• The nickel ride, Robert Mulligan, 1974

     The nickel ride, Robert Mulligan, 1974

    Robert Mulligan est un cinéaste trop oublié selon moi. Il a réalisé pourtant bon nombre de films passionnants, à commencer par deux films avec Steve McQueen dans ses débuts, Love with the proper stranger et aussi Baby, the rain must fall. Mais il y en a bien d’autres, comme Inside Daisy Clover avec Nathalie Wood et Robert Redford dans ses débuts. Il a touché un peu à tous les genres, le western avec le très bon The stalking moon, et quelques films sociaux, le très méconnu Bloodbrothers qui voyait les débuts aussi de Richard Gere. The other est devenu un classique du film fantatstique. Ce ne sont pas ses meilleurs films qui ont eu le plus de succès. Summer of ‘42 a été un succès mondial colossal. Il venait de cette génération qui avait fait ses gammes à la télévision. Son style était assez reconnaissable, il utilisait beaucoup la profondeur de champ et construisait ses couleurs comme pour un tableau, avec des tons dégradés qui redoublait le côté rêveur de ses récits. Ici il aborde le film noir, du côté de la mafia sur un scénario très original d’Eric Roth, le scénariste entre autres de Forrest Gump film pour lequel il avait obtenu l’Oscar du meilleur scénario, et de The horse whisperer, ou plus près de nous de The good sheperd un très bon film e Robert de Niro en tant que réalisateur. The nickel ride était quasiment invible depuis sa sortie en salle, sortie qui n’avait pas été du reste couronnée de succès. Mais grâce au miracle des réseaux numériques, on peut se le procurer dans une très bonne copie. 

    The nickel ride, Robert Mulligan, 1974 

    Coop commence sa journée très tôt

    Cooper, dit Coop est un homme influent. Il travaille pour des pontes de la mafia et gère pour eux des entrepôts dans le centre de Los Angeles où arrivent des marchandises volées. Mais il est dans la difficulté. Elias avec qui il doit faire affaire pour acheter de nouveaux entrepôts pour étendre les activités de la mafia devient fuyant et cherche à faire monter les prix. De l’autre côté Carl, le supérieur de Coop, tente de le rassurer, mais il lui impose Turner une sorte de garde du corps un peu clownesque, peut-être un tueur. Mais Coop a des satisfactions, il vit avec une jeune femme qui l’aime et qu’il aime, Sarah. Il a aussi beaucoup d’amis, et Paddie va organiser son anniversaire dans son bar. Coop doit aussi tenter de truquer un combat de boxe, mais il se fait vieux et n’y arrive pas. En outre, il est placé dans le collimateur de Bobby, le propre garde du corps de Carl à qui il est obligé de donner une raclée de grand garçon pour conserver son statut. Mais l’inquiétude ne fait que grandir, Elias le laisse tomber tandis qu’il se retrouve dans sa maison de campagne isolée ou tout peut arriver. Du reste Coop et Sarah repère qu’une personne au moins a pénétré dans la maison et Coop s’est fait faucher son révolver. Devant l’imminence du danger, il renvoie Sarah chez ses parents. Lorsqu’il demande des comptes à Elias celui-ci lui explique qu’il a été obligé de le laisser tomber. Carl se fait fuyant, mais rassurant. C’est finalement Turner qui va lui tomber dessus. Coop le tue, mais il est lui-même blessé à mort et va s’éteindre dans la rue, assis devant le bar de Paddie. 

    The nickel ride, Robert Mulligan, 1974

    Paddie a organisé une fête pour l’anniversaire de Coop 

    C’est donc une histoire de mafia. Les protagonistes sont pris dans leur quotidien besogneux et peu reluisant. Mais à la différence de Goodfellas, ils ne sont pas particulièrement violents, ou plutôt leur violence est juste ce qu’il faut de nécessaire pour survivre dans la rue. Le danger peut surgir de nulle part, et la situation est plutôt confuse en ce qui concerne les ordres qui sont envoyés par la hiérarchie. Mais tout cela n’est que le contexte de l’histoire. Le véritable sujet est celui d’un homme mélancolique qui se sent vieillir dans un espace qu’il ne contrôle plus. Lorsqu’il n’arrive pas à truquer le match de boxe, là il comprend qu’il est sur la pente déclinante. Sans doute il culpabilise aussi d’avoir une relation avec une aussi jeune femme que Sarah. Car en effet comme il ne sait faire que ça, il n’a pas d’avenir si l’organisation le rejette. Le pèlerinage vers la maison de campagne, dans un cadre idyllique est comme un adieu à la beauté du monde. La vie de Coop s’en va par morceaux, et il a du mal à comprendre ce qu’il fait dans un univers qui lui devient étranger. Il est comme absent de lui-même quand il se retrouve parmi la foule de ses amis qui lui souhaitent un bon anniversaire et qui se sont cotisés pour lui offrir une belle pendule – symbole du temps qui passe. Il ne retrouve sa vigueur et sa vivacité que lorsqu’il est acculé, et là on entrevoit qu’il a dû gagner son poste assez élevé dans la hiérarchie de l’organisation en s’imposant par la force et par son intelligence. Au fond il s’est assagi en s’intéressant plus à Sarah qu’à son « travail » routinier. Il semble en effet que ce soit la routine de son travail qui l’ait finalement amené à baisser la garde et à ne pas voir d’où aller venir le danger. Car l’organisation apparait comme une bureaucratie aussi cupide qu’opaque qui, comme toute bonne entreprise capitaliste qui se respecte, met la pression sur ses employés, sauf que ses méthodes de licenciement ne sont pas ordinaires. 

    The nickel ride, Robert Mulligan, 1974 

    Coop Retrouve Carl qui le presse sur la question des entrepôts

    La réalisation est impeccable. Robert Mulligan a tourné en décors naturels dans le centre de Los Angeles. Il utilise pleinement le format le plus large, 2.35 :1. Ce qui avec une grande mobilité de la caméra permet de couvrir de larges espaces. C’est un film noir, et donc on y retrouvera les codes de ce genre : les contrastes sombres, le bureau claustrophobique de Coop, ou encore la descente de l’escalier qui laisse présager de mauvaises nouvelles. La photo de Jordan Cronenwelth – qui a fait des films comme Peggy Sue got married de Coppola ou Blade Runner de Ridley Scott – est excellente, et Robert Mulligan joue parfaitement des couleurs pastellisées qu’il affectionnait déjà dans The other ou même Stalking moon. Cette lumière diaphane fait apparaître encore plus Cooper comme étranger à lui-même et au monde qu’il habite. Mais il ne faut pas croire pour autant que ce film mélancolique soit mou. Au contraire, il contient des scènes de violence paroxystiques qui sont d’autant mieux venues qu’elles sont rares. L’ensemble insiste plus sur ce qui est caché que sur ce qui est : la menace est latente et pas forcément explicite. Mulligan utilise au mieux les contrastes entre ses deux acteurs principaux, le rugueux Coop et la joviale Sarah au caractère parfaitement égal. 

    The nickel ride, Robert Mulligan, 1974

    Coop emmène Carl visiter les entrepôts qu’il espère pouvoir acheter 

    L’interprétation est remarquable, le sombre Jason Miller incarne Coop. C’est une sorte de Robert de Niro en plus pessimiste si on veut. C’est dans le rôle du père du père Karras dans The exorcist qu’il a connu la célébrité. Ce n’était pas seulement un acteur, il était aussi un dramaturge et directeur de compagnie théâtrale. Ce sont sans doute ses activités théâtrales qui l’ont éloigné des rôles plus importants au cinéma. Cet acteur, décédé assez jeune, savait vraiment tout faire, il possédait une variété et une intensité dans son jeu qui lui faisait accrocher la lumière. Sarah est interprétée par l’excellente Linda Haynes qui n’a tourné que dans quelques films, le très bon The drowing pool, un petit rôle. Ou dans Brubaker, un autre petit rôle. Rapidement elle s’est retirée du système pour exercer dans un cabinet d’avocats. C’est dans The nickel ride qu’elle trouvera son meilleur rôle. On va retrouver dans des petits rôles des habitués de Robert Mulligan, Victor French dans le rôle de Paddie, John Hillerman dans celui de Carl. Tous son très bons. Et puis il y a le très cabotin Bo Hopkins qu’on avait découvert dans The wild bunch et qui a fini par faire une carrière plutôt étonnante, surtout en jouant de son physique un peu particulier tout de même, incarnant très souvent des crétins un peu violents. 

    The nickel ride, Robert Mulligan, 1974

    Sarah soigne Coop 

    The nickel ride avait été présenté au festival de Cannes en 1974. Mais il n’avait rien obtenu malgré des critiques très positives à l’époque. Sorti à la sauvette, il n’avait pas couvert ses frais, bien que ce fusse un film à petit budget. Je l’avais vu en salle à sa sortie, mais il avait ensuite disparu de la circulation. C’est donc pour moi une bonne nouvelle qu’on puisse le voir à nouveau. On est parfois déçu quand on revoit un film après autant d’années. Nos goûts n’ont pas forcément changé, mais ils se sont affinés et notre expérience parfois disqualifie des films qui nous avaient enchantés dans notre jeunesse. Mais ce n’est pas le cas ici. Au contraire, je crois que je l’ai apprécié bien plus qu’à sa sortie. Je ne sais pas si c’est une référence valable, mais Quentin Tarantino adore ce film et le jeu des deux acteurs principaux, c’est lui qui l’avait remis au goût du jour en le programmant dans un festival qu’il parrainait. C’est un très bon film noir, un de ces films qui comme Thieves like us d’Altman ont fait le lien entre le grand cycle du film noir des années quarante et le néo-noir. on n’en finira donc jamais de redécouvrir le cinéma des années soixante-dix. 

    The nickel ride, Robert Mulligan, 1974

    Coop craint le retour de Turner

    The nickel ride, Robert Mulligan, 1974 

    Coop éloigne Sarah

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  • Commentaires

    1
    adda
    Jeudi 30 Juillet 2020 à 13:48

    Bonjour Alexandre et bravo pour votre analyse de ce formidable film que j'ai découvert hier soir après l'avoir déniché par hasard sur un blog consacré aux films rares. C'est en effet un excellent film du grand Mulligan dont j'ai aimé particulièrement le fascinant "The other". J'ajouterai juste que Jason Miller a réalisé un bon film nostalgique intitulé "That championship season" en 1982 et que la jolie Linda Haynes campa en 1977 un rôle quasi similaire  dans l'excellent " Rolling thunder" de John Flynn. Amicalement!

    2
    Jeudi 30 Juillet 2020 à 14:36

    je crois qu'en effet il faut reconsidérer l'oeuvre de Mulligan dans son entier. The other est marquant, mais il y aussi ces petits films avec Steve McQueen qui valent le détour

     

    3
    Lundi 16 Octobre 2023 à 23:05
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