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The old man and the gun, David Lowery, 2018
Le film est basé sur l’histoire vraie de Forrest Tucker, un braqueur de banques aux évasions multiples qui finira sa vie en prison. Pour cela David Lowery adaptera une des histoires racontées par David Grann dans son recueil, The devil and Sherlock Holmes. Cependant par souci de simplification, il ne va pas raconter toutes les anecdotes d’une vie riche en rebondissements divers et variés, mais se concentrer plutôt une petite partie de l’existence de Tucker, celle qui est datée dans le film de 1981, et qui s’articule autour d’une relation amoureuse avec Jewell qu’il finir pas épousée. D’après les spécialistes de la question, le film est assez fidèle à ce qu’a été la vie de Tucker, sauf que l’histoire qu’il raconte se passe un peu plus tôt, dans les années soixante-dix, époque où les braqueurs de banque étaient encore considérés aux Etats-Unis comme des héros, certes un peu négatifs, mais des héros tout de même. Cependant on va voir que la référence aux années quatre-vingts est finalement un bon choix puisque cette époque crépusculaire vit en quelque sorte la fin de la saga des braqueurs de banque, comme chez nous d’ailleurs. Comme souvent dans ce genre de film, on va avoir deux histoires imbriquées, celle des aventures de Tucker, ses rêves et ses amours, et celle du policier John Hunt qui va le poursuivre. Ce dernier thème implique que le policier et le truand se respectent suffisamment pour que la poursuite soit intéressante, on retrouve ça sous forme de drame très noir en 1995 dans Heat par exemple le très bon film de Michael Mann, ou en 2002 dans Catch Me If You Can, de Steven Spielberg, sous forme de comédie un peu gnangnan. Récemment aussi on avait eu un film un peu du même genre : Stand ups guys de Fischer Stevens en 2013, bien qu’il soit traité du point de vue de l’amitié virile d’un trio de vieux brigands plutôt que du côté de la solitude d’un vieil homme en train de s’effacer. Dans le film de David Lowery cette question de l’amitié virile se révélera plutôt secondaire, voire presqu’inexistante, quoique le héros représente toutefois une certaine éthique, ne serait-ce que celle du travail bien fait. On est donc dans du classique si on peut dire.
Forrest Tucker est en quelque sorte le leader d’un trio de gangsters vieillissants. Ils braquent pénardement les banques pour des sommes souvent assez dérisoires, ce qui les obligent évidemment à travailler très souvent. C’est Tucker qui opère, avec Waller en couverture à l’intérieur de la banque, et Teddy Green qui a l’extérieur attend au volant de la voiture pour prendre la fuite. Tucker bien qu’armé travaille en douceur, sans élever la voix, presqu’en demandant gentiment qu’on lui remplisse son sac, il est toutefois muni d’un sonotone qui en fait est un scanner qui lui permet d’anticiper les déplacements de la police en se branchant sur leur fréquence. En revenant d’un hold-up tranquille, il va rencontrer Jewell, une veuve qui s’ennuie dans la vie et à laquelle il va s’attacher. Tandis que le policier John Hunt tente de remonter la piste de Tucker, celui-ci met en place un gros coup qui devrait lui permettre entre autres choses de racheter les hypothèques du ranch de Jewell. Le coup va réussir, les bandits laisseront l’argent, préférant une petite fortune en or, bien que Teddy soit blessé, mais des cassettes de vidéo-surveillance vont laisser entrevoir un portrait de Tucker. Les choses vont évoluer rapidement quand la propre fille de Tucker va écrire à John Hunt pour dénoncer son propre père. Cependant celui-ci va garder les informations pour lui parce qu’il a été dessaisi de l’affaire au profit du FBI. Il rencontrera d’ailleurs par hasard Tucker dans les toilettes d’une cafeteria. Celui-ci va cependant tomber parce que quelqu’un d’autre a parlé, on ne saura pas qui. Il va donc aller en prison où John Hunt viendra lui rendre une petite visite amicale. C’est là que Jewell va découvrir qui il était vraiment, mais elle va l’aider et va l’attendre a sa sortie de prison, espérant qu’il va enfin s’assagir, après tout il est vieux maintenant, il peut prendre du bon temps. Mais au bout de quelque temps, cette vie paisible et bourgeoise ne lui conviendra plus, il retournera braquer des banques, quatre dans la même journée et se fera prendre. Il ira finir sa vie en prison.
