• Sous la direction de François Angelier & Stéphane Bou, Dictionnaire des assassins et des meurtriers, Calmann-Lévy, 2012

    Sous la direction de François Angelier & Stéphane Bou, Dictionnaire des assassins et des meurtriers, Calmann-Lévy, 2012 

    Le crime a quelque chose de fascinant et alimente notre imaginaire comme la forme des rapports sociaux dans lesquels il s’inscrit. Il a nécessairement une fonction sociale, ne serait-ce que celle de raconter des histoires qui font peur ! Le dictionnaire de François Angelier et Stéphane Bou n’est pas un catalogue des crimes remarquables qui ont marqué l’histoire de l’humanité, mais plutôt une méditation sur son essence. Et c’est pour cela qu’à côté d’assassins bien réels célèbres, on y trouvera aussi des personnages de fiction, dont le premier d’entre eux pourrait bien être Caïn. Les assassins sont donc des gens qui nous surprennent, parce qu’ils osent une rupture dans l’ordre existant et fondent autre chose. Evidemment le coût de cette refondation peut-être trop élevé et exorbitant, et en cela on se pose la question de savoir si tout cela valait d’ôter la vie à autrui. D’autant qu’un crime peut en entraîner un autre ou plusieurs autres, broyant l’assassin dans un cercle infernal dont il ne peut plus sortir.

    Les mobiles des crimes de sang sont assez peu nombreux, mais ils ne sont pas toujours explicites. La jalousie, le pouvoir, l’argent, s’approprier quelque chose qui ne nous appartient pas. Quel peuvent bien être les motivations de Landru lorsqu’il s’attaque à des femmes un peu mûres et esseulées ? Certes, il a besoin d’argent et les volent après les avoir trucidées, découpées en morceaux et fait passées dans la cuisinière. Mais est-ce l’argent le motif ou le sexe ? Landru est petit, chauve, pas beau, l’air d’un vieux satyre, il ne peut pas jouer de son physique athlétique et de ses beaux cheveux de pâtre grec. Alors il biaise, il s’attaque à ce qu’il peut pour prendre sa revanche sur la vie. Mais plus encore sa consécration si on peut dire viendra au moment de son procès. Il reçoit à ce moment-là des dizaines de demandes en mariages de la part de femmes qui justement savent très bien ce qu’il a fait ! Comme si à leur tour elles voulaient passaient par sa cuisinière. Dans le langage vulgaire, on parle souvent d’une fille qui passe à la casserole, pour dire qu’elle s’est faite baisée. Mangez-moi pourrait être le mot d’ordre qui réunit ses femmes rendues folles par le procès. L’incontournable Landru est presque toujours cité dans les ouvrages répertoriant les grands criminels, il faut dire qu’il est plaisant et farfelu.

     Sous la direction de François Angelier & Stéphane Bou, Dictionnaire des assassins et des meurtriers, Calmann-Lévy, 2012 

    Dans le dictionnaire, on cite à peine Armin Meiwes, le cannibale de Rothenburg qui passera une annonce pour manger quelqu’un qui serait consentant. Et ça marchera, il trouvera sa victime pour satisfaire ce curieux penchant. Ce cas n’est pas détaillé, il aurait selon moi été très intéressant, emblématique de cette idée selon laquelle l’assassin ne peut pas exister sans sa victime ou ses victimes.

    Le dictionnaire de Stéphane Bou et François Angelier à travers environ 75 rubriques écrites par différents auteurs, aide à explorer ces paradoxes, mais à vrai dire il n’épuise pas le sujet et ne le peut pas. 75 rubriques c’est beaucoup, et c’est peu en même temps. Comme on vient de le dire il n’y a pas d’étude d’Armin Meiwes, et on peut dresser tout une liste de ceux qui manquent à l’appel. Par exemple Emile Louis, le chauffeur de bus qui violait et assassinait des jeunes filles handicapées, et qui pu le faire si longtemps parce que les autorités de cette maison spécialisée ne voulaient pas que cela s’ébruite et nuise à leur réputation. Ou encore Francis Heaulme, Marc Dutroux, autres tueurs en série plus que remarquables, ne sont pas présents. C’est que le sujet de ce dictionnaire n’est pas « le tueur en série », mais les motivations diverses et variées du meurtre.  Si on veut en connaitre plus sur les détails des crimes des sérial killers, il faut plutôt lire les ouvrages de Stéphane Bourgoin qui s’en est fait une vraie spécialité[1]. Mais construire une encyclopédie du crime amènerait à écrire des dizaines de volumes, et serait forcément toujours inachevée. Un clou chassant l’autre, il y a toujours du neuf en la matière. Aux Etats-Unis les tueries de masse ne s’arrêtent jamais, la dernière en date que je connais est la fusillade de Thousands oaks. Elle est le fait de Ian Danid Long, un ancien marine, qui assassina 12 personnes en entrant dans un bar, avant de se donner la mort.

