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Chicago Calling, John Reinhart, 1951
Ce film, très peu, trop peu connu, est souvent classé comme un film noir, ce n’en est pas vraiment un. Il s’agit plutôt d’un drame social, filmé un peu à la manière du néo-réalisme italien. La référence à Ladri di biciclette est assez explicite et visible au premier coup d’oeil. Le réalisateur John Reinhardt est tout aussi peu connu que ce film. Il venait de Vienne, avait un peu fait l’acteur dans les années trente, et il avait fait ses gammes de réalisateur en tournant des films mexicains et argentins en espagnol pour des studios américains ! Il décédera très jeune, mais il a laissé un tout petit nombre de films très intéressants, dont Open secret et ce Chicago calling. Il y a en arrière plan le drame de l’alcoolisme. Mais ce n’est pas vraiment le sujet comme cela avait été celui de The poison de Billy Wilder en 1945. John Reinhardt ne s’étendra pas ni sur les raison louches de l’ivrognerie, ni sur la psychologie induite de l’ivrogne. Ce qui nous évite les leçons de morale du type un verre çà va, deux verres bonjour les dégâts. Du reste le « héros » de ce film, Bill, est tout à fait un brave homme. L’alcool est juste une fatalité qui lui pourrit la vie et le conduit droit dans le mur. En vérité l’histoire est assez simple comme on va le voir et ce qui compte, c’est la longue dérive d’un homme seul face à ses difficultés financières, accablé par la ville hostile et la vie moderne.
Mary veut quitter Bill à cause de son penchant pour l’alcool
Mary fait ses valises et quitte Bill avec leur fille Nancy. A Bill elle reproche son alcoolisme qui leur rend la vie impossible. Elle lui signifie qu’elle s’en va pour Chicago chez sa mère. Elle voyagera avec un couple de vieux pour une somme de 30 $. Bill qui n’a pas d’argument solide pour la retenir, lui donne tout ce qu’il a sur lui. Elle lui promet de lui donner de ses nouvelles et souhaite qu’il s’amende du côté de la boisson afin qu’ils puissent se remettre ensemble et trouver une vie calme et paisible. Bill reste seul avec son chien. Il va passer la nuit à se saouler avec son vieux copain Pete et il dormira chez celui-ci. En rentrant chez lui, il va trouver un télégramme de sa femme qui lui signale qu’elle a eu un accident de voiture et que Nancy est à l’hôpital où elle sera opérée. Elle demande que Bill la rappelle. Mais la ligne téléphonique a été coupée parce que Bill n’a pas réglé les factures. Il lui faut donc trouver rapidement 50 $ afin que la compagnie ne démonte pas la ligne. Bill commence par marchander avec la compagnie qui se révèle inflexible, son seul copain est aussi fauché que lui, et l’aide sociale lui dit qu’il faut remplir des papiers et que l’aide arrivera dans quelques jours. La banque évidemment demande des garanties. Dans son errance il rencontre, dans un quartier qui ressemble à Bunker Hill un journaliste qui voudrait qu’il passe à la télévision pour raconter ses misères, mais aussi une serveuse de hamburgers qui va lui donner 5 dollars. Un peu réconforté, il va rencontrer un jeune garçon, Bobby, un orphelin qui s’accroche à lui, et qui lui propose de lui donner tout l’argent qu’il a économisé. Bill dans un premier temps refuse par dignité, mais il finit par accepter. Bobby ne trouvant plus ses économies, sa sœur les lui a confisquées, il va voler l’argent de son petit ami. Bill, voulant rester honnête, refusera cet argent volé. Mais il va tout de même amener Bobby au match de base ball où une connaissance à lui le fait rentrer gratuitement. Ils perdront l’argent volé, le retrouveront miraculeusement. Bobby rentre chez sa sœur, Bill va trouver un travail de nuit sur un chantier pour réunir la somme désirée. Le lendemain, alors qu’il possède cet argent, la police alertée par la sœur de Bobby va venir pour l’arrêter. Mais le téléphone sonne, c’est Mary qui lui annonce que la petite Nancy est morte. Les policiers qui ont un peu de cœur, renoncent à arrêter Bill. Celui-ci est désespéré et va tenter de se suicider en se jetant sous un train. Mais c’est finalement le jeune Bill qui, par sa présence, l’en dissuadera.
Bill va chercher de l’argent pour payer sa facture de téléphone
C’est un film où personne n’est franchement mauvais, mais où le malheur survient du simple fait que nous sommes à Los Angeles dans une ville tentaculaire où tout le monde est anonyme et où les relations sociales sont réduites à leur plus simple expression, la monnaie. Bill et Mary sont pauvres, Bobby est pauvre, le copain de Bill aussi. Loin des fastes d’Hollywood, c’est Los Angeles vue du côté de la misère sociale, les exclus de la réussite. Le premier aspect qui saute aux yeux, c’est donc ce portrait de la ville que traverse Bill à la recherche d’une planche de salut. Sa dérive est le révélateur. Mais cette ville naturellement hostile recèle aussi pourtant des trésors d’humanité. Malgré les règles sociales imposées par la loi, l’argent et la bureaucratie, Bill trouve autour de lui des individus compatissants. D’abord le technicien du téléphone Jim qui délaye autant qu’il peut la dépose de la ligne de téléphone, puis cette serveuse de hamburgers qui piochera dans sa caisse sans le dire pour tenter de lui venir en aide. Ou encore ce contremaître qui, comprenant la détresse de Bill, va lui donner un petit travail de nuit sur un chantier difficile. Et puis il y a Bobby qui prend Bill en charge et qui attend que celui-ci fasse de même à son endroit car, étant orphelin, il est à la recherche d’un père de substitution.
L’aide sociale lui dit qu’il lui faudra plusieurs jours pour obtenir un prêt
Si l’alcoolisme est bien le point de départ de cette histoire, il n’est pas sujet du film, il disparaît au fur et à mesure que Bill avance dans sa quête. A partir du moment où il se met à chercher de l’argent pour joindre Chicago, il n’absorbera plus une seule goutte d’alcool. Dans cette action, il retrouvera sa dignité, y compris dans la manière qu’il aura de faire face à ses interlocuteurs dans la recherche de l’argent ou dans la volonté d’obtenir un délai. Dans cette longue dérive, il y a une forme de rédemption douloureuse, et Bobby devient l’image du destin. C’est lui qui révélera à Bill que la vie continue et qu’il ne sert à rien de se lamenter sur son sort, même si ce qu’il vit est dramatique. Bobby a perdu ses parents, comme Bill a perdu sa fille, et cela leur donne des obligations l’un envers l’autre. Cet homme seul doit faire face à ses démons, et c’est d’autant plus difficile que la ville ne l’y incite pas, elle l’abandonne au contraire et lui rend toutes ses démarches plus difficiles les unes que les autres. C’est en ce sens que la quête de Bill est héroïque. Si sa force n’est pas physique, il n’arrive pas à affronter physiquement ni les policiers, ni l’amant de Barbara, elle devient morale et se construit face à l’événement.
Épuisé, il rencontre une jeune serveuse qui lui offre un café
Ces principes vont s’appuyer sur une mise en scène directement de la rue et de la ville. On va visiter Los Angeles du côté de sa misère, du côté des gens simples qui doivent se battre tous les jours pour survivre. John Reinhardt réussit son film d’abord par sa capacité à combiner la dérive du héros avec le portrait de la ville. Il utilisera donc les plongées, les longues perspectives, mais aussi des détails comme ce chantier où ce sont principalement des noirs qui travaillent parce que le travail y est très dur. Bill donne là une leçon d’humilité. Mais le regard de John Reinhardt sur cette réalité, pour être discret, n’en est pas moins pertinent. C’est un film en mouvement, et contrairement à ce qu’on pourrait attendre dans une ville tentaculaire comme Los Angeles, on la parcourt à pied. Du reste on ne peut la connaitre et l’apprécier qu’à pied. Bill marche beaucoup et on le verra grimper péniblement des côtes escarpées comme un chemin de croix et de rédemption. Il y a aussi une manière très originale de filmer la gare et les voix de chemin de fer où Bill a la prétention de se suicider. Les trains ne sont pas filmés dans une longue perspective comme habituellement qui les rendrait plus massifs et dangereux, mais à partir de cet entrelacs de rails et de wagons immobilisés qui représentent aussi les imbroglios de la vie et les hasards de la destinée. La photo de Robert De Grasse va dans le sens de ce réalisme qui a mon sens dépasse volontairement celui de De Sica. Rappelons que Robert De Grasse sera aussi le photographe de films noirs remarquables comme Bodygard[1] de Richard Fleischer ou Born to kill de Riobert Wise[2].
Le jeune Bobby prétend pouvoir lui donner un peu d’argent
Ce film d’essence quasi prolétarienne est une ode à la morale populaire et à la vie simple. Il recèle de nombreuses scènes fortes, comme l’embauche sur le chantier de nuit, ou ce décalage qu’il y a entre la vie et ceux qui prétendent la représenter : par exemple cette chaîne de télévision qui fait dans la télé-réalité si on peut dire et qui voudrait que Bill se livre à une exhibition de ses malheurs devant tout le monde. C’est anticiper cette idée selon laquelle n’importe qui peut passer à la télé pour y avoir son quart d’heure de gloire. Le point de vue critique est renforcé par la scène où Bill rencontre un banquier rigolard qui bien entendu ne lui prêtera même pas un dollar, mais qui le recevra bien gentiment. Le petit Bobby le suit aussi avec ses petites jambes, alors que Bill est grand et arpente les rues avec de longues enjambées. Comme dans Ladri di biciclette, il se fera rabrouer, mais il continuera à mettre ses pas dans ceux de celui qu’il a choisi comme père et qui finalement regrettera sa dureté d’un instant. Incidemment on notera une critique de la ségrégation sociale dans la représentation des noirs qui sont cantonnés à des emplois inférieurs, ils cirent les chaussures, ils travaillent dur sur les chantiers, mais c’est fait très discrètement et sans militantisme. De même on pourrait voir une esquisse de critique de la technique dans cette difficulté de joindre Chicago, comme si le téléphone au lieu de permettre aux gens de se retrouver les éloignait encore plus : il faut remettre sans cesse de la monnaie pour appeler, ne pas oublier de payer sa facture pour ne pas être coupé, et même se garder des bruits environnants qui brouillent complètement l’écoute. Il serait erroné cependant de voir dans cette fable urbaine seulement le désespoir d’un homme, au contraire, la fin est très ouverte et on suppose que Bill deviendra un bon père pour Bobby.
Bill se fait embaucher sur un chantier de nuit
L’interprétation c’est d’abord le toujours très excellent Dan Duryea dans le rôle de Bill. Contrairement à son ordinaire, il ne fait pas le dur – on dit que dans la vraie vie c’était d’ailleurs un homme simple et charmant qui vivait sans ostentation à l’écart du cirque hollywoodien[3], il est remarquable de sobriété dans les scènes paroxystiques comme quand il s’effondre à l’annonce de la mort de sa fille. Il porte tout le film sur ses épaules, et rien que pour lui, il faut voir ce film. Le petit Bobby est incarné par Gordon Gebert qui en était déjà à son quatrième film et qui stoppera sa carrière d’acteur, refusant de s’obstiner dans le métier d’acteur, pour devenir professeur d’architecture à New York ! Il est bon, mais cabotine un peu tout de même. Les autres acteurs, sans être mauvais, n’ont rien de remarquables, ce sont des petits rôles. Seule Marsha Jones dans le rôle de Peggy la serveuse de hamburgers apporte une étincelle forte.
Bill vient d’apprendre que sa fille est décédée
C’est un film à petit budget, qui ne dépasse pas de beaucoup une heure. Il a été produit par une firme indépendante des grands studios, Arrowhead Productions, dont c’était le premier film. Il a été produit par Peter Berneis qui fut aussi le scénariste de l’excellent Portrait of Jennie de William Dieterle, ce qui n’est pas rien !
Si ce n’est pas un film noir, comme souvent décrit, c’est un très beau film dramatique et émouvant à souhait, une belle chronique sociale. On trouve des copies de ce film en DVD version étatsunienne, mais à des prix plutôt élevés en France, raisonnable aux Etats-Unis, sans sous-titres français, mais avec une image plutôt satisfaisante.
Bobby court après Bill
Tags : John Reinhardt, Dan Duryea, Los Angeles
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Commentaires
"mais à des prix plutôt élevés en France, raisonnable aux Etats-Unis"
Comme pour beaucoup de DVD états-uniens, on le trouve aussi à un prix raisonnable (de même les frais de port) sur amazon.co.uk.