Forrest Tucker rencontre Jewell en revenant d’une attaque de banque
Ce film très nostalgique c’est d’abord la nostalgie d’un certain cinéma, ce cinéma populaire qui a fait la gloire de Robert Redford. Par exemple Butch Cassidy and Sundance Kid, film au succès planétaire qui donne une aura romantique à des entreprises criminelles. Un des premiers rôles qui avait fait connaitre Robert Redford c’était celui de Charlie Reeves dans l’excellent The chase d’Arthur Penn dont la vedette était Marlon Brando. Le film de David Lowery reprendra d’ailleurs quelques images de ce film pour figurer une des multiples évasions de Forrest Tucker. C’est donc tout à fait un film dans la tradition des rôles que Redford a interprété au cours de sa très longue carrière. Le scénario a été un peu gauchi, tirant sur le politiquement correct. John Hunt est marié à une afro-américaine, et Teddy Green est noir, ce qui n’était pas le cas du véritable Teddy Green. Mais glissons sur ses petits accommodements à la mode que pour ma part je ne trouve pas utiles et revenons à la thématique du film : ce sont des vieux qui commettent des actes criminels pas seulement pour l’argent, mais surtout pour ce refus de se laisser mourir en croupissant dans une vie normale. C’est un phénomène qui commence à prendre de l’importance dans les sociétés occidentales vieillissantes, les vieux refusent de disparaître et se prolongent au-delà du nécessaire. Ce film devrait être la dernière interprétation de Robert Redford qui a dépassé 82 ans et fait figure de vétéran à Hollywood. C’est comme un adieu à lui-même et à ce qu’il a été.
Forrest Tucker travaille en souplesse, avec son sonotone pour surveiller la police
Tucker est en vérité un solitaire qui finalement n’attend qu’une chose de la vie qu’on l’attrape enfin. Il sera trahi évidemment par les siens, et en premier lieu par sa propre fille qui lui manifeste une aigreur terrible parce qu’il ne s’est jamais occupé d’elle. Jewell ne le trahira pas, mais c’est déjà une vieille femme qui n’attend plus grand-chose de la vie. Le policier John Hunt est là en observateur, incapable de conclure quoi que ce soit sur ce qu’il doit faire, ce ne sera pas lui qui arrêtera ce voleur apparemment insaisissable. Le film est donc le portrait d’un homme complètement perdu dans l’Amérique qu’il ne comprend pas. Et sans doute aussi que Robert Redford n’a pas très bien compris ce qui était arrivé au cinéma américain qui est devenu dans l’ensemble si médiocre. C’est peut-être là que git finalement le principal intérêt de ce film. D’ailleurs Lowery bâclera ce qui aurait pu être le clou du film l’exécution du gros coup. A moins que celle-ci ait disparu au montage. Le film ne durant qu’à peine plus d’une heure et demi, ce qui est un peu léger aujourd’hui.
Le trio de vieux gangsters met en place un coup énorme
Si la problématique n’est pas très clairement définie, la réalisation n’est pas très remarquable non plus. Curieusement alors que sa durée est relativement brève, le film parait très long pour le spectateur. C’est très mal équilibré. Le début est intéressant, à voir claudiquer Robert Redford manifestement pas dans une forme physique éblouissante, mais la romance entre Jewell et Tucker est interminable. Il y a une utilisation un peu lourde des symboles, ces fenêtres qui s’ouvrent sur nulle part et qui indique une soif de liberté, même chose avec les chevaux qui, comme dans Asphalt Jungle, sont la promesse d’un ailleurs qui n’existera jamais. L’image est sombre et terne, bien qu’elle filme complaisamment les marques de la vieillesse des principaux acteurs. Les attaques répétées de Tucker aux guichets des banques sont filmées sans grâce, avec des plans rapprochés, camp, contrechamp, qui finalement cassent l’émotion qu’il peut y avoir lorsqu’un employé de banque est menacé d’un révolver. La profondeur de champ est assez peu utilisée, sauf au moment de la préparation du grand casse de la banque, et de même les courses de voiture sont peu travaillées. Certes tout le monde ne peut pas être un spécialiste des films d’actions, mais des voleurs ce niveau-là sont aussi des gens qui ont forcément des émotions très fortes et qui marchent à l’adrénaline, là, la tension reste absente. Lowery opère trop souvent par ellipses dans les moments clés ce qui non seulement ralenti le rythme, mais finit par dédramatiser la situation. On ne verra pas non plus Tucker en train de commettre l’une de ses évasions spectaculaires, c’est à peine si elles sont suggérées. Le parti pris est celui de la mise en scène de la vieillesse, mais alors pourquoi choisir un braqueur de banque et refuser tout ce qui peut ressembler à des scènes d’action ? Pourquoi ne pas prendre un vieil instituteur ? Le côté bancal de l’affaire vient aussi qu’on ne connaitra rien de la vie sentimentale passée de Tucker, alors même que sa fille le vend à la police. Quelles sont ses motivations réelles ? Ni film noir, ni comédie policière, The old man and the gun finit par ne plus ressembler à rien.
