• Blue Steel, Kathryn Bigelow, 1989

     Blue Steel, Kathryn Bigelow, 1989

    C’est un néo-polar, signé Kathrin Bigelow, il est sorti dans la plus grande indifférence, même si on a salué la performance de Jamie Lee Curtis. Ce film s’inscrit, au moins pour partie, dans cette tendance moderne et hyperréaliste à présenter les difficultés et les tourments des policiers. Le scénario a été écrit par Kathryn Bigelow et Eric Red qui avait par ailleurs écrit Hitcher qui sera réalisé par deux fois, dont l’une en 1986 avec une bonne performance de Rudiger Hauer. Le succès de ce film amena un inévitable remake en 2007. Mais déjà on pouvait repérer dans ces deux films un goût évident pour les malades mentaux, assassins de surcroît et ivre de leur puissance qu’ils croient détenir les plaçant au-dessus du commun des mortels. Red avait déjà travaillé avec Kathryn Bigelow sur Near Dark, un film gore extrêmement oubliable, sauf à confirmer le goût de Red et de Bigelow pour les personnages bizarres. C’est un film volontairement violent, par les scènes de meurtre, par la pression psychologique subie par les protagonistes, ce qui va l’éloigner du simple réalisme et susciter une esthétique particulière. Il est à noter que le film a été produit par Oliver Stone qui, s’il est intéressé par le film noir ou néo-noir, se veut aussi un critique acerbe de l’Amérique, de sa violence et de son arrogance. 

    Blue Steel, Kathryn Bigelow, 1989 

    Megan vient d’abattre un braqueur de superette 

    Megan Turner s’est engagée dans la police. Mais pour ses débuts, elle va être confrontée à une situation difficile. Lors d’une patrouille de nuit, alors qu’avec son collègue elle boit un café, elle aperçoit de l’autre côté de la rue un homme en train de braquer une supérette. Se sentant obligée d’intervenir, elle n’attend pas son partenaire, et après être entrée par derrière, elle abat le voyou qui la braquait avec un Magnum 44. Dans l’affolement, elle ne remarque pas qu’un des clients qui s’étaient couchés sur le sol a subtilisé l’arme du bandit. La police va la suspendre parce qu’elle ne peut pas prouver qu’elle était en état de légitime défense. Eugene Hunt qui a pris l’arme, est un riche trader. Cette arme va lui donner le goût de commettre des meurtres. Mais comme il a le mauvais goût d’avoir marqué les balles d’un « Megan Turner », la police comprend que la version de Megan est crédible. Nick va tenter de servir de Megan pour piéger l’assassin. Mais Eugene va rentrer en contact avec Megan. Il fait le charmant, l’invite au restaurant et la séduit. Cependant les meurtres continuent. Voulant démontrer son invincibilité, Eugene va avouer être le meurtrier et il lui dit qu’il l’avait déjà rencontrée à la supérette. Il va proposer à Megan une sorte d’alliance. Celle-ci l’arrête sur la base de ses aveux. Mais les preuves étant insuffisantes, il est relâché. Pour se venger, il va assassiner la meilleure amie de Megan quasiment sous ses yeux, et assommer celle-ci. Nick et Megan vont directement chez Eugene, mais là encore il a prévenu son avocat, et les preuves manquent. Plus tard Megan retrouve Eugene chez ses parents qui ne doutent de rien. Nick et Megan décident de suivre Eugene et ils le surprennent en train de chercher l’arme qu’il a enterrée dans Central Park. Mais Nick empêche Megan de l’abattre et Eugene s’en va. Ils décident de surveiller l’endroit pensant qu’il va revenir. C’est ce qui se passe, mais tandis que Megan est trompée par une lumière, Eugene arrive pour tuer Nick dans la voiture. Heureusement Megan lui tire dessus et blesse Eugene qui s’enfuit. Megan et Nick reviennent chez elle, mais Eugene est déjà là. Il abat Nick puis viole Megan.  Transportés tous les deux à l’hôpital, Megan après s’être assuré que Nick vivra, va se lancer à la poursuite d’Eugene. En fait celui-ci est déjà derrière elle. Une première fusillade s’engage où Megan et Eugene sont blessés tous les deux. Mais Megan aura finalement le dernier mot et abattra Eugene. 

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    Megan est suspendue parce qu’elle ne peut pas prouver qu’elle était en légitime défense 

    Sous des dehors un peu convenus, c’est un film relativement compliqué parce qu’on peut le regarder de plusieurs points de vue très différents. Le personnage central, Megan Tuner, est une fille traumatisée dont les rapports avec ses parents sont très difficiles. Son père en effet bat sa mère. Solitaire, elle choisit le métier difficile de flic dans le NYPD comme thérapie. Elle navigue donc dans un monde aux contours incertains, typiquement newyorkais. Comme le dit un des personnages la ville est traversée essentiellement par des voitures de police et des ambulances. Il y a une atmosphère de mort. Son atmosphère rappelle celle de Out of the Dead, le film de Martin Scorsese qui sera tourné 10 plus tard et où l’hôpital comme les ambulances tenaient un rôle central, navigant entre la vie et la mort en traversant la ville. Megan est clairement attirée par les choses morbides, aspirée par le braqueur de supérette, puis séduite par Eugene, elle flirte avec la mort d’une manière qu’on pourrait dire complaisante. Le tueur ne s’y trompe pas qui lui avance qu’elle est tout à fait comme lui, attirée par ce mystère. Sauf que lui ne surmonte pas ses tendances suicidaires. Cette ambiance délétère met en miroir la décomposition de la ville avec celle de la famille de Megan. Le film a une allure féministe avec la récolte de Megan contre le père, mais aussi celle de la mère contre la tyrannie de son mari. Je passe sur les allures un peu masculines de Megan qui porte les cheveux très courts et qui se sert d’un revolver comme substitut de pénis. Là encore Eugene dont l’allure ressemble à celle d’un psychanalyste soulignera cette masculinité de Megan en l’incitant plusieurs fois à se servir de son arme. 

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    Eugene Hunt croise un vieux bonhomme qu’il va assassiner 

    Une autre des dimensions de ce film est la traditionnelle opposition du flic de base avec la hiérarchie qui ici parait plutôt obtuse. C’est l’aspect peut-être le plus lourdingue du film. L’ennui c’est que ce thème revient trop souvent, comme d’ailleurs les meurtres qui émaillent l’histoire. Il est d’ailleurs incongru que lorsqu’on demande à Megan si elle a vu Eugene tirer sur son amie, elle ne réponde pas oui. C’est irréaliste et ne correspond pas du tout à la mentalité des flics, fussent-ils de New York. Mais si elle avait répondu que oui, le film se serait arrêté, or il fallait jusqu’au moment où Megan achève sa vengeance. Cet aspect suggère un peu comme dans les poliziotteschi que les lois sont faites pour protéger les criminels plutôt que les honnêtes gens, et c’est appuyé par le comportement clairement indécent de l’avocat d’Eugene. A la fin on rejoint une atmosphère de western avec une longue poursuite et un règlement de compte au milieu de la rue, ce qui aboutit à interroger le caractère criminogène de la ville de New York. 

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    Megan est charmée par le richissime Hunt 

