• Lionel Guerdoux & Philippe Aurousseau, Talents du maître Dard, Editions de l’Oncle Archibald, 2021

     Lionel Guerdoux & Philippe Aurousseau, Talents du maître Dard, Editions de l’Oncle Archibald, 2021

    J’avais dit tout le bien que je pensais de l’énorme travail de Lionel Guerdoux et Philippe Aurousseau lors de la parution de leur premier volume, Berceau d’une œuvre, où ils nous avaient fait découvrir des textes très rares et étonnants qui montraient non seulement le talent précoce de Frédéric Dard, mais aussi la diversité incroyable de sa palette[1]. Les voilà qui récidivent cinq ans après avec cet énorme ouvrage. Le principe reste le même, mettre à disposition des textes qui élargissent l’image qu’on peut se faire de Frédéric Dard, trop souvent ramenée à San-Antonio et aux romans noirs des années cinquante.

    Trois groupes de textes sont ici présentés. D’abord des nouvelles, des courtes fictions dont la plupart, sur cette période sont signées de pseudonymes. On trouvera de nombreux textes signés Montera ou Montéra, des textes légers, des parodies de reportages, et une approche de l’histoire de France qui ressemble à celle que San-Antonio développera en 1964 avec L’histoire de France vue par San-Antonio[2]. On trouvera aussi quelques petits textes signés San-Antonio qui parlent aussi de l’histoire de France. C’est la grande innovation de cet ouvrage. Il y a ensuite une superbe nouvelle signée Frédéric Dard, Une fille pas comme les autres, tirée d’un hebdomadaire, La bataille, elle est au tout début de l’ouvrage. Rien que pour ce texte le livre vaut le détour. Cette longue nouvelle anticipe en effet au moins deux ouvrages signés Frédéric Dard, Ma sale peau blanche et La dynamite est bonne à boire. Ensuite il y a des textes de circonstances qui ont été écrits par Frédéric Dard lui-même, enfin des textes produits par des journalistes sur les activités multiples de Frédéric Dard, ce sont des textes promotionnels ou des textes critiques qui nous permettent de comprendre comment dans les années cinquante-soixante, la littérature et le cinéma populaire étaient très mal reçu en France.

    Lionel Guerdoux & Philippe Aurousseau, Talents du maître Dard, Editions de l’Oncle Archibald, 2021  

    Les auteurs se sont aussi intéressés à ce que gagnait Frédéric Dard au début des années cinquante en cumulant les droits d’auteurs pour le théâtre, le cinéma et pour les romans à partir des comptes de Jean Birgé. Il est intéressant de voir que la machine tourne à plein rendement vers le milieu de la décennie. Ils en déduisent cependant un peu trop vite que les droits d’auteur en tant que dramaturge expliquent le retrait au moins provisoire de Frédéric Dard de ce domaine. Certes il va être peu à peu absorbé par le cinéma, au point même qu’il se fera metteur en scène, mais en réalité ce retrait peut s’expliquer aussi par les échecs qu’il subit à cette époque dans le domaine. Il y reviendra périodiquement, souvent d’ailleurs sur l’impulsion de Robert Hossein. Et d’ailleurs, alors que San-Antonio voit son lectorat décliner avec le vieillissement de la population, les pièces de Frédéric Dard continuent à être jouées. Pierre Assouline avait avancé que Frédéric Dard continuerait d’exister par le théâtre, il visait l’adaptation de Liberty bar, un roman de Georges Simenon, qui était signé Frédéric Valmain, et qu’il attribuait à la plume de Frédéric Dard[3].

    Bien que Lionel Guerdoux et Philippe Aurousseau s’intéressent à la question des pseudonymes sur cette période, ils ne parlent pas de Valmain. Ils examinent un certain nombre de romans pour réfuter quelques pseudonymes et pour en confirmer certains. Sur ce point difficile je ne suis pas tout à fait d’accord avec eux. Donnons un exemple. Ils nous disent que L’affaire d’une nuit, roman signé Alain Moury[4], est certainement de la plume de Frédéric Dard, je pense que c’est très juste. Mais comme Moury est aussi le signataire de six romans d’espionnages dont les intrigues rappellent souvent celles de San-Antonio, on peut se poser la question de savoir qui les a véritablement écrits. Je pense qu'à travers ce roman Frédéric Dard recherchait un prix littéraire et voulait se sortir de cette image de marque qui était la sienne, celui qu'un producteur de romans noirs à la chaîne, un peu à la manière de Romain Gary devenant Emile Ajar.

    Lionel Guerdoux & Philippe Aurousseau, Talents du maître Dard, Editions de l’Oncle Archibald, 2021 

    Toujours dans la même veine, ils mettront en évidence les relations proprement contractuelles entre Frédéric Dard et Marcel G. Prêtre qui faisait du père de San-Antonio le « nègre » d’un personnage bien moins connu que lui. La cinquième dimension, superbe suite de nouvelles, signé Marcel G. Prêtre[5] est certainement de Frédéric Dard, tant par l’écriture que par les thèmes abordés. On ne sait pas combien de livres de Marcel G. Prêtre ont été écrits par Frédéric Dard, mais il est plus que certain que cela dépasse le chiffre cinq comme avance "la famille". Cette affaire de pseudonymes est un sujet très difficile et incertain. Ils supposent comme beaucoup que Les yeux sans visage est la novellisation du film dont le scénario serait dû à Jean Redon[6]. C’est ce que je pensais moi aussi quand j’ai abordé la question des rapports entre Frédéric Dard et la littérature d’épouvante[7]. L’ayant relu récemment, les doutes me sont venus justement à cause du style justement et la longueur du livre. Tout ça pour dire que si on a pas mal de pistes on manque souvent de certitude en la matière, et Frédéric Dard ne nous a guère aidé dans cette quête ! Mais enfin le but des deux auteurs n’est pas de faire le point définitivement sur cette question difficile des pseudonymes, il se trouve plutôt dans la volonté de dresser le panorama le plus complet possible de cette activité multiforme dans laquelle s’est engagé Frédéric Dard. C’est d’ailleurs une démarche plutôt moderne que de voir un écrivain développer une activité intense dans tous les domaines. On le verra de partout, il se fera même metteur en scène !! 

    Lionel Guerdoux & Philippe Aurousseau, Talents du maître Dard, Editions de l’Oncle Archibald, 2021 

    Dans cet ouvrage les auteurs s’intéressent forcément aux rapports que Frédéric Dard a entretenu avec le milieu du cinéma pour lequel il a énormément travaillé et qui lui a rapporté tout de même pas mal d'argent avant que les tirages des San-Antonio n'explose dans le milieu des années soixante. Il en était assez amer[8]. Dans ce domaine que j’ai exploré un petit peu, il y a quelques réussites et beaucoup de déceptions, mais au-delà il y a que les réussites des romans de Frédéric Dard au cinéma ont été plutôt mal accueillies. La critique n’aimait pas Robert Hossein par exemple. Il est bizarre de voir comment Bertrand Poirot-Delpech qui dans Le monde tressera des louanges à San-Antonio pour ses gros romans, descendait allègrement les films noirs qu’on avait tirés de l’œuvre de Frédéric Dard. Aujourd’hui on réhabilité cet apport, y compris aux Etats-Unis[9], et c’est tant mieux. On apprendra aussi que Le vampire de Düsseldorf était un projet très ancien de Robert Hossein. On l’oublie aussi un peu, mais avant de devenir l’égérie de la Nouvelle Vague, Jeanne Moreau fut l’interprète assidue des scénarios tirés des romans noirs de Frédéric Dard. 

    Lionel Guerdoux & Philippe Aurousseau, Talents du maître Dard, Editions de l’Oncle Archibald, 2021 

    Du point de vue de la forme, si les textes sont nombreux, les images jouent aussi un rôle très important. Ce sont des images tirées des revues et journaux d’époque. Ce qui permet de remettre les textes dans leur contexte. L’ensemble rénove considérablement l’approche qu’on avait de l’œuvre immense de Frédéric Dard, quand on croit bien la connaître, on finit toujours par en découvrir de nouveaux aspects. Bref c’est un très beau cadeau de Noël pour les dardophiles !

     

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    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/lionel-guerdoux-et-philippe-aurousseau-berceau-d-une-oeuvre-dard-frede-a127485814

    [2] Fleuve noir, grand format, 1964.

    [3] Alexandre Clément, L'affaire Dard/Simenon, La nuit du chasseur, 2012

    [4] Robert Laffont, 1959

    [5] Fleuve noir, 1968.

    [6] Fleuve noir, 1959.

    [7] Frédéric Dard, San-Antonio et la littérature d’épouvante, Les polarophiles tranquilles, 2009.

    [8] San-Antonio, Je le jure, Stock, 1975.

    [9] https://frenchmorning.com/11-classiques-du-film-noir-francais-au-roxie-theatre-de-sf/#:~:text=Le%20vendredi%2C%20un%20hommage%20sera,de%20chute%20%C2%BB%20(1970)%20avec

    « Traquée, Framed, Richard Wallace, 1947Brigade anti gang, Bernard Borderie, 1966 »
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    1
    Lundi 24 Janvier 2022 à 16:06
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