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Police sur la ville, Madigan, Don Siegel, 1968
Décidemment l’année 1968 a été un excellent cru pour le film noir ou plus précisément pour sa tendance néo-noir. Cette année-là, on eut droit à Bullitt de Peter Yates[1] et à Point blank de John Boorman[2]. Bullitt se passait à San-Francisco, Point blank, à Los Angeles principalement. Il était donc dans l’ordre des choses que Madigan se déroule à New York. Dans les trois cas les décors urbains réels jouent un rôle décisif. L’histoire ne se veut pas héroïque, ni même extraordinaire, mais plutôt ancré dans le quotidien des policiers. Le scénario est basé sur un ouvrage de Richard Dougherty qui n’a jamais été à ma connaissance traduit en français. Dougherty était d’abord un journaliste, et c’est sans doute de cette expérience de journaliste qu’il a tiré son roman. The commissioner veut dire en anglais « le commissaire », soit le chef de la police. En vérité le film déborde le personnage du chef de la police largement et donne un rôle décisif au policier Madigan.
Une paire de flics, Rocky Bonardo et Dan Madigan, tentent d’arrêter un truand nommé Benesch. Mais ils font une erreur, et il leur échappe après leur avoir volé leurs armes. Cela va leur valoir des remontrances aigües. Le chef de la police, Russell, leur donne 72 heures pour le retrouver. Mais Russell a bien d’autres soucis, Charley Kane qui est aussi bien son meilleur ami que son fidèle lieutenant, semble avoir cédé au trafic d’influence. Il ne sait pas quoi faire et n’ose même pas en parler avec lui. Madigan et Bonaro suivent une fausse piste, tandis que Russell essaie de mettre un peu d’ordre dans ses relations avec sa maîtresse, la belle Tricia. Il va parler à Kane et lui demander des explications. Celui-ci avoue que c’est son fils, qui est aussi membre de la police qui s’est fait piéger bêtement par le truand, et donc qu’il l’a couvert. Kane propose de démissionner, mais Russell n’accepte pas. Pendant ce temps Madigan et Bonaro cherchent Benesch, ils vont se servir pour cela d’un nain, Castiglione, qu’ils retrouvent à Coney Island et qui les met sur la piste d’un certain Hughie qui fournit Benesch en filles. Madigan et Bonaro bouscule un peu Hughie et celui-ci se fait coopératif. Comme il ne sait pas où loge Benesch, il faut attendre le soir que le truand contacte Hughie. Madigan va accompagner sa femme à une soirée de la police, mais il doit rapidement s’esquiver. Le temps qu’il rejoigne Bonaro, deux autres policiers en tenue ont aperçu Benesch, ils vont essayer de l’arrêter, mais celui-ci leur tire dessus et arrive à s’enfuir. La femme de Madigan flirte un moment avec un autre policier qui assiste au bal, mais elle refusera d’aller plus loin. Finalement Hughie arrive à loger Benesch et appelle Madigan. La police est sur les dents, l’hôtel où s’est réfugié Benesch est cerné bien peu discrètement. Madigan et Bonaro montent à l’assaut, ils vont flinguer Benesch, mais Madigan sera mortellement blessé, laissant sa femme au désespoir qui invective Russell et le désigne comme responsable de la mort de son mari.