    Donc si on explore les différentes facettes des assassinats, on peut s’intéresser par exemple à cette folie meurtrière qui balaya toute trace de civilisation chez les serviteurs de la barbarie nazie. Ceux-ci, Rudolf Hoess ou Otto Ohlendorf, ont envisagé l’éradication d’une fraction du genre humain comme une vocation ou un métier. En quelque sorte c’est une évolution dans la justification des crimes, c’est forcément une intellectualisation de gestes barbares, le produit d’une éducation. Que ce soit pour se disculper – ils obéissaient aux ordres – ou pour se justifier – ils croyaient à une doctrine de rénovation du genre humain, ils sont intarissables pour se raconter. Car le criminel aime généralement à se raconter. N’est-ce pas ce qui poussera finalement Raskolnikov à avouer son crime au juge Petrovitch ? Il ne suffit pas de tuer, il faut encore expliciter son geste, le rationnaliser pour le rendre un peu moins effrayant.  

    Sous la direction de François Angelier & Stéphane Bou, Dictionnaire des assassins et des meurtriers, Calmann-Lévy, 2012  

    Il y a cependant des criminels exceptionnels, comme les sœurs Papin, qui au contraire refusent de parler et s’excluent d’eux-mêmes de la société refusant d’assumer et de justifier leurs actes de barbarie. Là se pose un sacré problème, parce qu’en se situant dans un en-dehors, ils créent un vide absolu qui n’est guère rassurant. Tant qu’on tue pour de l’argent ou pour une passion sexuelle, on peut comprendre, mais quand on tue sans raison, là, la raison s’effondre. Les sœurs Papin justement n’avaient pas vraiment de raison de tuer leur patronne et sa fille. Certains ont tenté de ramener ce crime à une forme de lutte des classes : deux bonnes maltraitées qui finissent par se rebeller, mais Anne-Claude Ambroise-Rendu montre que cette piste n’a pas beaucoup de fondement. Elles perdront en même temps que leur liberté leur parole, leur capacité à verbaliser le crime sauvage qu’elles ont commis. Le crime n’est rien sans sa rationalisation, et c’est pourquoi le crime pour raison politique se porte toujours très bien. On a vu ce genre d’excuse porté à son paroxysme avec les nazis, mais on aurait pu étendre cette logique aux Escadrons de la mort en Amérique latine. Autrement dit, la lutte contre les rouges ou les rebelles est le plus souvent un prétexte pour camoufler d’autres vérités plus louches. Comment réduire les exactions de Gilles de Rais à de simples nécessités bien réelles de se procurer des liquidités ? Et même l’ignoble Marcel Petiot qui assassinait des juifs pour leur prendre leurs biens, est-on sûr que la cupidité soit la motivation principale ? Il ne semble guère avoir joui des biens qu’il a volé, mais par contre on sait qu’il aimait beaucoup regarder ses victimes en train de mourir dans la chambre secrète qu’il avait aménagé à grands frais.

    Sous la direction de François Angelier & Stéphane Bou, Dictionnaire des assassins et des meurtriers, Calmann-Lévy, 2012

    L’ensemble de l’ouvrage est excellent quoiqu’inégal. Comment en serait-il autrement quand un grand nombre d’auteurs sont convoqués ? Les items consacrés à des figures de fiction apparues au cinéma, M de Fritz Lang, ou Hannibal Lector du Silence des agneaux sont plutôt un peu faibles. Mais d’autres sont au contraire nous paraissent lumineux comme par exemple celui sur Caïn, un autre personnage de fiction, ou sur Charlotte Corday. Le crime est aussi le résultat de circonstances sociales particulières, Charlotte Corday n’aurait jamais été ce qu’elle devint, sans la Révolution française qui avait vu Marat devenir une figure emblématique de la Terreur. Comme on le voit, le crime a toujours un rapport avec la refondation d’un ordre social. C’est un peu la même chose pour Kamo qui sans la révolution bolchevique serait resté sans doute un simple bandit de grand chemin, et qui, en s’acoquinant avec Staline devint un des plus grands criminels de la Russie soviétique et presque son emblème.  

    Sous la direction de François Angelier & Stéphane Bou, Dictionnaire des assassins et des meurtriers, Calmann-Lévy, 2012

    Le crime de Charlotte Corday est un crime politique. On pourrait dire la même chose du crime de celui de Samuel Schwartzbard. Cet anarchiste ayant pris sa part dans la révolution russe de 1917, mais qui s’en éloigna à cause des dérives autoritaires des bolcheviques, il débarqua à Paris. Là il guetta Simon Petlioura, un des grands organisateurs de pogroms en Ukraine et qui à ce titre assassinat des dizaines de juifs, dont une partie de la famille de Schwartzbard. Celui-ci sachant qu’il était aussi à Paris, le guetta et l’abattit de 5 balles dans la peau en 1926. Son procès fut aussi celui de l’antisémitisme. Et il fut acquitté. Notez qu’en 2006 le gouvernement français envoya un de ses représentants en Ukraine en catimini pour saluer la mémoire de Petlioura.  

    Sous la direction de François Angelier & Stéphane Bou, Dictionnaire des assassins et des meurtriers, Calmann-Lévy, 2012

    Il y a, à travers cet ouvrage, un curieux chassé-croisé entre d’une part les criminels de fictions qui sont apparus au cinéma, véhicule qui a beaucoup fait pour la célébrité des assassins, et les criminels bien réels qui ont servi de support à des créations cinématographiques. Et il est vrai que la réalité n’a guère de mal à irriguer la fiction.



    [1] Par exemple Mo, serial killer, douze terrifiantes confessions de tueurs en série, Grasset, 2017.

     

    « Bernard André, & Michel Martin Roland, Le baron, Editions de l’opportun, 2015La vierge du Rhin, Gilles Grangier, 1953 »
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