• The mule, Clint Eastwood, 2018

     The mule, Clint Eastwood, 2018

    Les Etats-Unis, et notamment Trump, sont obsédés pour ne pas dire plus par les rapports qu’ils peuvent avoir avec les latinos, et notamment ceux qui s’occupent de transporter de la drogue, faire un mur semble de prime abord que cela préserverait la pureté d’un modèle pourtant déjà bien décomposé. Evidemment ce n’est pas la première fois que Clint Eastwood se trouve confronté à des minorités ethniques qui foutent le bordel, c’était déjà le cas dans Gran Torino. Dans ce dernier film, Eastwood, il incarnait déjà un vétéran de la Guerre de Corée qui semble pour Eastwood de bons soldats méritant le respect, il était confronté à des Vietnamiens, certes il y avait de bons Vietnamiens, que le personnage d’Eastwood aidait généreusement, ces bons Vietnamiens avaient appuyé les bons Américains durant la guerre du Vietnam, mais surtout de très mauvais Vietnamiens qui créaient des gangs pour racketter le pays. Le film est sensé s’inspirer d’une histoire vraie, celle de Leo Sharp, donc un vétéran de la Guerre de Corée qui passait encore de la drogue pour un cartel à l’âge de 90 ans ! Le scénario est dû à Nick Schenk qui avait déjà écrit Gran Torino pour Eastwood. On va donc retrouver de nombreux points communs à ces deux films, aussi bien dans le déroulé de l’histoire que dans le portrait du caractère du vieil homme. 

    The mule, Clint Eastwood, 2018 

    Leo Sharp un vétéran qui est mort en prison en 2016 

    Earl Stone est un personnage farfelu qui adore cultiver des fleurs et qui gagne des concours où il présente ses productions. Il vit seul, séparé de sa famille. Mais n’ayant guère le souci de l’argent, il va se trouver face à des problèmes financiers. Sa maison est saisie. Il doit déménager. C’est l’occasion pour lui de se rapprocher de sa famille chez laquelle il débarque le jour des fiançailles de sa petite fille. Mais il se fait rabrouer lorsque sa femme et sa fille se rendent compte qu’il est venu parce qu’il ne savait pas où aller. Cette situation singulière alerte un jeune Mexicain qui trainait dans le coin et qui lui dit que s’il aime rouler, il peut lui trouver du travail. Le gang est intéressé par ce vieux bonhomme parce qu’il a un casier vierge et qu’il passe inaperçu. Il va donc commencer à faire des allers-retours. Cela va lui permettre de changer son vieux pick-up pour un plus puissant et flambant neuf. Peu à peu il apprend à utiliser cet argent qui semble lui tomber du ciel. Il rachète sa maison, il donne de l’argent au club des vétérans pour qu’ils le reconstruisent, il va faire aussi des cadeaux à sa petite fille qui a réussi ses examens. Mais la police de Chicago traque le gang qui emploie Earl et voudrait bien faire un gros coup pour améliorer ses statistiques. L’agent de la DEA Colin Bates va dénicher un dealer sur qui il peut exercer un chantage et tenter de remonter la filière des livraisons de dope sur la ville. Pendant ce temps Earl continue à faire ses allers-retours, et il est amené à rencontrer le chef du gang au Mexique, le débonnaire Laton, qui le prend en sympathie et lui offre au passage quelques filles. Mais les choses vont se déglinguer : d’abord parce que Colin Bates commence à avoir des informations sur son trafic, et d’ailleurs il croisera une première fois Earl au moment même où il se trompe de chambre et arrête un tout petit dealer. Mais Laton est tué par son lieutenant et celui-ci va se montrer de plus en plus brutal avec Earl. En outre la femme d’Earl meurt, et il interrompt sa livraison de coke pour aller la revoir, puis assister à son enterrement, ce qui lui permettra de se réconcilier avec sa fille. Les Mexicains sont furieux et menacent de le tuer. Mais les flics sont sur le coup et arrête Earl qui sera jugé et comme il plaidera coupable, au lieu de se trouver l’excuse de son grand âge, il finira ses jours dans un pénitencier où il cultivera ses fleurs.

