• Bleu comme l’enfer, Yves Boisset, 1986

     Bleu comme l’enfer, Yves Boisset, 1986

    Cette année 1986 fut le triomphe de Philippe Djian. Deux de ses romans furent portés à l’écran, d’abord, 37°2 le matin par Jean-Jacques Beineix, puis Bleu comme l’enfer par Yves Boisset qui depuis Canicule suivait cette veine du néo-polar. 37°2 le matin connut un énorme succès, sans doute à cause de son esthétique particulière que Boisset se refusa de suivre.  Evidemment on est prévenu, et on ne cherchera aucune vraisemblance dans cette histoire. La caractéristique profonde du néo-polar, c’est d’abord d’accumuler des situations paroxystiques ou se mêlent des scènes de violence et de sexe, puis éventuellement de trouver un vague fil rouge qui les relierait entre elles. Peu importe si l’intrigue tourne en rond et se répète, l’idée est de donner un ton plus ou moins neurasthénique, Chez Djian, c’est plutôt du côté d’une sorte de romantisme qu’on espère que la sauce prendra lors de rencontres très improbables entre des individus d’origine différente. C’est en quelque sorte une stratégie du choc qui tombe rarement sur une ambiance poétique. 

    Bleu comme l’enfer, Yves Boisset, 1986 

    Ned est un voleur de voitures, un jour il croise dans un restaurant routier Frank. Il vole la caisse du restaurant, puis s’enfuit avec le chien du patron, et Frank qui semble être son complice. Ils sont pris en chasse par la police. la course poursuite s’arrête sur le bas-côté, et Frank dévoile à Ned qu’il est un flic, et en tant que tel il se doit de l’arrêter. Pressé de revoir sa femme, il emmène Ned avec lui et l’enferme dans la salle de bains. Lily lui annonce qu’elle veut le quitter. Frank refuse à divorcer, et obtient de faire l’amour avec elle, ce qu’elle semble accepter assez facilement. La sœur de Lily, Carol, est arrivée. Elle découvre en changeant sa culotte Ned menotté après un tuyau. Les choses s’enveniment entre Frank et Lily qui veut toujours s’en aller. Comme Lily et Carol veulent partir, elles finissent par assommer Frank, délivrent Ned et partent avec lui avec la voiture de Carol. Avant de partir elles ont attaché Frank, mais celui-ci va être délivré par un collègue à lui. Il va donc partir à la poursuite de Ned. Bientôt la jalousie de Carol va faire en sorte qu’elle se fera larguer. Elle va rejoindre Frank, tenter de le séduire en pure perte car Frank veut retrouver sa femme et se venger de Ned. Celui-ci descend vers le Sud. Il va retrouver un vieux copain avec qui il fait des affaires. Mais celui-ci se trouve mêlé à une embrouille avec ceux à qui ils devaient livrer une Ferrari. Ceux-ci peu après vont enlever Marjorie la fille d’Henri. Ned se charge de la récupérer. Pour cela, lui, Lilly et Henri vont s’introduire dans une fourrière pour récupérer la Ferrari. Ils veulent procéder à l’échange de la voiture et de Marjorie. Avant de se rendre au rendez-vous, Ned bourre la voiture d’explosifs. L’échange se passe assez mal et Ned fait exploser la voiture. Mais Frank est sur leurs traces. Tandis que Ned et Lily veulent passer en Espagne, deux gangsters de la bande qui a vu l’explosion de la voiture se point chez Henri. Terrorisant la maisonnée, ils s’apprêtent à faire subir les derniers outrages à Sarah, lorsque Frank réapparaît et flingues les deux malfaisants. Ceci fait et bien fait, il reprend sa poursuite. Pendant ce temps Ned et Lily arrivent à la frontière, mais ils ne peuvent pas passer parce que Lily – cette brancaille – a pris le passeport de sa sœur et non le sien !  Ils doivent retourner en ville pour faire des photos d’identité. C’est ce qu’ils vont faire, mais sur leur route, apparait Frank. Celui-ci prétend les flinguer, mais en réalité il ménage Lily, et tandis qu’il tente de tuer Ned, celui-ci sort de la serviette qu’il trimballe toujours avec lui des bâtons de dynamite qu’il envoie avec adresse sur Frank qui va succomber à ses blessures. Ils ramènent son cadavre au Photomaton et mettent une pièce pour qu’il puisse être pris en photo. Ned et Lily passe la frontière avec la carte de policier de Frank. 

    Bleu comme l’enfer, Yves Boisset, 1986

    Frank suit Ned après que celui-ci ait volé la caisse d’un restaurant-routier 

    C’est une histoire sans surprise avec les rebondissements attendus. Au scénario on retrouve Jean Hermann qui semble s’être un peu acharné à rendre cette histoire bien plus ridicule qu’elle ne l’était. Les personnages ont une logique qui semble avoir échappé aussi bien à Djian qu’à Boisset. C’est donc l’histoire d’un trio dont le représentant de la loi sort vaincu. Mais dans ce trio l’attirance de Ned pour Lily est compensée par l’attirance de Frank pour Ned. A côté de ce trio, il y a une jeune femme totalement neurasthénique, Lily, qui ne sait pas très bien ce qu’elle veut. Elle ne veut pas de Frank, mais couche avec lui, elle veut de Ned, mais elle se refuse à lui, menaçant même de s’ouvrir les veines s’il la touche. Marginale dans l’âme, elle renonce à l’homme de la loi pour se tourner vers un délinquant qui se promène avec des explosifs ! L’ensemble se caractérise par une fuite sans repos. Le but serait de trouver un ailleurs qui n’existe pas. Mais on sent bien que de passer une frontière ça ne suffira pas. Ce road-movie hésite entre le western et la célébration des marges, comme d’un résidu de la pensée 68, vivre sans temps mort et jouir sans entrave. Mais ça finit par tourner à la guignolade. Non content de récupérer Marjorie, Ned, sans état d’âme, va faire exploser ceux qui l’ont enlevé pour se faire payer leur dû. La psychologie minimaliste des personnages ne permet pas de connaitre leurs intentions profondes, sauf peut-être celles de Frank. Ned reste mystérieusement « cool » face à tous les dangers, un peu comme un personnage de bande dessinée. 

    Bleu comme l’enfer, Yves Boisset, 1986 

    Lily et Carol ont assommé Frank 

    Les poursuites en voiture, et les transparences qui vont avec occupent une bonne moitié du film. On dirait un catalogue pour la vente des voitures étrangères. On passe de la BMW à la Mercedes, puis de la Mercedes à la Ferrari qu’on fait joyeusement sauter, et enfin, une fois assagi, on passe la frontière avec une Land Rover qui possède pour une fois des vrais papiers. Dans ce scénario paresseux, on met en scène des personnages qu’on abandonne sans raison quelques instants plus tard. C’est flagrant avec Carol qui disparait bien trop vite. Mais c’est aussi choquant avec le chien que Ned délivre de ses chaînes et qui d’un seul coup n’st plus là. Les décors utilisés sont tout aussi décousus. On passe de l’entrée de Marseille dans le générique, à des paysages de raffineries qui ont dû être photographiés du côté de l’étang de Berre, puis tout d’un coup on s’en va dans l’Aveyron visiter les vieilles pierres d’Henri et Sarah qui ressemblent à deux Parisiens en villégiature. De même que les deux gangsters qui se font abattre par Frank sortent d’on ne sait où, alors que manifestement leur patron est mort dans l’explosion de la Ferrari. 

    Bleu comme l’enfer, Yves Boisset, 1986 

    Frank veut partir seul à la poursuite de Ned 

    On suppose que Boisset se sentait un peu vieillir et donc qu’il a tenté de se renouveler aussi dans la manière de filmer, voulant donner à l’ensemble un côté rock’n roll, on y a ajouté au blouson de cuir de Frank, une musique assez insipide. Mais soyons juste, c’était très difficile avec un tel scénario de réussir la mise en scène. Quelques scènes sont plutôt réussies, par exemple la visite à la fourrière, ou même l’introduction qui voit Ned mettre le feu au restaurant routier. Les scènes les plus pates sont celles qui tentent de nous expliquer combien la pauvre Lily souffre énormément de son mal de vivre. Les scènes de sexe sont du reste assez pénibles. Si on enlève toutes les scènes qui ne vont pas à l’essentiel, on pourrait raccourcir le film d’une bonne demi-heure. Ici et là on voit des idées jaillir comme par exemple ces pièces plongées dans la pénombre, protégées par nos vieux bons stores vénitiens. 

    Bleu comme l’enfer, Yves Boisset, 1986

    Lily et Ned arrivent chez leurs amis 

    Parmi les graves défauts que recèle le film, il y a le choix des interprètes. Lambert Wilson a une voix très désagréable et avec son petit cartable il à l’air plus d’un étudiant attardé que d’un voyou endurci. Il est sensé jouer Ned. Mais sa haute taille ne compense pas son manque de personnalité. Ensuite il y a Myriem Roussel, venant de chez Godard, elle est la neurasthénique Lily. Si elle a un physique très séduisant, son jeu est des plus limités. On dirait qu’elle se croit chez Rohmer, ou encore chez Godard. Elle manque de sang. Plus intéressant sont les deux seconds rôles. Tcheky Karyo incarne le flic violent qui ne sait pas faire autre chose que s’affirmer violemment. C’est un très bon acteur, il relève nettement le niveau. Agnès Soral n’est pas trop mal dans le rôle de Carol qui voudrait bien qu’on l’aime, bien que sa diction s’apparente plus à ce qu’on attend d’un téléfilm sur la vie quotidienne des Parisiens. Il y a aussi Benoit Régent, acteur solide, trop tôt disparu. 

    Bleu comme l’enfer, Yves Boisset, 1986 

    Carol tente de séduire Frank 

    Le film a été un fiasco public et critique. Boisset n’en parle pas, et je suppose qu’il ne veut pas remuer le couteau dans la plaie, sachant qu’il n’a pas bien réussi à donner du corps à ce film. Mais à mon sens le handicap était dès le départ trop lourd. Il n’existe pas sur le marché français de DVD ou de Blu ray de ce film. Même si on a marqué nettement les distances avec cette entreprise, Boisset ‘étant pas n’importe qui, c’est une lacune. J’avais vu se film à sa sortie, et je l’avais presque totalement oublié jusqu’à maintenant quand je me suis dit que tout de même il faudrait qu’on parle un peu du noir et du néo-noir chez Boisset. 

    Bleu comme l’enfer, Yves Boisset, 1986

    A la fourrière ils cherchent à récupérer la Ferrari 

    Bleu comme l’enfer, Yves Boisset, 1986

    Frank arrive juste à temps pour que Sarah et Marjorie évitent l’irréparable 

    Bleu comme l’enfer, Yves Boisset, 1986

    Frank est mort, Ned prend sa photo

     

     

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