    Le scénario prend le parti de nous montrer directement qui est l’assassin, donc le suspense ne se jouera pas dans sa découverte mais plutôt dans la façon dont Megan se rendra compte de qui il est. Elle l’apprend au milieu du film, le reste de la durée étant consacrée à la lutte à mort entre les deux personnages principaux qui furent aussi des amants. Eugene, le criminel, est un personnage qui manque cependant de profondeur, même si on essaie de montrer qu’il est atteint de folie furieuse, qu’il entend des voix. On rapproche incidemment ce caractère psychopathe du fait qu’il exerce un métier très trouble, spéculant en bourse sur n’importe quoi. C’est aussi un homme très seul. Son profil sera repris plus tard dans American Psycho, film de Mary Harron, adapté du célèbre roman éponyme de Bret Easton Ellis qui était sorti en 1992, et qui peut être avait été inspiré par Blue Steel. Mais il n’a cependant pas le grain de folie qui fait les grands criminels de cinéma. Et puis il séduit la difficile Megan, alors qu’on se demande pourquoi tant il a l’air creux avant de se révéler totalement fêlé. Il y a dans ce portrait tout de même l’idée à peine esquissé d’un mal qui progresse au fur et à mesure qu’il commet des meurtres. Il perd de plus en plus son sang-froid, probablement parce que Megan fini par le mépriser ouvertement dès lors qu’elle sait qu’il est l’assassin, mais ce dépit n’est pas explicité. Pourtant il semble renvoyer au mépris qu’elle manifeste à l’égard de son propre père. Que cherchait-elle dans sa relation avec Eugene ? Un père dont la richesse rassure ? 

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    On a retrouvé le nom de Megan sur les balles qui ont tué 

    La personnalité de Megan est tout autant trouble. Dès lors qu’elle fait équipe avec Nick, elle devient le pivot d’un trio assez traditionnel, sauf qu’elle a choisi d’abord le mal, et qu’ensuite elle hésite pour choisir le bien. Cette personnalité trouble excite la jalousie entre Nick et Eugene. Et dès lors à la lutte à mort entre Megan et Eugene, se substitue celle entre Nick et Megan. Arrêtez l’assassin devient pour Nick la voie qu’il doit suivre pour s’approprier le corps de Megan. Mais Eugene en poursuivant Megan abat d’abord Nick avec un révolver, avant de la violer.  C’est à se demander si Eugene n’est pas d’abord attiré par Nick avant de se saisir de Megan qui l’a rejetée. Cet aspect faisant allusion discrètement à l’homosexualité latente d’Eugene est confirmée par la scène où le tueur demande à la policière de le braquer. Mais il n’est pas du tout développé, probablement parce que le scénario laisse complètement dans l’ombre la personnalité de Nick et l’attirance d’Eugene pour lui. Plutôt que de répéter les mêmes scènes de meurtre et de critique de la hiérarchie policière, ceci aurait pu remplacer avantageusement cela. Eugene est un personnage dégénéré, il est d’ailleurs l’image d’un capitalisme prédateur dont les ravages se feront sentir quelques années plus tard à travers le déchainement des crises financières à partir de la fin du XXème siècle et jusqu’à aujourd’hui. Il est le produit de ce système. 

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    Eugene avoue qu’il est le tueur et se laisse arrêter 

    Le dédoublement de la personnalité concerne d’abord Eugene, qui, tel le Docteur Jekyll se transforme – du moins dans la première partie du film – en un horrible Mister Hyde qui se rend compte qu’il perd complètement la tête et qui en souffre. Cette schizophrénie est visible dans son excitation proprement démente, suscitée par son travail à la Bourse Mais Megan est aussi atteinte de ce même mal, non seulement parce qu’en traquant Eugene elle devient un peu comme lui, obsédée pour le détruire, mais également parce que son côté ambivalent masculin-féminin l’empêche de se choisir un destin. A la fin du film, après avoir abattu Eugene, elle ne semble pas vraiment désireuse de se rapprocher de Nick qui pourtant l’attend et refuse de la juger. Elle est en conflit avec ses parents, mais pourtant elle se complait à les visiter, de façon à pouvoir affronter son père plus directement. De même elle est toute seule dans la vie et prend un malin plaisir à tourmenter un homme qui aurait pu devenir un prétendant, mais qu’elle éloigne en le brutalisant. Le pré-générique montre d’ailleurs Megan hésitante lorsqu’elle doit intervenir dans un cas d’école avant d’être admise. 