Dans le petit matin les flics attendent
Cet excellent scénario est dû à Abraham Polonsky dont la carrière a été malheureusement tronquée et massacrée pour cause de chasse aux sorcières dont il fut une victime. Il oppose deux lignes différentes, d’un côté Madigan et Bonaro confrontés à leur travail de rue, difficile et harassant, incertain et dangereux, et de l’autre les problèmes de la hiérarchie et l’amitié entre Russell et Kane qui est en train de craquer. Cette opposition a un double intérêt : d’une part, elle permet de tracer une ligne de démarcation entre le haut et le bas de l’échelle, car même si le commissaire et son adjoint connaissent bien les problèmes de la police, ils ne sont plus confrontés à la réalité du quotidien. On verra d’ailleurs Russell qui est un homme un peu rigide et qui se veut intègre, jalouser sans le dire le fait que Madigan profite de son statut de policier pour bénéficier de menus avantages, se faire offrir des repas, une chambre dans un hôtel de luxe, alors que Kane par son laisser-aller apparaît comme finalement plus dangereux pour le bon fonctionnement de la police. C’est sans doute cela qui va conduire Russell finalement à avoir un peu plus d’indulgence, comme le lui demande d’ailleurs Tricia. D’ailleurs sa relation adultérine avec Tricia va lui montrer que la frontière entre le bien et le mal est plus que floue. Mais une grande partie du film c’est aussi le travail de Madigan et de son acolyte qui se donnent beaucoup de mal pour piéger Benesch, et s’ils n’emploient pas des moyens très orthodoxes, ils représentent une certaine efficacité. Madigan apparaît sous ses airs bourrus, comme un homme finalement très moral, très droit derrière les apparences. Cela se voit dans la façon dont il s’adresse au nain sur le bord de la plage. Contrairement à Russell, il n’a aucun doute sur ce qu’il est. En filigrane il y a aussi l’amitié entre Bonaro et Madigan qui est le contrepoint de l’amitié entre Russell et Kane.
Madigan et Bonaro veulent surprendre Benesch
C’est un très grand Don Siegel, qui signe ici Donald Siegel. Très à l’aise avec la description du travail de rue, et Madigan annonce certainement le douteux inspecteur Harry. La réalisation est impeccable – il y a bien quelques transparences assez médiocres, mais après tout chez Hitchcock aussi n’est-ce pas – avec une utilisation excellente de l’écran large qui permet de donner de la profondeur de champ aux larges avenues de New-York. Les scènes tendues sont particulières réussies, que ce soit le début lorsque Madigan et Bonaro tentent d’appréhender Benesch, ou que ce soit la fausse alerte quand ils pénètrent dans le bistrot par la porte de derrière, avec une saisie sur ces arcades qui ouvrent sur une situation potentiellement dangereuse. La fusillade finale est aussi tout à fait convaincante. Il y a une science du mouvement qui est étonnante, aussi bien dans les larges panoramiques qu’en ce qui concerne les mouvements de caméra dans des espaces étroits.
Russell apprend que son meilleur ami fricote avec la pègre
L’interprétation c’est d’abord Richard Widmark, ici il n’est pas trop cabotin, il est le pivot de tout le film. Il est excellent. Henri Fonda est moins intéressant, il a même l’air de s’ennuyer un peu. Certes il joue le rôle d’un homme froid et distant, mais il n’est pas vraiment remarquable. James Withmore dans le rôle de Charley Kane montre ici toute les nuances de son jeu. C’était un très grand acteur, il le démontre encore ici. Harry Guardino qu’on retrouvera dans d’autres films de Don Siegel, notamment Dirty Harry, est lui aussi très bon. Les femmes sont très bien, que ce soit Susan Clark dans le rôle de Tricia, ou d’Inger Stevens dans celui de Julia. Mais il y a deux acteurs qui attirent l’attention sur eux, d’abord Michael Dunn dans le rôle du nain Castiglione et puis Don Stroud dont on se demande encore comment il n’a pas fait une meilleure carrière, dans le rôle de Hughie.
Tricia est écartelée entre son mari et son amant
C’est donc un excellent film qui se revoie très bien malgré les cinquante années qui nous séparent maintenant de sa sortie. Le rythme est soutenu. Ce sera un gros succès public, ce qui amènera d’ailleurs à produire une série télévisée intitulée Madigan. Cette série de six épisodes a la particularité d’avoir été écrite pour partie par le grand William P. McGivern. Pour ce faire on ressuscitera Madigan ! Tout cela démontre qu’à la fin des années soixante, il y avait un engouement très fort pour cette tendance néo-noir qui cherchait à mettre en scène une vérité aussi bien matérielle que psychologique.
Madigan et Bonaro cherchent à rentrer par la porte de service
Derrière la vitre, ils observent celui qu’ils croient être Benesch
Madigan va voir son ancienne maîtresse
Madigan et Bonaro flinguent Benesch
Tags : Don Siegel, Henry Fonda, Richard Widmark, James Whitmore, film noir, policier corrompu, New York
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Commentaires
Un très bon polar effectivement.