    The mule, Clint Eastwood, 2018 

    Grâce à l’argent de la drogue Earl peut payer la réfection du local des vétérans

    Outre que la description des mœurs des uns et des autres relève de la fantaisie, notamment le fonctionnement du camp retranché de Laton, c’est un film parfaitement réactionnaire. Certes c’est habituel chez Eastwood, mais ici le message est grossier, il nous engage à reconstruire les valeurs de la famille traditionnelle, il nous enjoint de défendre l’Amérique vieillissante et naïve face aux hordes barbares qui viennent du Sud – voyez le mur – et qui la menace de destruction en la pervertissant aussi bien par l’argent que par la drogue. Comprendre les intentions d’Eastwood c’est comprendre les trumpistes. C’est donc un film trumpiste propre à justifier la construction du mur. Hollywood a toujours eu un problème avec le Mexique, tantôt représenté comme de gentils sous-développés qui se contentent de peu, tantôt comme des révolutionnaires sanguinaires, mais aussi comme des bandits cruels qui ne respectent rien, et encore moins la propriété privée. Earl, incarné par Eastwood, est la représentation des valeurs traditionnelles. Certes c’est un cabochard, voire même un jouisseur, mais au fond il aime l’Amérique et sa famille. Il est tellement traditionnaliste, qu’il ne pourra pas s’empêcher de faire des remarques désobligeantes à un couple de noirs qu’il appelle « négros ». Le message subliminal est que les noirs feraient bien de rester à leur place, eux qui ne savent même pas changer une roue de voiture. Cet épisode encore plus caricatural que le reste est le tournant : face à ces noirs qui ne savent rien, Earl représente l’expérience du vétéran de la guerre, celui qui a sauvé l’Amérique – quoi, on ne le saura pas, mais il l’a sauvé et c’est bien là le principal. Les Mexicains ne sont guère meilleurs, habiles et cruels, ils n’ont d’empathie pour personne et ne pensent qu’à s’enrichir sur le dos de ceux qui travaillent dur. En s’opposant à Earl, ils représentent la force brute face à la ruse et la subtilité du vétéran qui en a vu d’autres. Tout cela se voit à l’écran, et il est assez curieux qu’en France la presse de gauche, et surtout la critique cinématographique, prompte à relever chaque fois qu’elle le peut des tendances fascisantes ici ou là, n’arrive pas à voir ce que Clint Eastwood entend dire. Il n’a pourtant jamais caché ce qu’il était, un partisan de la restauration des valeurs américaines, même si celles-ci relèvent plus du fantasme que de la réalité. Remarquez que l’opposition entre le Mexique représenté par le cartel et l’Amérique représentée par Earl, se focalise sur la culture : Earl est un poète qui cultive des iris pour leur beauté, Laton fait cultiver de la coca, fleur vénéneuse, destinée à détruire la belle jeunesse américaine, air connu depuis disons soixante dix ans.   

    The mule, Clint Eastwood, 2018 

    Earl assiste à l’arrestation d’un dealer 

    Cette passion des valeurs anciennes, mais pas si anciennes que ça au fond, se traduisent par l’écoute de la musique folklorique américaine, ou encore par la passion que Earl manifeste pour les véhicules automobiles – comme dans Gran Torino l’automobile est l’aboutissement de la civilisation. Il démontrera qu’il s’y connait en moteur lorsqu’il croisera un groupe de motardes lesbiennes qui sont en panne. Cette scène est également là pour montrer que si les lesbiennes-motardes jouent les émancipées, elles ne le sont pas tellement puisqu’elles ne comprennent rien – de par leur sexe – à ce que c’est qu’un moteur, et ceux qui ne comprennent rien aux véhicules à moteur doivent rester à leur place, on l’a déjà vu avec les noirs. Cependant la promotion des valeurs réactionnaires n’est pas le seul objectif d’Eastwood. Au passage il va dénoncer aussi le gouvernement, notamment par une critique qui se voudrait féroce de la police et de son fonctionnement. Colin Bates, même si son rôle est mineur, représente celui qui voudrait reconstituer l’ordre ancien. Mais le peut-il étant lui aussi en porte à faux avec sa famille, en porte à faux avec sa hiérarchie bureaucratisée ? Le vieux Earl lui donnera des conseils pour mieux réussir dans la vie avec la sagesse du vétéran. La morale finale de cette fable boursoufflée serait évidemment que l’argent ne fait pas le bonheur, et Earl lorsqu’il se retrouve au pénitencier à cultiver des fleurs, retrouve aussi une forme de paix intérieure puisqu’il ne cherche plus de l’argent. Laton, le chef de gang qui a réussi à amasser une fortune grâce à son trafic de drogue, ne profitera pas de cet argent. Passons sur la fin plus que lénifiante, même les critiques américains qui apprécient le cinéma d’Eastwood, l’ont mal supportée, quand Earl dans un élan ultime d’honnêteté se dénonce pour expier ses crimes et payer la dette qu’il pense avoir envers la société.