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    La police doit relâcher Eugene, faute de preuves 

    La réalisation est cependant très discutable. La photo d’Amir Mokri est bonne et appuie l’idée de faire un film bleu pour mieux faire ressortir la noirceur de l’histoire. Cette idée typique du néo-noir de la fin des années quatre-vingts sera reprise à l’envie par tous les réalisateurs américains qui font dans ce genre. Cette couleur donne un ton irréaliste et rêveur, cauchemardesque, en dehors du temps. C’est une manière de filmer la ville de New York la nuit qui devient alors un élément poétique du récit à part entière. Mais si Bigelow connaît bien la grammaire du film noir, avec ses contrastes de lumières, ses stores vénitiens ou ses couloirs qui désignent les passages d’un monde à l’autre, elle a plus de mal à combiner les différences d’approches. Elle utilise un montage ultra-rapide qui se comprend assez bien pour les scènes d’action qui sont très bonnes, mais elle se sert aussi trop souvent de gros plans, très brefs dont l’enchaînement patine dès lors que les dialogues s’allongednt. Ce qui lui permet d’éviter les mouvements de caméra, mais ce qui prive le récit de fluidité et de profondeur de champ, alors que les visions de nuit de la ville s’y prêtaient parfaitement. Le film comporte énormément d’ellipses. Par exemple, on ne comprend pas tout à fait le revirement de Nick à l’endroit de Megan alors qu’il commence par la secouer. De même la scène où Megan met KO le policier de l’hôpital pour s’en échapper est plutôt grotesque et peu crédible. 

    Blue Steel, Kathryn Bigelow, 1989

    Sous les yeux de Megan, Eugene abat sa meilleure amie 

    L’interprétation est d’abord celle de Jamie Lee Curtis, la fille de Tony Curtis et de Janet Leigh, couple emblématique hollywoodien. Elle trouve ici en incarnant Megan, sans doute son meilleur rôle. Elle prête son physique androgyne à l’ambiguïté de son personnage, bien que Kathryn Bigelow s’attarde au début du film sur sa poitrine qu’elle comprime pour la faire tenir dans son uniforme de policière. Elle a une grande variété dans son jeu, passant avec facilité de la colère à l’ironie, ou à la peur. Par exemple dans la scène du braquage de la supérette, on voit très bien que si elle intervient avec courage, elle est vraiment habitée par la peur. Elle est pour beaucoup dans l’intérêt que suscite le film. Derrière il y a d’abord Ron Silver dans le rôle difficile d’Eugene Hunt le spéculateur en Bourse. Disons-le clairement, il n’est pas à sa place. Non qu’il soit particulièrement mauvais, mais il n’est pas séduisant, même assez laid, ce qui est à contre-courant de son rôle car on ne comprend pas qu’il puisse séduire une femme aussi exigeante que Megan qui se méfie de tout ce qui l’entoure. C’est un des handicaps du film. Clancy Brown incarne plutôt proprement Nick, le flic qui tombe amoureux de Megan, mais son rôle est trop peu étoffé. On retrouve ensuite l’excellente Louise Fletcher dans le petit rôle de la mère de Megan. Le reste de la distribution n’a pas beaucoup d’importance.  

    Blue Steel, Kathryn Bigelow, 1989

    Megan et Nick vont une nouvelle fois tenter d’arrêter Eugene 

    Le film n’a pas eu beaucoup de succès, mais avec le temps sa réputation s’est améliorée grandement, sans devenir toutefois une référence incontournable du film néo-noir. Si tout n’est pas parfait, loin de là, l’ensemble est très intéressant et tient le spectateur en haleine jusqu’au bout. Sa tonalité visuelle semble avoir influencé Michael Mann. A l’heure actuelle on en trouve une bonne réédition en Blu ray chez Metropolitan FilmExport qui rend justice à la photographie. 

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    La présence d’Eugene chez les parents de Megan est menaçante 

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    Megan surprend Eugene en train de chercher l’arme qu’il a cachée 

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    Megan est sortie de l’hôpital pour partir à la chasse d’Eugene 

    « Alphonse Boudard, Sur le bout de la langue, Presses de la Cité, 1993Jean-Pierre Mocky et Frédéric Dard »
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