• Thomas Kelly, Le ventre de New York, Payback, Rivages, 1998

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    A ma grande honte je n'avais jamais lu Thomas Kelly, et j'avais bien tort. Je ne sais pas si Thomas Kelly a eu un grand succès en France, trois de ses ouvrages ont été traduits chez Rivages, mais en tous les cas, c'est un auteur qui vaut le détour et qui renouvelle le genre "noir" sans en avoir l'air, et sans faire du tapage ni au niveau du style, ni au niveau de l'histoire.

    Deux frères, l'un, Paddy, ancien boxeur raté, est devenu homme de main d'un chef de gang irlandais, l'autre, Billy, qui est manifestement un double de l'auteur, travailler l'été pour financer ses études et sortir de sa condition. Billy travaille à creuser des tunnels dans lesquels passeront des conduites d'eau pour alimenter la ville de New York. Il travaille dans la nuit presque totale à cent mètres en dessous de la surface. C'est donc un travail dangereux. Pourtant Billy ne se plaint pas, et il est plutôt heureux de retrouver dans ce travail des ouvriers avec qui il a quelque chose à partager. Car il a la fibre syndicaliste et son père est décédé justement dans ce type de travail. tout irait à peu près bien si nous n'étions pas dans les années du reaganisme triomphant. Kelly n'a d'ailleurs pas de mot assez durs pour fustiger Ronald Reagan qu'il compare souvent à un singe, ou qu'il ramène à un acteur de seconde catégorie. Dans cette période, on entame une sorte de lutte des classes : la patronat, les organisations internationales (FMI, Banque mondiale, Commission européenne) vont tout faire pour arracher les concessions qu'ils ont dû faire après le New Deal et après la Seconde Guerre mondiale. Et bien sûr ils vont gagner cette guerre. Pour cela tous les coups sont permis : mus par une cupidité plus que déraisonnable et par le désir de punir ces salariés qui leur ont fait si peur à la fin des années soixante et au début des années soixante et dix, ils ne vont pas hésiter à employer les gros bras de la mafia, cassant es jambes, tuant des délégués syndicaux, faisant régner la terreur au sein même de la ville de New York.

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    Harkness est le patron de Billy. Bien sûr il est de cette nouvelle génération de patrons qui ne connaissent strictement rien au travail, ni à la sécurité, mais qui ne songent qu'à accroître leurs profits d'une manière maniaque et compulsive. Il va s'acoquiner avec un gang irlandais dirigé par Jack Tierney pour lequel travaille Paddy. Ce Tierney est un fou furieux, un dangereux psychopathe, qui possède aussi un frère nommé Butcher Boy, dont le surnom en dit suffisamment long.

    En réalité la bataille féroce va avoir lieu non seulement entre les ouvriers des sous-sols et Harkness, mais aussi avec la police qui traque d'une manière assez désordonnée le crime organisé et qui rêve de mettre à l'ombre Jack Tierney. Briseurs de grèves, jaunes, traîtres en tout genre, policiers nonchalants ou accrocheurs, arrivistes ou honnêtes, Le ventre de New York est un roman choral de grande ampleur dont le souffle rappelle les grandes luttes sociales des Etats-Unis dans l'entre-deux-guerres, du temps que des syndicats comme les IWW (auxquels Kelly fait allusion d'ailleurs), étaient forts et posaient des problèmes au patronat qui déjà à cette époque employait des méthodes quasi-criminelles en envoyant les Pinkerton assassiner des leaders syndicaux ou tabasser des grévistes. Ce livre est traduit par Danièle et Pierre Bondil, ce dernier a participé à la retraduction des romans de Dashiell Hammett, et ce ne semble pas être un hasard, car Kelly comme Hammett a une conscience sociale forte.

    Tout cela ne suffirait pas à faire ce roman un grand roman. Mais il y a en outre une écriture forte, une grande capacité à décrire le travail ouvrier - c'est presqu'un roman "prolétarien" en ce sens qu'il pense du point de vue de l'ouvrier. Kelly travaille aussi à nous faire comprendre les relations sociales particulières qui se nouent dans ce type de milieu. Et bien sûr pour comprendre cela il faut avoir un vécu de cette sorte.

    Le ventre de New York, titre assez bêta d'ailleurs, est le premier roman de Thomas Kelly. C'est une grande réussite, même si on peut trouver que la fin a été un peu bâclée par rapport au reste de l'histoire. Ce n'est pas l'intrigue qui est le plus passionnant, mais plutôt cette capacité à faire le portrait de caractères forts. La mafia et les gangs sont décrits avec des mots plutôt durs, comme des organisations sans cœur et sa vertu, corrompues  de l'intérieur, avec une incapacité à générer de la confiance autour d'eux. Cette confiance qu'on trouve justement dans le milieu ouvrier.

    Billy hésite à entrer à l'Université, il a peur de trahir son milieu d'origine et de rejoindre ce qu'il pense être un bastion républicain - l'Université de Columbia. Paddy hésite aussi, il voudrait bien quitter le gang, refaire une vie honnête avec Rosa. Ceux qui n'hésitent pas ce sont au contraire Jack Tierney, Butcher Boy, ou encore l'abominable Harkness.

    C'est un roman très sombre et pas seulement parce qu'il se passe pour partie dans un tunnel, mais plutôt parce que les deux faces du capitalismes, les hommes d'affaires, Wall Street si on veut et le crime organisé sont une alliance redoutable qui entraîne toute la société dans sa décomposition et la corrompt totalement. On pourrait dire que mieux que cinquante traités d'économie politique, Le ventre de New York montre à quel point la pensée libérale est erronée dans ses fondements et dans sa destinée.

    Un scénario a été tiré de ce livre par David Mamet, mais il ne semble pas avoir été tourné alors que Ted Demme devait le mettre en scène. C'est bien dommage parce qu'il me semble qu'on aurait pu avoir un très bon film à partir de cet ouvrage.

     

    Pour ceux qui veulent aller un peu plus loin, on trouvera ci-dessous un lien qui mène vers une longue interview de Thomas Kelly.

    http://thenewwildgeese.com/profiles/blogs/in-his-own-words-writer-thomas-kelly

    « Les tueurs de San-Francisco, Once a Thief, 1965, Ralph NelsonA cause d’un assassinat, The Parallax view, 1974 »
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