• Roger Corman, Comment j’ai fait 100 films sans perdre un centime, Capricci, 2018

     Roger Corman, Comment j’ai fait 100 films sans perdre un centime, Capricci, 2018

    Capricci qui édite aussi des DVD, publie très souvent des ouvrages intéressants pour les cinéphiles, que ce soit l’ouvrage de William Castle – un autre réalisateur très méconnu – ou celui de Sidney Lumet, et bien sûr le I am Spartacus de Kirk Douglas[1]. Il s’agit ici des mémoires de Roger Corman qui étaient parues en anglais en 1990. La place de Roger Corman dans l’histoire du cinéma est capitale. En effet, non seulement il a été un réalisateur avisé, mais il a, en tant que producteur, mis le pied à l’étrier d’un grand nombre de réalisateurs et d’acteurs comme Francis Ford Coppola, Martin Scorsese ou Jack Nicholson. Evidemment dans sa production prolifique, il y a beaucoup de déchets. Mais il y a aussi pas mal de réussites. Il était plutôt un réalisateur de films de science-fiction et d’horreur. Il est très connu en France pour ses réalisations inspirées d’Edgar A. Poe. Je crois d’ailleurs que c’est par là que j’avais commencé à explorer son œuvre avec The pit and the pendulum. Mais selon moi ses films les plus intéressants sont dans le western et dans le film noir, genre pour lequel il a assez peu donné. Mais enfin il a fait Machine Gun Kelly qui révéla en 1958 un acteur charismatique en devenir, Charles Bronson, puis I, mobster avec Steve Cochran[2], ou encore The intruder, film de qualité et pourtant un des rares fours de sa longue carrière[3]. Bloody Mama a été aussi un film intéressant, avec un très jeune Robert De Niro époustouflant. The St. Valentine's Day Massacre avec Jason Robards dans le rôle de Capone est plus conventionnel si je puis dire. Mais ce film a été fait avec plus de moyens sous la houlette de la 20th Century Fox.

    Roger Corman, Comment j’ai fait 100 films sans perdre un centime, Capricci, 2018

    Roger Corman est très difficile à caractériser, c’est sans doute un personnage assez unique par son éclectisme et sa longévité dans le métier. On pourrait le rapprocher des électrons libres comme Samuel Fuller ou Edgar Ulmer par son ingéniosité dans la mise en scène et par le fait que rien ne l’arrête dans sa volonté d’aboutir dans ses projets. Sauf que très tôt, il va se faire producteur pour ne pas dépendre de quiconque dans ses succès comme dans ses échecs. Evidemment pour cela il faut une grande capacité de négociation, notamment pour assurer la distribution de ses films dans les meilleures conditions. Sachant que les circuits haut de gamme lui étaient interdits, il a bien fallu qu’il développe d’autres possibilités. 

    Roger Corman, Comment j’ai fait 100 films sans perdre un centime, Capricci, 2018

    Roger Corman était obsédé par les coûts de production, et il démontrera qu’on peut faire des films avec des bouts de ficelle. Il rappelle d’ailleurs que la logique de ses productions n’était pas de faire des films de série B, car lorsqu’il se lance dans le métier, les films de série B n’existent plus, mais d’alimenter les circuits parallèles, notamment les drive-in alors en expansion, avec des séances doubles par thème. Sa logique est donc celle des studios indépendants qui se tiennent à l’écart des majors : cela lui permet d’abord de garder le contrôle de ce qu’il fait. S’il lui arriva quelquefois de travailler pour les majors, cela ne se fit pas sans heurts. Cette démarche eut deux conséquences décisives : d’une part le talent de Roger Corman ne fut que tardivement reconnu – d’abord en France, puis ensuite dans le monde entier, et d’autre part il apprit à travailler très vite avec un calendrier très resserré. La mise en place d’un tel système, sans doute unique sur le plan économique, l’amena à travailler beaucoup. Il n’arrêtait jamais, et quand il ne pouvait pas mettre en scène lui-même, il produisait. Ses mémoires donnent l’impression d’une grande frénésie.  

