• Borderline, William A. Seiter, 1950

     Borderline, William A. Seiter, 1950 

    William A. Seiter est assez peu connu, il a donné surtout dans des comédies légères et sans grand intérêt entre les deux guerres. Borderline c’est la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Nous sommes en 1950, mais le cinéma américain s’intéresse déjà à la drogue qui arrive depuis la frontière. A cette époque d’ailleurs les films qu’on tourne aux Etats-Unis et qui mettent en scène cette opposition entre un Mexique pauvre et son voisin riche sont légion, le film noir s’est emparé de cette possibilité. The treasure of the Sierra Madre, Out of the past[1] pour partie, mais aussi The lawless de Joseph Losey[2] qui date de 1950, ou encore Border incident d’Anthony Mann tourné en 1949. Moins sérieux sera The big steal de Don Siegel avec Robert Mitchum qui passait beaucoup de temps à tourner au Mexique, notamment Where danger lives en 1950 sous la houlette de John Farrow[3]. La liste des films tournés au Mexique ou qui évoque le Mexique est très longue à la fin des années quarante et au début des années cinquante. Et encore nous n’évoquons ici que les films noirs. Le Mexique supporte aussi le western. Les raisons de cet engouement sont nombreuses. Il y a sans doute une attirance pour un pays si proche et si lointain dont les ressortissants commencent à migrer massivement vers le Nord. Egalement dans cette volonté d’exotisme la satisfaction d’être riche en utilisant l’écart de développement entre les deux pays. Mais il y a aussi probablement la volonté de conquérir de nouvelles débouchées pour les films hollywoodiens en mêlant des acteurs mexicains à des acteurs étatsuniens. C’est une manière de coloniser par la culture de masse un pays en se présentant à la fois comme le maître et comme un objet de désir. 

    Borderline, William A. Seiter, 1950  

    Un couple de passeurs de drogue a été arrêté par les douanes. Et pour remonter jusqu’à la tête du gang qui organise le trafic, on va décider d’envoyer Madeleine Haley au Mexique dans le but de séduire le dangereux Ritchie qui pourra mener jusqu’à ses commanditaires. Arrivée au Mexique Madeleine se transforme en Gladys LaRue, se fait danseuse de revue. Mais si Ritchie ne la remarque pas, elle va s’introduire dans son entourage en séduisant son adjoint qu’elle saoule copieusement. En train de fouiller la chambre de celui-ci, elle est surprise par le retour de Ritchie, mais avant d’avoir réalisé quoi que ce soit, Johnny McEvoy, apparemment un membre d’un gang rival, intervient l’arme au poing. Il veut savoir où se trouve la drogue pour la voler. Si Ritchie se tait, son homme de main parle. Dès lors Johnny et Madeleine vont se retrouver fuyant Ritchie et le Mexique pour retourner à Los Angeles. Bientôt on comprend que Johnny est aussi un agent du gouvernement étatsunien, mais Madeleine ne le sait pas, comme Johnny ne sait pas qu’elle est aussi un agent des douanes. Leur hostilité se transformera de façon très attendue en tendre relation au fil des difficultés qu’ils doivent affronter. Leur voyage est épique, volant une automobile, louant un avion peu apte à voler, usant d’un téléphone de campagne mexicain qui ne marche pas vraiment. A Los Angeles ils vont découvrir qu’ils travaillent pour le même camp. Sous la responsabilité de leur chef, ils vont donc travailler ensemble à démanteler la bande du cruel Gumbin que Johnny rencontre au zoo de Los Angeles, devant la cage des singes. Il va obtenir un rencard pour échanger la drogue contre l’argent, au cours d’une fusillade, toute la bande sera éliminée. Entre temps, ils auront fait coffrer Ritchie et ses sbires et ils pourront continuer leur histoire d’amour. 

    Borderline, William A. Seiter, 1950 

    Les douanes ont arrêté un couple de passeurs de drogue  

    Le ton du film se veut léger, nous sommes moins dans le réalisme d’un sujet brulant que dans la parodie. A part quelques emprunts stylistiques, ce n’est pas un film noir, mais un divertissement, une comédie rocambolesque. Les héros ne sont que rarement mis en danger et il n’y a guère de raison de s’inquiéter pour leur santé. Une grande partie du film est utilisée pour montrer les rapports d’animosité entre Johnny et Madeleine qui vont se transformer en rapports amoureux. Dès lors le cadre mexicain devient le décor d’une sorte de voyage de noces avant la lettre. Et sans doute qu’à cette époque les Américains rêvaient de se rendre au Mexique pour leur lune de miel. Le scénario paresseux est sensé être de l’obscur Devery Freeman. En tous les cas il dénote une condescendance gênante vis-à-vis des Mexicains qui sont représentés comme un peuple drôle et nonchalant. Le générique s’ouvre d’ailleurs sur le dessin d’un Mexicain en train de somnoler sous son large sombrero. Si on fait attention à ne pas représenter les Mexicains comme des sombres crapules, on les comprend un peu arriérés. C’est ce qu’on voit avec le personnage de Porfirio qui conduit une camionnette délabrée et qui possède une ligne de téléphone qui lui sert aussi pour étendre le linge. Le progrès n’est pas parvenu jusqu’ici. La preuve ? Il a une douzaine de gosses. Mais il est gentil et serviable. On verra également que les Mexicains sont très naïfs dans la manière de Johnny de rouler facilement leur police motorisée. Et puis les Mexicains chantent bien ! Ils ont donc des qualités. On verra aussi la fille ainée de Porfirio faire une tentative timide pour séduire Johnny, le grand Américain qui lui apparaît comme tout ce qu’elle peut désirer. 

    Borderline, William A. Seiter, 1950

    Madeleine tente de se faire remarquer par Ritchie  

    On pourrait dire que le véritable thème – le seul sans doute – du film c’est la démonstration de la supériorité de la culture étatsunienne sur celle du Mexique. Le reste est en effet anecdotique. On mesure le chemin qui a été parcouru depuis. Les films qui se passent aujourd’hui au Mexique, par exemple Sicario qui traite aussi du trafic de drogue[4], sont beaucoup plus inquiet et marque le recul évident des Etats-Unis sur le plan à la fois politique et culturel. La perspective qui est développée dans Borderline ne serait plus admissible aujourd’hui à l’heure de la mondialisation et du politiquement correct. Le second thème développé ici de façon marginale est celui de la guerre des sexes. C’est un thème très particulier du cinéma américain qui ressort sans doute de l’émancipation de la femme dans l’immédiate après-guerre, d’ailleurs Madeleine a un travail dangereux où il faut prendre des initiatives, et elle paye même de son corps en se déguisant – sans que cela ne soit jamais dit – en une sorte de prostituée devant séduire le dangereux Ritchie. Si tout paraît faux dans ce film, les relations homme-femme reflètent une vision sous-jacente de l’effondrement du patriarcat. Certes les larges épaules de Johnny remettront finalement de l’ordre dans ce chaos qui s’annonce, mais cela ne semble guère suffisant. 

    Borderline, William A. Seiter, 1950

    Ritchie surgit au moment où Madeleine fouille la chambre  

    Si ce film est intéressant sur le plan de ce qu’il peut refléter de la vision que les Américains se font d’eux-mêmes et de leurs voisins, sur le plan cinématographique c’est plutôt indigent. Mal rythmé et mal filmé, il y a peu de scènes qui échappent à la critique. Seules peut être l’attente dans une chambre d’hôtel de la venue de Ritchie, ou encore l’interrogatoire du couple de passeurs au tout début du film. Les scènes d’action sont médiocres, comme les scènes sensées se passer dans la nature et nous montrer quelques coins exotiques du Mexique. L’ensemble est plat, on a l’impression d’une pièce de théâtre filmé. Seiter ne sait pas trop comment faire entrer ses acteurs dans le champ de la caméra. 

    Borderline, William A. Seiter, 1950 

    Madeleine et Johnny vont passer la nuit dans un hôtel sur le chemin de l’aéroport  

    Borderline est sauvé du désastre complet par le couple vedette. Fred McMurray et Claire Trevor qui ont tout de même de l’abattage. Mais ils ne sont pas au mieux de leur forme, sans doute se sont-ils rendus compte qu’ils s’étaient un peu égarés. Fred McMurray se croit sans doute dans un film noir, tandis que Claire Trevor surjoue la comédie de mœurs. Ils ont cependant un certain charisme. Raymond Burr qui a tourné à cette époque une quantité industrielle de films noirs, est le cruel Ritchie. Habitué des rôles de mauvais garçon, il ne fait pas grand-chose pour se faire remarquer, se contentant de promener sa massive silhouette d’une manière nonchalante. Le reste de la distribution, c’est du tout-venant. Les acteurs mexicains sont choisis d’abord pour la caricature : c’est le cas de Nacho Gallindo qui interprète l’ineffable Porfirio et qui a joué très souvent le Mexicain naïf et rigolard. On le retrouvera plus tard dans le film de Marlon Brando, One-eyed Jack, et dans d’autres westerns comme El dorado d’Howard Hawks. 

    Borderline, William A. Seiter, 1950 

    Au zoo de Los Angeles Johnny rencontre le chef de la bande

    C’est le genre de production qui a très mal vieilli et qui n’a un intérêt que sur le plan historique pour comprendre comment les recettes du film noir ont été dévoyées. Cependant, passé ces réticences, on peut le regarder sans ennui comme un petit divertissement, un vestige du passé.



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/la-griffe-du-passe-out-of-the-past-jacques-tourneur-1947-a118298548

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/haines-the-lawless-joseph-losey-1950-a114844606

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/voyage-sans-retour-where-danger-lives-john-farrow-1950-a114844834

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/sicario-denis-villeneuve-2015-a119674594 

     

     

    « Du plomb pour l’inspecteur, Pushover, Richard Quine, 1954L’enfer est à lui, White Heat, Raoul Walsh, 1949 »
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