•  

    les bouchées doubles - chase

    N’ayant guère de bons souvenirs avec Chase, j’essaie périodiquement d’y retourner voir ce que les amateurs – et ils sont encore nombreux – peuvent y trouver. Je me dis qu’un tel succès a peut-être des raisons quoique je sois persuadé depuis longtemps que les succès de librairie ne sont pas forcément un gage de qualité. Le fait est encore plus juste aujourd’hui avec la prolifération d’une littérature commerciale qui encombre les rayons du polar façon thriller horrifique. Je ne citerais pas de noms.

    Les bouchées doubles est l’archétype du roman noir de James Hadley Chase. Le type même attaqué par Narcejac dans La fin d’un bluff. C’est l’histoire de Dillon, un criminel un rien psychopathe, surgi de nulle part. Sans passé, ni présent, ni même futur, il décide de mettre la petite ville où il atterrit en coupe réglée. C’est la seule chose qui l’intéresse vraiment. L’argent, les gonzesses, ce n’est pas tellement son truc. L’ouvrage est un des tous premiers Chase, écrit probablement en 1939, il fut traduit en français qu’en 1950.

    La chute et l’ascension de ce caïd  de province est surtout décrite avec un maximum de violence, les cadavres s’empilent au fil des pages. Ni la vraisemblance factuelle, ni la psychologie n’intéresse Chase, ne reste que l’action et encore, celle-ci est très décousue. L’ouvrage part dans tous les sens. D’un côté l’attitude de Roxy et Dillon face à Chrissie rappelle Pas d’orchidées pour miss Blandish, de l’autre la sage de Dillon et Myra renvoie à Bonnie and Clyde. On ne sait pas à quelle époque cela se passe. Dans les années de la prohibition ? Les années cinquante ?

    Les lieux sont à peine décrits, , les combines des voyous aussi et pour cause Chase parle d’une Amérique qu’il ne connait qu’à travers les journaux. Cet approche du polar de série a vécu, il est impossible aujourd’hui de rester aussi loin de la réalité, fusse-t-elle réinventée. La seule chose sur laquelle Chase s’appesantît, c’est la violence des voyous et des flics qui n’ont pas l’air de valoir grand-chose non plus. L’absence d’intrigue gêne aussi considérablement.

    Ce n’est plus un roman behavioriste comme dirait Manchette, mais un simple roman d’action, sans âme et sans signification. Les thèmes abordés par Chase ont été nombreux, sa palette est très large, allant du roman d’espionnage à celui de criminel en série. Certains voient derrière la signature de Chase la plume de Graham Greene. Leurs arguments se défendent bien selon moi, mais il n’empêche que c’est très difficile de lire encore Chase aujourd’hui, tellement cela semble bâclé et dénué du moindre humour.

    Pour beaucoup Chase est le prototype de l’écrivain de roman noir commercial. Mais le moins qu’on puisse dire est que l’opinion des amateurs est très partagée sur ses qualités. Les plus critiques considèrent qu’il n’est qu’un fabricant sans style, pour d’autres au contraire, même si son œuvre abondante n’est pas toujours de qualité égale, ils le rangent parmi les plus grands, à la hauteur de Chandler ou d’Hammett. A quelques rares exceptions près, je suis plutôt de l’avis des premiers. La raison en est probablement qu’il ne travaille pas beaucoup ses intrigues, se contentant d’aligner les scènes d’action. Ce désordre fait que les nombreuses incohérences du récit lassent le lecteur. Par exemple, dans Les bouchées doubles, Dillon ne se décide pas à sauter Myra, alors qu’elle n’en peut plus de l’attendre, mais après il s’en désintéresse et sans plus de raison s’en va la tromper avec la gonzesse de son associé. Si on compare Les bouchées doubles à Je suis un truand, autre ouvrage phare publié de manière anonyme à la série noire, on mesure l’écart qu’il restait à combler à Chase pour être un vrai auteur de romans noirs.

