• Three bilboards, les panneaux de la vengeance, Three bilboards outside Ebbing, Missouri, Martin McDonagh, 2017

     Three bilboards, les panneaux de la vengeance, Three bilboards outside Ebbing, Missouri, Martin McDonagh, 2017

    Ce film prolonge la tendance moderne du cinéma américain à renouveler les codes du film noir en plongeant dans les sombres cauchemars d’une Amérique déglinguée qui doute d’elle-même. Il est dans la lignée de Hell or high water ou de Wind river.  C’est un courant qui maintenant se développe très bien et donne un peu de souffle à un cinéma américain qui patine beaucoup, écartelé entre des blockbusters aussi coûteux que vides de sens et des comédies de genre assez prétentieuses à la Woody Allen qui ne sont appréciées que par la classe moyenne inférieure, semi-instruite. Ce courant relativement nouveau – encore qu’on peut le retrouver déjà dans Winter’s bone[1] – trace un portrait sans complaisance de l’effondrement de l’Amérique. Mais le pessimisme de cet ensemble conduit à ne pas proposer de solution et à décrire l’avenir comme très incertain. De film en film, cet ensemble gagne en lisibilité et en audience. Three bilboards est un des favoris à la course aux Oscars, aussi bien pour l’interprétation de Frances McDormand que pour le scénario et la mise en scène. Mais quoi qu’il en soit des récompenses, le film est déjà un gros succès public. si l’ensemble de ces films utilise le véhicule d’une histoire criminelle c’est essentiellement parce que l’Amérique est plongée jusqu’au cou dans la violence autant que dans l’ennui. 

    Three bilboards, les panneaux de la vengeance, Three bilboards outside Ebbing, Missouri, Martin McDonagh, 2017 

    Mildred a loué des panneaux pour mettre en cause la police 

    Mildred est une femme aigrie et perturbée. Son mari l’a quittée, sa fille s’est faite violer et assassiner dans des conditions atroces. Pensant que la police n’en fait pas assez pour trouver le meurtrier, elle décide de louer des panneaux publicitaires et de dénoncer cette passivité. La police locale le prend très mal, d’autant que le chef Willoughby est atteint d’un cancer du pancréas qui ne lui laisse pas d’espoir de rémission. L’initiative de Mildred va provoquer des réactions en chaîne. La police est enragée, et particulièrement l’adjoint Dixon qui essaie à tout prix de faire enlever les panneaux. Mais Mildred est têtue. Elle persiste malgré la désapprobation de son jeune fils et de son ex-mari. Willoughby qui ne veut pas mourir à petit feu décide de se suicider. En partant il laisse trois lettres, l’une à sa femme, l’autre à Dixon et la dernière à Mildred. Dixon qui apprend la mort de son chef est complètement déchainé. Il traverse la rue et s’en va faire passer Welby, celui qui a réalisé l’affichage pour le compte de Mildred, par la fenêtre. Carrément sous les yeux de son nouveau chef qui va le démettre. Mildred a reçu cependant la visite d’un personnage étrange et menaçant qui dit la connaître. Mildred qui a soif d’agir va quant à elle mettre le feu au poste de police. Mais elle le fait alors que Dixon est venu récupérer la lettre que Willoughby lui a laissée et qui l’encourage à devenir un personnage honnête et moins habité de colère. Dixon est brulé, à l’hôpital il va retrouver comme voisin de chambre le pauvre Welby qui le reconnait. Entre temps un nain, plus ou moins amoureux de Mildred va l’aider à se disculper de l’incendie, en lui fournissant un alibi. Quand Dixon sort de l’hôpital, il surprend par hasard une discussion entre deux hommes dont l’un se flatte d’avoir violé et tué dans des termes qui laissent entendre qu’il pourrait bien être le meurtrier de la fille de Mildred. Il va provoquer une bagarre avec lui pour lui prendre des lambeaux de peau dont il fera analyser l’ADN. Mais cet ADN ne révélera rien du tout. Cet homme ne peut pas être le tueur. On comprend qu’au moment du crime il n’était pas aux Etats-Unis, mais il servait dans l’armée en Irak probablement. Cette piste tombant à l’eau, il prévient Mildred. Il annonce aussi qu’il connait maintenant l’adresse de ce tueur. Il habite dans l’Idaho. Mildred et Dixon vont partir ensemble dans cet Etat sans trop savoir s’ils vont tuer ou non ce bonhomme.  