C’est la propre fille de Tucker qui va mettre la police sur ses pas
L’interprétation c’est d’abord Robert Redford qui effectivement fait un adieu assez pathétique à sa jeunesse et à son physique de séducteur. C’était en effet pour une grande partie grâce à son physique de séducteur qu’il avait connu le succès, le choix de ses films faisant le reste par la suite. Il n’a jamais été un acteur très nuancé, plutôt monolithique, il excellait dans les rôles de quasi-mutiques. Certains ont voulu voir dans cette ultime prestation un de ses meilleurs rôles. C’est bien exagéré, malgré tout Robert Redford aura fait quelques très beaux films, notamment sous la direction de Sydney Pollack. Mais le film se base sur cette capacité de Redford à mettre en scène sans complexe les misères du naufrage de la vieillesse. Il ne masque pas cette déchéance physique qui tôt ou tard atteint tout un chacun, même les icônes d’Hollywood. On l’a dit, il marche difficilement, comme un très vieil homme, mais son visage est maintenant parcheminé, fripé sous une touffe de cheveux pas encore tout à fait blancs. Il joue un homme de 60 ans, mais il fait bien plus que les soixante-dix. Au début cela renforce le côté pathétique du film, mais ensuite, ça frise un peu l’indécence. Ça rappelle un peu le film de Jeff Kanew, Tough guys, film policier qui réunissait Kirk Douglas et Burt Lancaster en 1986, pour un improbable retour encore une fois sur deux anciens voyous tentant un coup ultime, chapeau compris. Sauf que c’était là une comédie sans prétention à disserter, alors qu’ici ce devrait être un drame teinté de mélancolie. Dans le rôle du policier il y a le toujours très bon Cassey Affleck, acteur fétiche de Lowery, il est parfait dans le rôle de celui qui compte les points en réunissant les fils de l’énigme. On se demande pourquoi on ne le voit pas plus souvent. Sissy Spacek, vieille gloire d’Hollywood, couronnée star pour ses prestations dans Badlands de Terence Mallick et surtout dans Carrie de De Palma, est ici la vieille Jewell qui tombe amoureuse de ce vieux voyou de Tucker. C’est une très bonne actrice, très représentative de cet Hollywood de gauche qui tente de dépasser le simple entertainment pour aller vers le film à message. Elle est très bien. On retrouvera tout au long de ce film des tas de visages vieillis et presque disparus comme Danny Glover dans le rôle de Terry, ou de Tom Waits dans celui de Waller. Keith Carradine fera aussi une petite apparition. Ils ont tous une belle présence.
John Hunt croise par hasard Tucker
L’ensemble laisse donc un goût très partagé, et sans doute cela ne laissera-t-il guère de traces dans les mémoires si ce n’est pour dire, c’était la dernière apparition de Robert Redford en tant qu’acteur. Si le film a bénéficié généralement de très bonnes critiques, le public a traîné les pieds pour en faire un succès. Sans doute est-ce un peu dérangeant de voir un ancien séducteur de l’écran dans le rôle d’un très vieux bonhomme bien abimé par la vie, mais le plus important est qu’on finit par se perdre dans les intentions de l’auteur et finalement par se désintéresser de l’histoire elle-même, alors que le vrai Forrest Tucker est un personnage très haut en couleur qui sans doute méritait un peu mieux.
A sa sortie de prison, Jewell sera là
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