     

     J H CHASE

    Tous les personnages qu’on rencontre dans ce livre sont mauvais, ils n’ont rien de bon en eux. Méchants, magouilleurs, sournois, il n’y a rien pour les sauver. C’est un peu le principe de certains romans noirs, mais il manque ici une compréhension de cette déliquescence. Quelque chose qui nous ferait les reconnaître comme des êtres humains, quelque part nos frères.

    Chase s’est fait connaître à cause de ses emprunts et plagiats. Plusieurs fois condamné pour avoir pompé James Cain ou Chandler. Dans Les bouchées doubles, il y a du Steinbeck, version Des souris et des hommes. S’il retient la brutalité de ces auteurs, il n’en a pas la subtilité.

    Thomas Narcejac, La fin d’un bluff, Le Portulan, 1949.

    Thierry Cazon et Julien Dupré, L’étrange cas du docteur Greene et de Mr Chase, Les polarophiles tranquilles, 2011. N’y mettez pas votre nez, à l’origine signé Raymond Marshall, est le modèle troublant du Troisième homme signé Greene. Mais il y a bien d’autres signes de cette étrange proximité.

     

    Partager via Gmail

    votre commentaire

  • Claude aveline

    Les romans de Claude Aveline sont considérés aujourd’hui comme des classiques du roman policier. Mais s’il est bien moins souvent cité comme un des maîtres du genre, comme Simenon par exemple, c’est qu’il n’a pas beaucoup publié de grandes quantités d’ouvrages et que dans son œuvre les romans policiers ne sont pas très nombreux, il préférait suivre son bon plaisir, produire de la littérature pour la jeunesse, des essais ou des romans sur des sujets plus traditionnels. Pourtant son œuvre dans le domaine du roman policier en fait un des spécialistes incontournables du genre, voire un novateur : c’est-à-dire qu’il est un point de passage obligé pour qui veut connaître le roman policier dans sa genèse et son développement. Sa suite policière comportera cinq romans, elle est construite autour de Frédéric Belot. Elle commence du reste par la mort de celui-ci, avant qu’Aveline ne remonte le temps et n’écrive d’autres aventures de Belot. A cette suite il faut ajouter Le prisonnier qui est moins un roman policier qu’un roman noir. Mais au-delà de son aspect novateur pour l’époque on prend bien évidemment un grand plaisir à le lire.

    Claude aveline 2

    La double mort de Frédéric Belot est publié en 1932. Il paraît au moment du boom du roman policier, il est quasi contemporain des premiers Maigret. Il est intéressant aussi bien par le fond que par la forme. Ses rééditions successives sont souvent accompagnées des notes de Claude Aveline lui-même sur le roman policier. Sa défense du genre rappelle assez celles que proposera ensuite Narcejac. Frédéric Belot est un brillant policier qui est retrouvé mort chez lui, mais en compagnie d’un sosie qui est lui agonisant. Pendant un moment du reste on ne sait si l’agonisant est ou non Belot. A partir de là il y a un double mystère à élucider, d’un côté celui de savoir qui a commis le double meurtre et de l’autre celui de savoir qui est ce sosie. L’histoire est rapportée, d’après ce qu’on lit, par le filleul de Frédéric Belot qui est lui aussi policier. Au-delà de l’enquête policière, assez classique, il y a  une réflexion sur les identités. Belot devient Ferroux et Ferroux devient un peu Belot. Ce roman est une des sources d’inspiration du tandem Boileau-Narcejac, non seulement pour la dimension psychologique des personnages, mais aussi pour le style utilisé et pour les formes d’intrigues emboîtées les unes dans les autres. Le pari est évidemment de surprendre, c’est-à-dire de ne pas laisser la possibilité au lecteur de découvrir la solution du mystère. Si le cadre rappelle les romans de Simenon mettant en scène Maigret, l’histoire s’éloigne de cette manière psychologisante de mener l’enquête. La dimension psychologique n’apparaît dans le roman que dans les moments où il faut expliquer ce qui a mis en mouvement le criminel ou son complice.

    Le portrait du double de Belot, Ferroux, s’appuie sur un thème qui va devenir cher à Aveline. Le hasard a amené ce pauvre homme à prendre dans un premier temps la place du coupable. Manipulé par son supérieur indélicat, il est mis à l’index par la société qui le croit coupable de détournements de fonds. Sa vie est ruiné, il ne pourra retrouver un peu de dignité qu’en aidant Belot dans son travail de policier.

    Le style est étonnamment moderne, vif, rapide, l’ouvrage n’a pas le degré de confusion des Simenon contemporains. Sans être un roman d’action, c’est la lisibilité de l’intrigue qui est ici privilégiée.

    Dans sa Double note sur le roman policier, Claude Aveline rappelle aussi bien pourquoi le roman policier apparaît comme un phénomène de masse entre les deux guerres, que ses rapports avec l’avènement du freudisme. S’il défend le genre, il ne se fait pas d’illusion : il pense par exemple que si on conserve en mémoire La double mort de Frédéric Belot, c’est parce que le livre ne fut pas publié dans une collection dédiée au genre policier, mais chez Grasset, comme un ouvrage « normal ».

     

    Le prisonnier, paru en 1936, eut un retentissement énorme à la fois sur le roman policier et sur la littérature puisque cet ouvrage est une des sources d’inspiration de L’étranger de Camus. C’est une histoire très simple : un jeune employé de banque solitaire est victime d’un couple d’escrocs qui le manipulent et l’amènent à détourner des fonds. On suppose que cette idée lui est venue à cause de la multiplication des scandales financiers qui se multiplièrent au début des années trente.

    C’est un vrai roman noir, à la française. Bien entendu c’est le style qui va donner toute sa force à ce texte, car l’histoire semble avoir servi cent fois. Comment caractériser ce style qui nous parait aujourd’hui encore très moderne ? Il y a d’abord la forme. L’histoire est racontée à la première personne sous la forme d’une confession envoyée à un ami de lycée d’Alain Gallon. On pourrait rapprocher Le prisonnier du film de Carné, Le jour se lève qui fut tourné en 1939. En effet les deux hommes attendent à leur fenêtre la fin imminente de leur parcours. Cette forme qui fut ensuite très souvent utilisée, on pense à Lettre à mon juge, de Georges Simenon, ou à L’accident, de Frédéric Dard s’appuie sur une utilisation de l’imparfait qui donne à l’histoire un côté irréel. C’est aussi sur cette forme que s’appuiera Camus pour L’étranger, tout en le débarrassant un peu de sa forme confessionnelle. Mais cela ne suffirait pas à rendre le roman exceptionnel.

    L’autre aspect du texte est la façon dont il est découpé. D’emblée on est prévenu : cet homme va commettre un crime et cet homme va mourir. Il vient de purger sept années de prison et il désire se venger. Mais cet aspect policier, l’escroquerie, la préparation du meurtre, ne tient pas beaucoup de place dans le roman. Ce qui est plus important ce sont les raisons matérielles et psychologiques qui ont amené le « héros » dans une situation dont il ne peut sortir. Et c’est cela qui tient le lecteur en haleine, bien plus que l’aspect criminel. 

    Les raisons qui scellent le sort d’André Gallon sont de deux ordres : la forme particulière de sa famille : sa mère le déteste, et sa position de classe : venant d’un milieu très pauvre, il n’arrive pas à se faire accepter par ses condisciples de Jason de Sailly.