    Three bilboards, les panneaux de la vengeance, Three bilboards outside Ebbing, Missouri, Martin McDonagh, 2017 

    Le chef Willoughby explique à Mildred que l’enquête est difficile 

    Ebbing, ville imaginaire du Missouri, porte tous les maux ordinaires de l’Amérique contemporaine. Willoughby, le seul personnage qui possède un peu d’humanité est en train de mourir d’un cancer. Tous les autres ne savent guère où ils vont. Il est évident que si Mildred est si acharnée à se venger, c’est qu’elle culpabilise la mort de sa fille, notamment parce que le dernier jour qu’elle l’a vue, elles se sont engueulées d’une manière virulente. Dixon, le troisième côté de ce curieux triangle, est un policier raciste et borné. Aux Etats-Unis c’est ce personnage qui a été critiqué. Parce que dans le Missouri la police est plutôt raciste et que les actes contre les noirs sont très fréquents – Ferguson est dans le Missouri. Et donc on en a déduit que McDonagh n’aurait pas dû choisir Dixon pour porter cette volonté de rédemption que lui suggère Willoughby avant de mourir – on en a déduit que McDonagh se trompait parce qu’il n’était pas américain (il est d’origine iralandaise) et qu’il minimisait le racisme envers les noirs. Mais justement, cette critique se trompe de but. En effet, le film montre bien que Dixon est un policier borné et mauvais, et donc plus il est borné et mauvais, et plus la rédemption va prendre du sens pour lui. On le voit non seulement se flatter d’avoir torturer des noirs en toute impunité, mais aussi défénestrer un jeune homme qu’il croit être homosexuel. C’est bien le sens de la lettre de Willoughby, il sait que Dixon a un comportement horrible au quotidien, mais il lui fait confiance pour s’amender et trouver quelque chose de bon au fond de lui-même. Et c’est ce qui se passera. En fait le personnage de Dixon est peut-être le plus important, parce que c’est lui qui définit le but particulier que poursuit McDonagh. La parabole est tellement claire, que vers la fin du film, non seulement Dixon partira avec Mildred, mais qu’il aura droit aux félicitations du chef de la police, un noir ! 

    Three bilboards, les panneaux de la vengeance, Three bilboards outside Ebbing, Missouri, Martin McDonagh, 2017 

    L’ex-mari de Mildred est en colère 

    L’effondrement de l’Amérique c’est aussi, au-delà de cette violence, la fin de la famille traditionnelle. Le mari de Mildred, un ancien policier, l’a quittée pour se mettre avec une jeune fille qui a 25 ans de moins que lui. Dixon vit seul avec sa mère, incapable d’avoir des relations humaines avec quelqu’un d’autre. La seule famille normale est celle de Willoughby. Mais cette famille est en voie de dissolution à cause du cancer du policier qui va se suicider. Consciemment ou non, le suicide de Willoughby est une métaphore du suicide de l’Amérique. La fin reste volontiers ambigüe, puisqu’en effet Mildred et Dixon se proposent d’aller faire la peau à un autre violeur, un autre assassin, dans l’Idaho, comme si cela pouvait compenser la perte de la fille de Mildred. Cependant, lorsqu’ils prennent la route, ils ne sont pas certains d’assumer jusqu’au bout ce rôle de justiciers. On peut supposer que la longue route qu’ils vont accomplir les transformera aussi. On voit que l’ensemble du film s’il traite de la violence et de la décomposition de l’Amérique, traite aussi des conduites incertaines qui les accompagnent nécessairement.

