• Barton Fink, Joel & Ethan Coen, 1991

    Barton Fink, Joel & Ethan Coen, 1991 

    Barton Fink a été écrit, en trois semaines, en même temps que les frères Coen tournaient Miller’s crossing, comme une sorte de pause pour compenser les difficultés que ce dernier film leur causait. C’est un film difficile à classer, qui tient pour partie du film noir, et pour partie de la satire grinçante sur les mœurs hollywoodiennes. Là encore il va y avoir des références nombreuses à de très nombreux films parmi lesquels on peut repérer Double indemnity à cause du marchand d’assurances Charlie Meadows, et encore une fois The godfather, le meurtre d’Audrey Taylor dans le lit même de Barton Fink. Il y a aussi un rapport avec Sunset Boulevard de Billy Wilder et plus généralement les écrivains qui vendent leur talent contre de l’argent. Le film se passe en 1941, c’est-à-dire exactement à la date de la sortie de The maltese falcon qu’on désigne comme le premier film noir du cycle classique. On remarque que les frères Coen ont une passion pour les temps anciens, ils regardent très souvent en arrière, comme s’ils voulaient nous prévenir du désastre à venir. C’était évident dans Miller’s crossing, mais c’était déjà dans leur premier film qui, bien que se passant à l’époque contemporaine, renvoyait à des références inactuelles. Il y a donc chez eux une volonté de reconstruire le mythe, tout en gardant ses distances. Cela va se traduire par des sujets – typique est leur remake de True grit – mais aussi le choix des couleurs, des décors, ou encore des références. 

    Barton Fink, Joel & Ethan Coen, 1991

    Barton Fink est un dramaturge qui a du succès à Broadway

    Barton Fink est un jeune dramaturge dont la première pièce vient de remporter un succès public et critique. Cela amène les chasseurs de talent d’Hollywood à vouloir l’enrôler. Malgré ses réticences, il va intégrer l’équipe d’écriture de scénarios de Capitol. On lui propose d’écrire un sujet pour Wallace Beery sur la lutte ! Il est complètement perdu et seul, isolé dans un hôtel fantomatique. Mais il va rencontrer d’abord son voisin, Charlie Meadows, avec qui il sympathise et avec qui il peut échanger ses idées sur le rôle d’un écrivain dans la société. Et puis il rencontre l’écrivain renommé W P Mayhew qui picole beaucoup trop mais qui a une secrétaire, Audrey Taylor, avec qui il couche et qu’il martyrise aussi. Coincé par Ben Geisler qui exige qu’il rende rapidement une histoire, il va faire appel à Audrey Taylor. Celle-ci lui explique qu’il n’y a pas de problème, elle va l’aider, et elle avoue qu’elle écrit depuis des années les livres de Mayhew ! Barton et elle ont une relation sexuelle. Mais quand il se réveille, à ses côtés il y a le cadavre ensanglanté d’Audrey !  Effondré il va chercher l’aide son voisin Meadows. Celui-ci va le débarrasser du cadavre, mais peu à peu il doit s’en aller en voyage pour quelques jours. La police intervient pour interroger Barton, et elle lui apprend que Meadows en vérité est Mundt, un dangereux psychopathe recherché par la police. Cependant tout cela va donner des idées à Barton pour écrire son scénario très rapidement, tandis que le studio le harcèle. Il est très content d’ailleurs de son scénario, mais le studio l’est un peu moins. Revenu chez lui il retrouve les deux policiers dans sa chambre. Ils ont découvert le matelas taché de sang et demandent encore une fois où se trouve Mundt. Barton ne peut évidemment pas répondre. L’hôtel devient très chaud. Sortant dans le couloir après avoir menotté Barton au montant de son lit, les deux policiers découvrent que l’hôtel est en train de brûler. Mundt apparaît. Il sort de sa valise un fusil et abat les policiers. Il disparaît après avoir délivré Barton Fink, tandis que les flammes continuent leur travail de destruction. Barton tente de téléphoner à son oncle et à sa tante car il avait donné leur adresse à Mundt, et sans doute craint-il que sa parentèle ait été assassinée. Il se promène sur la plage, piégé par le studio qui ne veut pas le virer. Il trimballe la boite que lui a laissé Mundt et qu’il n’ose pas ouvrir. Là il va rencontrer une jeune femme qui lui rappelle la photo qui décorait sa chambre au-dessus de sa machine à écrire, comme s’il pouvait voir enfin l’autre côté de la femme qu’il a si longtemps admirée de dos. 