    La vie d’André Gallon est une suite de traumatismes qui l’a enfermé dans une solitude dont il ne peut sortir. Et quand il croit trouver l’amour qui lui permettrait enfin de vivre il ne trouve que le mensonge. Une grande partie du roman, peut-être les deux tiers, donne à voir ce qu’est la pauvreté, cette position d’infériorité qui se construit dans la fréquentation des classes supérieures, cette humiliation de se trouver en permanence confronté à des gens qui vous méprisent et tiennent votre destinée dans leurs mains. La mère d’André fait des ménages chez les riches qu’elle déteste, elle représente une forme de révolte, encourage son mari à faire grève, à aller au-delà de ses convictions politiques. Tout cet aspect, avec la description qu’il y a à joindre les deux bouts donne au roman un aspect « prolétarien » au sens qu’Henri Poulaille pouvait donner à ce terme. On voit où plonge les racines d’Aveline, dans le roman populaire à la française, Louis-Philippe, Poulaille ou Dabit. Il anticipe les romans de Jean Meckert, le ton du Prisonnier rappelle Les coups, mais aussi une partie de ce qu’on a nommé ensuite le néo-polar. C’est ici dans cette conscience de classe affirmée, Aveline sera proche des milieux communistes, que le roman noir trouve sa meilleure source. Des scènes très fortes scandent le récit, comme lorsque la mère perd sa place dans une maison riche et qu’elle affirme sa rage impuissante, son envie de subvertir l’ordre régnant.

    Mais ce n’est pas un roman engagé dans le sens où le message n’est jamais au premier plan (c’est probablement cela qui le distingue du néo-polar). C’est plutôt le récit des conséquences d’une société fondée sur la cupidité et le mensonge. 

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Rampart.jpg

    C’est l’histoire de la chute d’un flic du LAPD. En 1999 on est en plein scandale de la division Rampart, celle-là même qui a donné naissance à la série télévisée qui est devenue un chef d’œuvre du genre, The shield. Le policier Dave Brown, sûr de lui, de sa force, comme de sa malice n’est pas un flic particulièrement corrompu, mais il va être une victime collatérale du scandale Rampart. Le début du film montre son travail quotidien de policier. Il ne s’embarrasse pas tellement des règles, il peut être aussi violent, on le voit tabasser un dealer afin d’obtenir l’adresse de son fournisseur. Rien que de très banal. La violence policière n’est pas particulièrement montrée. Mais le tournant de sa destinée arrive sous la forme d’un accident de voiture en apparence anodin. Dave Brown se lance à la poursuite de l’homme qui lui a enfoncé sa voiture de fonction, le rattrape et le tabasse. Malheureusement pour lui il est filmé en pleine action. Le LADP qui est sur la sellette à cause des scandales Rodney King et Rampart, ne veut pas d’une nouvelle affaire et commence à entamer une procédure pour se débarrasser d’un individu encombrant. Amené à se défendre, il prend des avocats qui lui prennent ses maigres économies. Pour se refaire, il va participer au braquage d’une partie de poker, l’affaire tourne mal, il descend deux personnes qui ont participé au hold-up. Comme en même temps il est exclu de sa famille par ses femmes qui sont également deux sœurs, il ne s’en sort plus. Moment de rémission, il entame une nouvelle histoire avec une avocate. Mais tout va de travers. 

    Le scénario présente la particularité d’avoir été co-écrit par James Ellroy, ce n’est pas une garantie d’originalité. Le film est manifestement inspiré de The shield. On y retrouve les relations compliquées du flic solitaire et obstiné avec sa famille, et la chute de Dave Brown est tout à fait similaire à celle de Mackey. L’indic en fauteuil roulant est aussi directement tiré de The shield. Bien d’autres détails peuvent être relevés

    L’originalité se trouve plutôt dans la mise en scène et la direction d’acteurs. En effet, le film aurait facilement pu déraper vers une démonstration de violence louche, Overman évite ce piège et s’intéresse plus à l’évolution psychologique de Dave Brown. Cependant, il n’évite pas tous les pièges de ce type de film. Il y a des scènes scabreuses inutiles qui font penser à du Ferrara, notamment la complaisance avec laquelle est filmée la visite de Brown dans une sorte de supermarché du sexe.

    Les acteurs par contre sont tous très bons, Woody Harrelson en tête (il avait déjà joué dans le premier film d’Overman The messenger, film qui avait eu un bon succès critique). C’est un acteur à mon sens sous-estimé.  Robin Wright est aussi excellente dans le rôle de l’avocate. Sigourney Weaver qui ne tourne plus guère a un petit rôle et William Macey complète la distribution.

    Ce n’est pas un grand film, mais en dehors de L.A. Confidential, Ellroy n’a guère eu de résultats positifs dans le cinéma, que ce soit pour les adaptations de ses romans ou pour les scénarios qu’il a écrits directement. 

     

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    a-lady-whitout-passport.jpg 

    Consécutivement au succès public et critique de Gun Crazy, Joseph H Lewis tourne en 1950 un autre film noir un peu plus cossu, puisqu’il a cette fois une vedette de premier plan, Hedy Lamarr. Pour cette dernière, A lady without passport vient juste après le péplum de Cecil B. De Mille, Samson et Dalila. Mais John Hodiak a aussi à cette époque une bonne cote. On n’est plus tout à fait dans l’univers de la série B. et il est d’ailleurs probable que le tournage en extérieur aient gonflé le budget du film.

    Disons le tout de suite, ce n’est pas le meilleur film noir de Joseph H. Lewis. Pourtant le sujet n’est pas inintéressant : des flics de l’immigration essaient de démonter une filière clandestine à partir de Cuba. Le scénario insiste d’ailleurs sur cet attrait déraisonnable de l’Amérique sur de pauvres malheureux qui n’y voient que le côté doré. Le héros de ce film, incarné par John Hodiak, est lui-même un américain de fraiche date.  Il se fait passer pour un candidat au rêve américain afin d’infiltrer la filière. Mais rien ne se passe comme il le voudrait, non seulement le chef de ce gang, Palinov, le démasque facilement (il a oublié de planquer sa carte de flic !), mais en outre il tombe amoureux d’Hedy Lamarr, autre candidate à l’immigration qui erre de pays en pays depuis qu’elle a été libérée de Buchenwald. IL est cependant difficile de voir en cette superbe actrice une rescapée des camps de concentration.

     

     a-lady-whitout-passport-1.jpg

    Le déséquilibre du film provient d’un curieux mélange entre une enquête policière qui se voudrait réaliste – on y voit la coopération des différents services, et une sorte de romance un peu tirée par les cheveux. Le très raide John Hodiak a du mal à nous faire croire qu’il le prince charmant pour Hedy Lamarr. En gros les personnages manquent d’épaisseur, et l’histoire n’arrive pas à nous captiver vraimentCependant, il y a de très bonnes choses, tout le début est remarquablement bien filmé, le montage très serré donne une tension très forte à l’histoire. Il y a également une manière de filmer La Havane d’avant Castro qui est assez plaisante, quoiqu’un peu touristique cependant. L’image est dans l’ensemble très bonne et les scènes de bagarre parfaitement maitrisées, tournées sous des angles plutôt surprenant. La poursuite des immigrants dans les marais des Everglades rappelle bien évidemment la fin de Gun Crazy. 

    Les acteurs sont un peu pâles, Hedy Lamarr a l’air de s’ennuyer, et John Hodiak ne semble guère réveillé. Seul James Graig dans le rôle du méchant, lui aussi est amoureux de la belle Hedy Lamarr, est excellent.

    Joseph H. Lewis aura l’occasion de se rattraper de ce film très moyen avec le magnifique The big combo.

     

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    the-set-up-1.jpg

    Les films noirs ont souvent pris la boxe comme sujet, ou comme décor, et cela a donné souvent de très bons films, notamment Body and soul tourné en 1947 par Robert Rossen avec John Garfield et qui est un modèle du genre. John Huston s’y essaiera avec le trop méconnu Fat city, et Martin Scorsese revisitera le genre avec Raging Bull. Mais The set-up reste un petit peu à part. Une des raisons à cela est qu’il est tourné d’une façon presque documentaire en temps réel.

    L’histoire est très simple. Un boxeur sur le déclin voyage de petite ville en petite ville pour gagner sa croûte, accompagné de sa femme qui n’en peut plus de cette vie de misère. Stoker est sensé se coucher au 2ème round. Mais son manager ne le met pas au courant pour empocher un peu plus de pognon. Il doit boxer un jeune espoir, mais ce soir, il se révolte et n’accepte pas son statut d’éternel loser. A force de courage il revient dans le match et finit par l’emporter. Les truands ont perdu beaucoup d’argent dans cette affaire et vont se venger de lui en le rossant et en lui brisant la main.

    Ce n’est pas un film très glorieux. Ce n’est pas le parcours d’un champion, mais la fin d’un tocard qui cherche à garder un peu de dignité. Tout est minable dans ce film, que ce soit les boxeurs en fin de course ou encore ceux qui y débutent. Mais les petits truands locaux ne sont pas mieux. Gagne-petit à la semaine, son manager escroque Stoker de la part qu’il aurait dû avoir pour se coucher. C’est un hôtel de troisième ordre dans lequel Stoker loge. A l’origine Robert Wise aurait voulu renforcer cet aspect déprimant en faisant tenir le rôle de Stoker par un noir, mais le film aurait alors été bien plus difficile à monter, l’heure n’étant pas encore à ce genre de présentation. Le seul boxeur noir gagne d’ailleurs son combat : blancs et noirs sont logés dans la même misère du vestiaire dans une fraternité glauque.

    Il y a une grande science comme toujours avec Wise de la mise en scène. La façon hyperréaliste dont est filmé le combat  dans toute sa dureté a été longtemps soulignée, mais l’alternance des plans courts de la boxe s’oppose aussi aux longs plans séquences de l’errance de Julie dans la ville à travers les rues sordides de la cille.

    Inspiré d’un poème, le film est très bref, à peine plus d’une heure, il va à l’essentiel. On pourra peut-être lui reprocher un ton un peu démonstratif lorsqu’il s’agit d’insister sur l’excitation louche des spectateurs face à la cruauté des combats et la destruction des êtres humains qui se punissent de quelque pêché ancien en encaissant des coups d’une grande violence. Le casting est tout à fait à la hauteur du propos. Robert Ryan est déjà cet homme usé et amer qui trimbalera ensuite sa haute silhouette et son mutisme dans de nombreux autres films. Audrey Totter est Julie, une femme qui n’est plus de première jeunesse non plus.

    Comme à son habitude Wise met en scène des femmes ambigües, à la fois maternelles, Julie manifeste beaucoup de tendresse pour Stoker, mais aussi cruelles et attirée par le goût du sang, comme la femme de Little boy ou comme cette spectatrice qui répète « Kill him » à longueur de temps pour voir les hommes tomber et perdre leur virilité.

    Ce film inspirera beaucoup d’autres films, à commencer par L’arnaqueur de Robert Rossen où le personnage de Piper Laurie rappelle directement celui d’Audrey Totter, et où on retrouvera ce personnage du héros déchu à la main brisée.

    the-set-up-2.jpg

    Toutes les scènes se passent de nuit, et sont filmées avec une économie de moyens remarquables. Les dialogues sont rares et peu démonstratifs, Ryan presque mutique est claquemuré dans sa solitude. Soixante ans après sa sortie, il y a toujours dans ce film un rythme qui surprend par son efficacité, c’est qui explique probablement qu’il soit devenu au fil du temps un vrai classique du film noir.

     

    Partager via Gmail

    votre commentaire