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Un nommé La Rocca, Jean Becker, 1961
C’est tiré d’un des meilleurs ouvrages de José Giovanni, L’excommunié. Paru en 1958 chez Gallimard, c’est son cinquième roman. Ce roman sera par la suite retitré La scoumoune. José Giovanni part d’une légende milieu marseillais, Antoine la Rocca, un homme violent et assez craint dans le milieu, débarqué très jeune à Marseille depuis le sud de l’Italie. Il était un homme de main pour une des bandes qui proliféraient dans le quartier du Panier et qui s’affrontaient avec ceux de la Belle de mai. C’était aussi un souteneur. Mais après plusieurs meurtres il dû s’exiler en Amérique du Sud, où là encore il connut une vie turbulente. Ayant plusieurs tueurs à ses trousses, il choisit de revenir en France où il fut arrêté. Condamné à 15 ans de prison, il en sortit finalement en 1946. L’année suivante il était abattu à Paris. Il avait cinquante ans. Le personnage d’Antoine La Rocca dont le surnom était La Scoumoune, n’était pas un personnage très reluisant, mais José Giovanni va le transformer et le réinventer comme un héros solitaire dont la morale et l’amitié sont les moteurs. Il l’appellera Roberto La Rocca. Cet ouvrage très nostalgique, probablement écrit en prison, permet à José Giovanni de liquider quelque part ses années de jeunesse qu’il passa à Marseille pendant l’Occupation[1].
Roberto La Rocca est appelé à Marseille pour soutenir son ami Xavier Adé. Celui-ci s’est en effet fait piéger par des rivaux qui ont mis un cadavre dans le coffre de sa voiture. Il est en prison. Roberto en arrivant à Marseille commence par prendre une des filles de Villanova qu’il soupçonne d’être à la source des ennuis judiciaires de Xavier. Mais Villanova veut chasser Roberto de la ville. Il s’ensuit que Roberto va abattre Villanova et prendre sa place à la tête d’un cercle de jeu. Dans la foulée, il élimine aussi Ficelle et s’accapare son bar de nuit. Ayant retrouvé la sœur d’Adé, Geneviève, il va imaginer faire évader Xavier. Il n’en aura pas l’occasion, en effet, étant lui-même confronté avec des racketteurs, il va être mêlé à une fusillade. Blessé, il sera condamné à la prison. Là il va retrouver Xavier. Celui-ci est maltraité par le prévôt, Roberto intervient de manière violente et remet les choses à leur place. Pour écourter leur peine, Xavier et Roberto s’engage dans le déminage. C’est un travail dangereux, et Xavier y perdra un bras. On les retrouve peu après à Paris. Xavier, Geneviève dont Roberto est amoureux cherchent à acquérir une propriété mais comme il leur manque encore de l’argent, Xavier ne trouve rien de mieux que de racketter un autre truand, Nevada. Celui-ci va envoyer ses tueurs qui prétendent kidnapper Geneviève en attendant que Xavier rende l’argent. Mais Geneviève est tuée. Cette fois Roberto ne pardonnera pas à Xavier et ce sera la fin de leur amitié.
Charlot l’élégant devient le complice de Roberto
Ce sont les thèmes habituels brassés par José Giovanni : l’amitié virile qui passe par-dessus les dangers, mais aussi les trahisons. C’est évidemment une tragédie, et cette tragédie parle aussi bien de l’amitié perdue que de l’amour impossible, non seulement Roberto et Xavier se sépareront, mais tous les deux perdront Geneviève. Le reste c’est la longue litanie de la violence et l’impossibilité d’en sortir. C’est cette violence qui empêche que des sentiments plus purs puissent s’exprimer. Roberto est un héros, il a une morale singulière qu’il a élevé au-dessus de tout, y compris celle de sa propre liberté.
Roberto et Geneviève sont à Aix pour le procès de Xavier
Le film de Jean Becker se passe en 1960. Ce qui rend l’histoire un peu incompréhensible. Par exemple Roberto, dans le roman rencontre le maire de Marseille qui n’est autre que Simon Sabiani, personnage politique qui passera de la gauche à la collaboration puis qui après la guerre s’exilera à Barcelone où il mourra en 1956. José Giovanni l’a connu et rencontré, et c’est ce qui explique l’étrange scène qu’il décrit et qui n’est pas reprise dans le film, le maire de Marseille jouant avec son œil de verre. Les mœurs ont complètement changé entre les années trente et les années soixante. Du reste le fait que Roberto soit racketté par des déserteurs de l’armée américaine ne peut avoir de sens qu’à la Libération, mais pas en 1960. Le ménage avait été fait à Marseille par les gangsters corses qui tenaient la ville. Il faut noter que c’est le premier film de Jean Becker, et José Giovanni présentait sa collaboration avec lui comme une sorte de dette qu’il payait au fils de Jacques Becker. C’est en effet ce dernier qui avait permis à José Giovanni de débuter comme scénariste sur l’adaptation de son roman Le trou. José Giovanni ayant travaillé sur le scénario et sur les dialogues, il est difficile d’avancer qu’il a été trahi. Du reste il ne l’a jamais prétendu.
Les racketteurs vont sortir les calibres
Un nommé La Rocca est un film à petit budget, et c’est sans doute pour cette raison que l’histoire est transposée au début des années soixante. Belmondo était au commencement de sa carrière, mais il avait déjà une certaine envergure. En outre, il avait tourné dans Classe tous risques¸ avec Lino Ventura, sous la direction de Claude Sautet, et il avait pu apprécié le travail de José Giovanni. Le manque de financement va infléchir le tournage. D’abord dans le fait que Becker va utiliser de nombreux décors naturels et particulièrement Marseille. On passe du Vieux Port à la rue Montgrand où se trouve situé le cercle de jeu, puis aux rues chaudes de Marseille, la rue Thubaneau, et enfin les rue d’Aix-en-Provence autour du Palais de justice. les séances de déminages ont été tournées à La Couronne, non loin de Martigues. Le fait que la photographie soit de Ghislain Cloquet qui avait déjà signé celle de Classe tous risques, contribue à donner une sorte de continuité entre les deux films. Evidemment Jean Becker n’a pas le talent de son père, et la mise en scène reste un peu poussive, l’ensemble manque de fluidité, mais quelques séquences sont excellentes. D’abord les difficultés du déminage qui sont très tendues, mais aussi la scène de l’enterrement si je puis dire de Villanova. Le règlement de compte dans le bar de nuit est un peu moins convaincant.
En prison Roberto va défendre Xavier
Le film est d’abord construit autour de Belmondo qui occupe l’écran du début jusqu’à la fin du film. Il est très naturel, comme il savait l’être dans les années soixante, avant d’être rattrapé par son désir de faire des comédies grand-public. Il est très bon, cependant un peu trop taciturne pour donner tout le sens tragique de cette histoire. Christine Kaufman qui deviendra la femme de Tony Curtis et s’emploiera par la suite à une carrière internationale est tout à fait Geneviève qui est décrite dans le roman de José Giovanni comme une sorte de rêve très pur, la bonne part de Roberto. Elle brille par sa discrétion, mais c’est le rôle qui veut ça. Plus problématique est Pierre Vaneck dans le rôle de Xavier. Il n’est guère crédible dans le rôle d’un dur à cuire violent et emporté. Béatrice Altariba est excellente dans le rôle de Maud, plus ou moins prostituée qui passe sans vergogne de Villanova à La Rocca. Il s’avère qu’elle n’a pas eu les rôles que son physique et son talent méritaient. Mais peut-être n’était-elle pas intéressée par une telle démarche. On retrouvera Michel Constantin dans le rôle d’un racketteur américain, un habitué de l’univers de José Giovanni, et puis Mario David dans celui de Charlot l’élégant.
Xavier et Roberto sont réunis
Contrairement à ce qu’on entend dire ici ou là, le film a assez bien marché, sans être un triomphe cependant. La critique n’a pas été mauvaise, même si elle en a souligné les défauts. Il reste que le film possède un certain charme, sans doute lié à la nostalgie qui y est attaché, et aussi cette capacité à raconter des histoires comme cela ne se fait plus beaucoup.
Geneviève a été touchée
[1] Frank Lhomeau a détaillé ce passé sulfureux dans la revue Temps noir, n° 16, 2013.
Tags : Belmondo, José Giovanni, Jean Becker, Film noir, Christine Kaufman, Pierre Vaneck
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