    Barton Fink, Joel & Ethan Coen, 1991

    Barton arrive à l’hôtel Earle 

    Contrairement à ce qu’on a pu dire, cette histoire est parfaitement compréhensible dans sa linéarité. Sa signification par contre est plus compliquée. Ce qui domine c’est le portrait d’un homme seul qui va osciller entre le rêve et la réalité. S’il prétend rechercher un rapport direct avec la vie des petites gens, il est incapable de le trouver. Dans sa naïveté, il va confondre le louche Meadows avec un honnête travailleur qui vend des assurances. Il est clairement l’image de l’intellectuel qui ne sait pas de quoi la vie est faite, il ne connaît la réalité vivante que dans les livres. Enfermé dans les mots et dans la théorie, il est rongé de solitude. Certes il se méfiait en allant à Hollywood de cette forme de cannibalisme des studios, il sera d’ailleurs incapable d’y faire face. Charlie Meadows est son double, peut-être fou et criminel, mais doué d’une grande imagination pratique, jamais en manque d’une idée pour se sortir de tous les tracas possibles et imaginables. C’est d’ailleurs lui qui par sa présence va lui permettre d’avancer dans l’écriture de son scénario. Barton Fink est seul, opposé aux studios dans une sorte de guerre des tranchées, il va en devenir le prisonnier d’une guerre qu’il a perdu lamentablement. Mais les studios qui sont sensés fabriquer le rêve des américains, sont une métaphore du pays dans son entier. Leurs dirigeants sont vulgaires, stupides, ignorants, mais ils savent se servir d’un carnet de chèques pour commander. Cet aspect est évidemment dans la droite ligne de tous les films qu’Hollywood a produit sur son propre compte, vivant aussi de sa propre critique, de Sunset Boulevard à The player de Robert Altman, en passant par les films de Minelli – le flamboyant The bad and the beautiful, Two week in another town, et encore Some came a running qui traite de la création littéraire. 

    Barton Fink, Joel & Ethan Coen, 1991

    Barton va rencontrer WP Mahew 

    Si ce film a un rapport direct avec le film noir, indépendamment de l’époque qu’il prétend représenter, c’est moins dans le contenu de l’intrigue criminelle que dans cette quête de l’identité, car Barton Fink va découvrir qui il est en devenant un jouet de l’industrie du cinéma. Néanmoins, le scénario est très déséquilibré. L’aspect criminel intervient seulement aux deux tiers du film. Autrement dit l’introduction prend deux fois plus de place que le développement, c’est certainement cela qui a troublé le public à sa sortie. On peut considérer cela comme une fantaisie voulue, ou au contraire comme une insuffisance de travail car nous savons que ce scénario a été écrit en trois semaines en même temps que les deux frères réalisaient Miller’s crossing. Je penche pour ma part pour la deuxième hypothèse, ne serait-ce que parce que l’aspect traque du serial killer n’est pas approfondi, c’est à peine si celle-ci sert à montrer le racisme et l’imbécilité de la police. Mais ce dernier aspect est noyé dans la nostalgie manifeste des frères Coen pour époque révolue, comme s’ils se demandaient permanence comme une bande d’imbéciles et de crapules a tout de même réussi à produire des films qui sont et resteront des chefs-d’œuvre. Ce portrait d’un homme faible, perdu, qui doit affronter des requins plus ou moins psychopathes – Meadows ou Gleiser, la police ou Lipnick un juif antisémite – oppose aussi New York et Los Angeles comme deux réalités de l’Amérique. La deuxième ville étant l’avenir si on peut dire de la première dans la décomposition. Remarquez que ces deux villes sont les plus « juives » des Etats-Unis. Si New York est le lieu de la concentration la plus importante des Juifs dans le monde, en dehors d’Israël – et encore en 1941, ce n’est pas certain – Los Angeles et surtout Hollywood où on peut dire que le cinéma a existé par les Juifs[1]. 

    Barton Fink, Joel & Ethan Coen, 1991

    Ben Gleiser presse Barton de sortir une histoire rapidement 

    Si on peut discuter de la forme même du scénario, la mise en scène est bien moins contestable. Joel Coen poursuit ici ses expérimentations déjà commencées dans Miller’s crossing. D’abord dans la reconstruction d’un passé qui a du mal à passer justement. L’hôtel où loge Barton Fink est un hôtel fantôme qui semble avoir été déserté, avec des longs couloirs qui ne mènent nulle part, et des paires de chaussures devant la porte des chambres qui ne paraissent avoir été mises là uniquement pour faire croire à Barton Fink qu’il n’est pas seul à loger ici avec pour seul voisin un tueur fou. On remarquera que le personnel de l’hôtel est comme absent, fantomatique, c’est le cas du réceptionniste, Chet, et sans doute encore plus du liftier qui parait avoir été oublié par le temps dans sa cage d’ascenseur. Mais l’écrivain de renom WP Mahew n’est pas mieux logé. Lorsque Barton Fink lui rend visite, il suite des coursives qui ressemblent étrangement à ce qu’on peut voir lorsqu’on film une prison. C’est l’image d’un univers concentrationnaire bien entendu. 

    Barton Fink, Joel & Ethan Coen, 1991 

    Barton se réveille à côté du cadavre d’Audrey 

    Les décors sont donc très soignés, avec des couleurs pastellisées, très travaillées dans les tons rouges, bruns et dorés qui augmentent la nostalgie. Ce travail sur les couleurs est renforcé par l’excellente photo de Roger Deakins qui travaillera assez souvent avec les frères Coen, il baigne une partie du film dans une atmosphère brumeuse, presque laiteuse. Les décors indiquent la méthode pour filmer. Joel Coen multiplie les travellings avant et arrière, mais il s’appuie sur deux maniaqueries : d’abord les plans généraux, en pied, coupés le plus souvent rapidement, ensuite les dialogues toujours filmés champ-contrechamp, sans mouvement d’appareil, ce qui est parfois un peu gênant car ça donne plus d’importance aux dialogues qu’ils n’en ont. C’est cependant compensé par un découpage très serré qui laisse la bride sur le cou des acteurs, par exemple la scène où Gleiser engueule Barton Fink et finit par grimper sur le bureau, révélant son animalité et son hystérie. Le réalisateur s’attarde un peu lourdement sur les visages transpirants, avec l’otite de Meadows qui lui dégouline des oreilles, ce qui n’est pas du meilleur effet. Certes ils visent aussi une certaine forme de grotesque, mais c’est difficile de ne pas sombrer dans la facilité. 

    Barton Fink, Joel & Ethan Coen, 1991

    La police recherche Mundt, alias Meadows 

    L’interprétation par contre est excellente et confirme que Joel Coen est un grand directeur d’acteurs. John Turturo qui avait été révélé dans Miller’s crossing est Barton Fink, la coiffure et les lunettes le confinant dans son rôle d’ahuri. Il est très bon, ce qu’on savait déjà. En fait la révélation du film c’est John Goodman dans le rôle de Charles Meadows. Il est terrible, à la fois par sa bonhommie séductrice, et par sa détermination criminelle. Il deviendra un des piliers de la cinématographie des frères Coen. A lui seul il est ici le symbole de l’ambiguïté. Les autres acteurs sont aussi à la hauteur, que ce soit l’excellent Tony Shaloub dans le rôle de Gleiser, celui qui grimpe sur le bureau, ou Michael Lerner dans celui de LIpnick, une sorte de condensé des moguls hollywoodiens, encore qu’il ressemble plus à Louis B. Meyer – à cause de ses relations avec Lou Breeze – qu’à Jack Warner. Tous les deux passent de la séduction à la colère et à la menace avec une facilité déconcertante. On retrouve aussi Jon Polito dans le rôle de Lou Breeze. Si dans Miller’s crossing il représentait la force et la duplicité, ici il représente le souffre douleur de Lipnick, effacé et soumis. Judy Davis incarne Audrey Taylor. C’est une bonne actrice qui s’est souvent perdue dans de très mauvais choix, notamment chez Woody Allen. Mais ici elle est très bien dans le rôle d’une secrétaire abusée par un écrivain dont elle écrit les livres et les scénarios, vieillissante, elle n’a guère la possibilité d’échapper de ce piège. La prestation de John Mahoney dans le rôle de WP Mahew est plus contestable, soi-disant inspiré de William Faulkner, il surjoue les scènes d’ivrognerie et finit par agacer. Steve Buscemi est le réceptionniste. C’est sa première apparition dans un film des frères Coen, mais celle-ci n’a rien de remarquable, son rôle est très bref. 

    Barton Fink, Joel & Ethan Coen, 1991

    Barton fête la fin de l’écriture de son scénario

    Ce film a été un fiasco sur le plan commercial, mais par contre il a obtenu la Palme d’or à Cannes ce qui permettait de renforcer l’aura des frères Coen comme les nouveaux cinéastes américains. Sans doute sur la durée ce film a dû équilibrer son budget, comme Miller’s crossing, mais sur le moment ce fut une déception pour nos deux frères. Comme on le comprend mon jugement reste assez mitigé, ce n’est pas ce que je préfère chez eux. Ils feront beaucoup mieux, et finiront par retrouver le succès public en salles. Notez la qualité de la bande son, comme toujours, bande son qui renforce la nostalgie du film. Une suite avait été envisagée, toujours avec John Turturo qui dans le rôle de Barton Fink aurait affronté l’HUAC, mais sans doute le fiasco commercial n’incita pas les deux frères à poursuivre cette idée. 

    Barton Fink, Joel & Ethan Coen, 1991

    Mundt réaparait au milieu des flammes 



    [1] Neal Gabler, Le royaume de leurs rêves, Calmann-Lévy, 2005 pour la traduction française. La juiverie d’Hollywood avait déjà été remarquée et dénoncée par le nazi Louis-Ferdinand Céline qui s’en désolait dans Bagatelles pour un massacre, Denoël, 1937. Gabler insiste sur la lutte sanglante au sens propre du terme entre Edison, Griffith et les Juifs d’Hollywood pour la domination de ce secteur. Ce sont Edison et Griffith qui perdront.

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