     The mule, Clint Eastwood, 2018 

    La mort de sa femme le réconciliera avec sa fille 

    Le film dure deux heures, c’est beaucoup trop, la multiplication des livraisons ne fait pas progresser un scénario très paresseux. C’est du Eastwood, donc c’est larmoyant, la scène de la mort de sa femme et celle de la réconciliation d’avec sa fille sont difficiles à digérer. C’est lourd, du début jusqu’à la fin. Un autre déséquilibre provient de l’amoindrissement du personnage de Colin Bates. C’est comme toujours avec Eastwood filmer très platement, les couleurs sont plutôt laides, et les paysages, filmés sans doute depuis un hélicoptère, sont dessinés sans grâce, alors qu’Earl traverse des contrées immenses représentant la grandeur de l’Amérique. Comme c’est un film à la gloire de l’automobile et de l’individualisme qui va avec, on ne verra jamais d’encombrement gênant sur les routes, la circulation reste toujours fluide et le transfert de la drogue ne peut pas prendre de retard. La longueur c’est aussi la multiplication de ces scènes à l’intérieur du pick-up de Earl quand on le voit chanter en permanence des chansons débiles censées représenter la nostalgie d’un âge d’or correspondant à la Guerre de Corée, et si cela saoule les latinos qui le suivent, ça saoule aussi le spectateur. De très nombreuses scènes frisent le ridicule, j’ai déjà parlé de cette scène où sur le lit de mort de sa femme Earl tente de se faire pardonner, c’est la même scène larmoyante que celle qu’on avait vu dans Million dollars baby quand l’entraîneur se demande s’il va ou non débrancher sa boxeuse. La morale de tout ça, est que Hollywood a bien du mal à savoir quoi faire du sujet de la drogue et des latinos qui l’importent. C’est leur préoccupation du moment. Comme on le voit le film d’Eastwood hésite entre le polar, avec la chasse au gang de la drogue, et le film plus classique de l’opposition ethnique qui traverse l’histoire de l’Amérique. Cette hésitation ne pardonne pas.  

    The mule, Clint Eastwood, 2018

    Les trafiquants menacent de le tuer s’il n’obéit pas 

    L’interprétation qui aligne les grands noms, c’est d’abord et presqu’uniquement le monolithique Clint Eastwood. Il est lamentable au physique comme au moral. Il cabotine à mort, se tient tout tordu pour mimer les ravages de l’âge. Certes il a tourné ce film à 88 ans, mais est-ce une raison pour grimacer tout autant les émotions et les étonnements de Earl ? Son jeu est très artificiel, vous me direz que ce n’est pas d’aujourd’hui, mais disons que cela se voit encore plus lorsque le personnage est une caricature. A côté de lui on troue Bradley Cooper qui avait déjà joué pour Clint Eastwood dans American sniper – film qui fut un triomphe au box-office[1] - il est difficile de juger sa prestation, tant son rôle, celui de l’agent Colin Bates, est bref et effacé. Le très bon Laurence Fishburne joue sans se forcer le chef de la police, mais enfin, il ne serait pas là que ce serait la même chose, d’ailleurs est-il là ? Allison Eastwood qui joue la fille d’Earl est la propre fille d’Eastwood. On n’est jamais si bien servi que par soi-même et sa famille. C’est un peu comme si à travers le personnage d’Earl, Eastwood retrouvait lui aussi sa fille. Mais il est vrai qu’elle tire assez bien son épingle du jeu. Il y a aussi Andy Garcia, méconnaissable, dans le rôle du débonnaire Laton, qui est venu faire une pige, et qui tient assez bien son rang. Pour le reste les méchants Mexicains roulent de gros yeux et montrent leurs dents blanches pour montrer que ça va barder si on n’exécute pas leurs ordres. 

    The mule, Clint Eastwood, 2018 

    Earl s’est fait frapper pour ses retards

    L’ensemble se révèle fort décevant, même pour les amateurs de Clint Eastwood qui, comme Michel Ciment, ne sont généralement pas bien difficiles. Le seul intérêt sans doute de la filmographie d’Eastwood, et ce qui explique son succès planétaire, c’est cette présentation inquiète de ce qu’est devenue l’Amérique qui ne cesse de sombrer moralement et culturellement. Celle-ci ne représente même plus un possible devenir pour tous ces pays qui l’admiraient tant plu pour ses fantasmes que pour ce qu’elle était vraiment. C’est une assemblée de momies au bord de la tombe.  

     The mule, Clint Eastwood, 2018

     Il finira au pénitencier pour cultiver des fleurs



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/american-sniper-clint-eastwood-2015-a114844494

    « Le rouge est mis, Gilles Grangier, 1957Triple frontière, Triple frontier, J.C. Chandor, 2019 »
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