    Roger Corman, Comment j’ai fait 100 films sans perdre un centime, Capricci, 2018

    Bien qu’il soit intervenu dans un peu tous les genres, son travail révèle une véritable unité. Sa longévité est dû certainement au fait qu’il a su, en travaillant en permanence avec des réalisateurs ou des scénaristes plus jeunes que lui, se renouveler et donc rester à l’écoute de l’évolution du public. Il est également intéressant de voir comment Roger Corman s’est adapté aux transformations régulières du marché en allant à la rencontre du jeune public. Il avait compris une chose importante dans la culture de type industriel, qu’il fallait d’abord maitriser la distribution des produits si on voulait arriver à quelque chose. Également il avait une maniaquerie qui frisait la radinerie pour tenir les coûts de production très serrés. Pour diminuer les frais généraux, il épuisait un filon – les films basés sur des nouvelles d’Edgar Poe, les films de motards, les films de monstres marins, etc. Cela lui permettait non seulement de réutiliser les décors déjà payés, mais aussi de se servir des chutes de pellicules des films déjà sortis pour les utiliser dans de nouvelles productions. Cependant, n’allez pas croire que Corman c’est une autre sorte d’Ed Wood. Ses réalisations toutes folles qu’elles paraissent sont très soignées, il y a toujours une fluidité et des mouvements d’appareils très intéressants. Il filmait aussi très bien les femmes, leur donnant souvent des rôles plutôt de dures à cuire.

      Roger Corman, Comment j’ai fait 100 films sans perdre un centime, Capricci, 2018

    En lisant ses mémoires, ou son bilan si vous voulez, on se prend à penser qu’il considère qu’il a un peu raté sa carrière tout de même, trop absorbé qu’il était par le système qu’il avait mis en place pour lui assurer une grande liberté économique. Dans la dernière partie de son existence professionnelle, il se lança dans l’exportation vers les Etats-Unis de films dits d’art et essai, Bergman, Truffaut, Kurosawa, etc. Un peu comme s’il culpabilisait de ne pas avoir été capable d’en faire autant. Evidemment c’est un jugement des plus subjectifs, parce que Corman c’est aussi un de ceux qui ont dynamité les codes du bon goût. Il est un élément important de la contre-culture des années soixante dont il épousa la plupart des tics, la drogue, l’usage de la liberté individuelle, mais surtout un intérêt renouvelé pour les cultures populaires. 

    Roger Corman, Comment j’ai fait 100 films sans perdre un centime, Capricci, 2018 

    Roger Corman mettant au point une scène compliquée de The pit and the pendulum 

    L’ensemble est très bien écrit, vivant, entrecoupé de témoignages de proches de Corman qui valident le plus souvent ce qu’il raconte. Bien sûr il y a des erreurs, notamment quand il parle de ses années à Paris ou de sa réception au Festival de Cannes. En tous les cas l’ouvrage donne l’envie de revoir les films de Roger Corman. Il manifeste peu d’amertume, sauf pour l’échec malheureux de The intruder qui manifestement lui est resté en travers, ce qu’on peut comprendre d’ailleurs parce que ce film, tourné dans des conditions difficiles, était sans doute en avance sur son temps en militant pour l’abolition de la ségrégation dans les Etats du Sud. On retiendra aussi de cet ouvrage passionnant que Roger Corman ça a été aussi une école pour de nombreux scénaristes et réalisateurs qui ensuite feront la démonstration de leur talent comme Scorsese dont Corman produira Boxcar Bertha, Coppola qui tourna Dementia pour Corman, ou encore Jonathan Demme et James Cameron. Après tout il a fait tourner Barbara Steel dans The pit and the pendulum et il a sans doute inciter beaucoup de jeunes à aller vers Edgar Poe. 

    Roger Corman, Comment j’ai fait 100 films sans perdre un centime, Capricci, 2018

     



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/i-am-spartacus-kirk-douglas-caprici-2013-a114844578

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/gangster-n-1-i-mobster-roger-corman-1958-a114844646 

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/the-intruder-roger-corman-1962-a114844770 

    « La valse des pantins, The king of comedy, Martin Scorsese, 1983Péché mortel, Leave her to heaven, John Stahl, 1945 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :