend à la femme d’Harley 

    Si ce n’est pas un très grand film, c’est tout de même une bobine de bonne tenue qui mérite le détour. Ça dure a peine un peu plus d’une heure vingt, c’est dense et enlevé. N’existe pas d’édition en DVD de ce film. c’est à peine si on en trouve une version en VOD, et encore de mauvaise qualité et sans sous-titres. Il le mériterait pourtant. Comparativement à tous les westerns médiocres que Frank McDonald a réalisés, c’est sans doute là son meilleur film.

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    La sœur explique à Harley que la vengeance, ce n’est pas bien ! 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Les hommes de Willard veulent la peau de Daisy qui a été témoin d’un meurtre

      The purple gang, Frank McDonald, 1959

    Willard va couler son meilleur ami dans le béton 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959 

    La police cerne l’immeuble où se trouve Willard

     Disons pour terminer un mot tout de même du vrai Purple Gang, celui-ci était fait presqu’exclusivement de jeunes juifs d’origine russe. En vérité comme le Michigan avait été prohibitionniste bien avant le Volstead Act qui ne rentrera en vigueur qu’en 1920, ils avaient pris de l’avance dans le contrôle de la contrebande d’alcool entre le Canada et les Etats-Unis. La seule chose bien réelle qui a été reprise est le règlement de compte aux appartements Milaflores, quand des gangsters de Miami qui voulaient prendre pied à Detroit, avaient été conviés à une conférence de paix. Par contre le personnage de Fred Killer Burke a réellement existé et tenu le rôle qui est le sien dans le film. il fut plus tard soupçonné d’être un des principaux tueurs du massacre de la Saint-Valentin à Chicago. La puissance réelle du gang était sans doute encore plus forte que ce que décrit le film puisqu’ils contrôlaient non seulement 70% de l’alcool de contrebande qui venait du Canada, mais aussi la prostitution, le racket et les paris clandestins. Les leaders de ce gang étaient les trois frères Bernstein. 

    The purple gang, Frank McDonald, 1959 

    Le vrai Purple Gang 


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/i-was-a-communist-for-the-fbi-gordon-douglas-1951-a114844636

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/the-woman-on-the-pier-13-i-married-a-communist-robert-stevenson-1949-a114844642

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/de-sang-froid-in-cold-blood-richard-brooks-1967-a130312254

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