• Si ma tante en avait, San-Antonio, 1978

     Si ma tante en avait, San-Antonio, 1978

    Ce n’est pas un San-Antonio tout à fait comme les autres, probablement que la date de parution y est pour quelque chose. On ne se souvient plus de la fin des années soixante-dix. Mais elles ont représenté un tournant politique, social et culturel décisif. Ce n’est d’ailleurs pas un des San-Antonio des plus drôles, il est même assez sérieux. La raison en est sans doute que nous nous trouvons à cette époque, à l’aube d’un changement majeur sur le plan politique. En effet, dans la ligne des événements de Mai 68, la gauche va accéder au pouvoir. Tous les sondages prédisent que ce sera pour les élections législatives de 1978. Il faudra toute la détermination de Georges Marchais et du PCF pour empêcher que cela arrive. Mais ce ne sera que partie remise. A cette époque la droite essaie encore de faire peur avec l’arrivée prochaine des tanks soviétiques à Paris.

    San-Antonio, Bérurier et Pinaud se sont fait viré de l’agence de détectives qui servait de couverture aux louches combines du Vieux. Ils se retrouvent exilés en Bretagne. San-Antonio s’ennuie, mais il va trouver de l’occupation. En effet, le Vieux qui a lui aussi perdu son poste de directeur pour des raisons politiques, se retrouve lui aussi en Bretagne, mais en tant que sous-préfet. L’histoire elle-même est celle d’une manipulation qui doit conduire à faire exploser un pétrolier russe qui en réalité transporte toute une machinerie nucléaire qui pourrait très bien engendrer une catastrophe terrible.  

    Si ma tante en avait, San-Antonio, 1978

    L’histoire est bien menée, sauf que la « fin finale » est un peu téléphonée, mais le plus important n’est pas là. Elle se trouve plutôt dans les digressions. J’en ai relevé trois qui me semblent assez significatives. La première est légère, mais courante pour Dard à l’époque, il cite Léo Ferré comme avant il citait Aznavour[1]. Ce rapprochement n’est pas anodin, il  correspond à une politisation croissante de Frédéric Dard qui ira jusqu’au soutien affirmé de François Mitterrand – même s’il lui est arrivé de le moquer, c’est le seul homme politique qu’il respectera. Il aura par contre toujours une certaine méfiance pour les communistes, une méfiance toutefois mêlée de respect, et il refusera de se rendre à l’Elysée sous la présidence de Chirac. On remarquera que c’est aussi à cette époque qu’il brocarde l’Eglise, blasphémant presqu’à toutes les pages, aussi bien pour moquer les bretons et leur religiosité que le Pape et ses pompes. La virulence des attaques contre la religion le ferait aujourd’hui, dans notre époque régressive, traiter de blasphémateur, ce qui ne l’empêchera pas quelques années plus tard de célébrer cette même religion catholique en cosignant un ouvrage de dialogue avec  Monseigneur Mamie qui n’était tout de même pas l’évêque le moins réactionnaire du lot.  

    Si ma tante en avait, San-Antonio, 1978

    La seconde, c’est aussi dans cet ouvrage qu’il s’émancipe du Vieux, qu’il lui règle son compte en l’injuriant, ce rabaissement du Vieux ira croissant, jusqu’à le présenter comme un pauvre vieux gâteux qui ne sait plus très bien ce qu’il fait au fur et à mesure qu’il perd de ses capacités sexuelles. C’est une façon de se séparer de la hiérarchie administrative, mais aussi de remettre en question la vérité de la police et de ses fonctionnaires. On remarque que c’est après Mai 68 que San-Antonio a commencé à critiquer sa propre fonction, puis il s’est émancipé de celle-ci en ouvrant une agence de détective qui restait tout de même une couverture, et enfin en rabaissant le Vieux qui passe du statut d’homme d’acier omniscient et respecté, avec celui de vieux con saisit par le démon de minuit, uniquement capable de s’attribuer le mérite des actions des autres.  

    Si ma tante en avait, San-Antonio, 1978

    La troisième référence est celle à Jean Lecanuet qui est cité soit sous le nom de Canuet, soit sous le nom de Jules Canuet. Lecanuet a été un personnage de la Vème république. Il se fit connaître en 1965 en se présentant comme candidat centriste contre le général De Gaulle. Il prétendait renouveler la politique en incarnant un Kennedy français. Frédéric Dard n’est pas le seul à le moquer à cette époque, Charlie Hebdo le faisait aussi. Mais il utilisera fréquemment le nom de Canuet à la fois comme une injure, comme une interjection dont la drôlerie ne peut apparaître qu’à ceux qui ont connu cette époque. En 1978 Lecanuet était un has been de la politique, il a été ministre de la justice de Valéry Giscard d’Estaing et a laissé une impression de combine dans l’opinion. Catholique militant, affligé d’un sourire niais destiné à montrer ses dents blanches – dans la dernière partie de sa carrière politique, il s’efforcera de ne plus sourire à cause du surnom qui le poursuivait à l’époque « dents blanches ». En tous les cas Lecanuet représente à cette époque la réaction. Dard méprise ouvertement Lecanuet qui est la tête à claques de l’époque, une sorte de Macron en costume trois pièces. Si dans ses œuvres précédentes Dard s’est montré méfiant envers le général De Gaulle, au point d’apparaître dans les années soixante comme un auteur antigaulliste, il ne l’a jamais méprisé, il s’est juste moqué de sa folie des grandeurs, et s’il est vrai que Canuet n’est pas le seul homme politique dont se soit moqué San-Antonio, il reste celui qui l’a le plus énervé ! Ce qui est très drôle pour moi, c’est que Lecanuet est un homme politique sans grande importance, et San-Antonio en s’attaquant à lui, curieusement, en réduit encore plus la surface ! Mais enfin, c'est aussi grâce à San-Antonio qu'on parle encore de Lecanuet, sinon... 

    Si ma tante en avait, San-Antonio, 1978

    « Il va s’efforcer de songer à des trucs tristes Alexandre-Benoît Le décès de sa chère maman, la vie politique de Canuet, les enfants du Bangladesh, les chansons de Sheila, tout ça… les sujets ne manquent pas » Une banane dans l’oreille, p. 42, 1977.  

    Si ma tante en avait, San-Antonio, 1978

    Dans cet opus où San-Antonio se laisse aller pour la première fois à ses penchants sexuels pour la très jeune Marie-Marie, il y a un passage décapant et mémorable pages 124 à 127 sur le mariage qui achève de donner un ton tout à fait anarchiste à l’ouvrage. Curieusement je n’ai répertorié que trois rééditions de cet ouvrage, en dehors des recueils, ce qui fait assez peu pour un San-Antonio. 


    [1] Frédéric Dard se fâchera avec Léo Ferré, celui-ci lui reprochant d’encore perdre son temps à aller voter.

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