    Three bilboards, les panneaux de la vengeance, Three bilboards outside Ebbing, Missouri, Martin McDonagh, 2017  

    Willoughby se suicide 

    Si les intentions du scénario apparaissent limpides, il n’en va pas de même pour la mise en scène. La photo est très bonne, « jolie » on pourrait dire. Mais la photo ne fait pas la mise en scène. Celle-ci manque manifestement de grâce. Elle joue surtout sur des oppositions, par exemple entre le cadre idyllique de la campagne environnante et la noirceur de l’âme des personnages. Ou encore celle entre les animaux et les humains : Willoughby se suicide sous le regard de ses chevaux, et Mildred croise une biche qui semble arriver de nulle part, comme si elle reprochait aux humains ce qu’ils ont pu faire de la planète. Le film s’inscrit donc dans ce courant américain nouveau, très néo-réaliste finalement, où les mouvements de caméra, les angles de prises de vue ne semblent pas avoir beaucoup d’importance et de signification. Même les scènes d’action, quand Dixon défenestre Welby par exemple ou quand Dixon se fait rouer de coups, sont filmées sans attention particulière. C’est ce qui fait que tous les films de ce courant finissent par se ressembler un peu. Le film est plutôt bavard et donc multiplie les face-à-face édifiants qui expliquent lourdement le comportement des protagonistes. Cela traduit l’incapacité de McDonagh à traduire en images des sentiments ou des idées.    

     Three bilboards, les panneaux de la vengeance, Three bilboards outside Ebbing, Missouri, Martin McDonagh, 2017 

    Dixon a défénestré Welby sous les yeux de son nouveau chef 

    En vérité McDonagh apparaît plus comme un metteur en scène de théâtre que comme un véritable réalisateur de cinéma. Et à ce titre il est porté à faire une grande confiance à ses acteurs. Il n’a pas tort. Ce sont eux qui finissent par porter l’intérêt du film. Frances McDormand qui joue Mildred est, on l’a dit plus haut, en course pour l’Oscar. C’est une grande actrice, on le sait depuis très longtemps. Elle est ici excellente une fois de plus, habitée par une rage inquiète et incertaine, elle se retrouve plusieurs fois dans une position fragile, face à ce tueur qui vient la visiter, ou face à son ex-mari qui la menace d’une raclée. Woody Harrelson dans le rôle du chef Willoughby est aussi très bon, quoiqu’il soit un peu à contre-emploi et qu’il disparaisse à la moitié du film. Mais cet acteur est toujours très bon. Ici il apporte cette touche d’humanité qui laisse entendre que peut être tout n’est pas encore perdu. Et puis il y a Sam Rockwell dans le rôle de Dixon. C’est peut-être lui le meilleur des trois, encore que cette hiérarchisation des valeurs ne semble pas convenir trop. Il est capable de nuancer toutes ses attitudes et de prouver l’évolution morale de son personnage. Dans un petit rôle on reconnaitra aussi le très bon John Hawkes. Evidemment dès lors qu’on met un peu trop l’accent sur les acteurs, c’est un peu comme si en creux on reconnaissait les lacunes du réalisateur.

     Three bilboards, les panneaux de la vengeance, Three bilboards outside Ebbing, Missouri, Martin McDonagh, 2017 

    Mildred et Dixon partent dans l’Idaho 

    Le film a connu un grand succès critique – à part quelques critiques grincheux qui l’ont trouvé pas assez engagé contre le racisme et qui oublient que ce n’était pas le sujet. Il a été applaudi dans tous les festivals où il est passé. Mais plus encore, il connait maintenant un très grand succès public aux Etats-Unis et dans le monde. Sans doute bénéficie-t-il du repoussoir du président Trump, en présentant une lecture particulière de l’effondrement de l’Amérique : les Américains semblent à la recherche de nouvelles formes de socialisation, et le cinéma le montre. C’est donc un film qui ne manque pas d’intérêt, même si nous sommes loin du compte en ce qui concerne la qualité de la réalisation. Il est en effet clair que McDonagh ne se préoccupe pas vraiment de technique cinématographique et qu’il privilégie clairement le message sur la forme.

     

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/winter-s-bone-debra-granyk-2011-a114844914

    « Cosa Nostra, The Valachi papers, Terence Young, 1972Jeff, Jean Herman, 1969 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :