• Open secret, John Reinhardt, 1948

     Open secret, John Reinhardt, 1948

    A cette époque là, alors que la guerre s’éloigne, le cinéma américain commence à se préoccuper d’une montée de l’antisémitisme. L’année précédente c’était Body and Soul de Robert Rossen avec John Garfield, et aussi Crossfire d’Edward Dmytryk. Tous seront traqués et détruits par l’HUAC au nom de la lutte contre les rouges. On a souvent souligné d’ailleurs la relation entre l’antisémitisme et la chasse aux rouges, et pas seulement parce que les Américains d’origine juive étaient nombreux dans les partis de gauche. Il faut se souvenir qu’avant guerre l’HUAC avait adopté une position neutraliste et refusait de poursuivre le lobby pro-allemand qui pourtant travaillait ouvertement contre les Etats-Unis. Mais l’engagement dans la guerre contre les puissances de l’Axe, après Pearl Harbor, avait obligé l’HUAC à se tenir à carreau et à rabattre ses prétentions et matière de police des idées[1]. Open secret s’inscrit dans une ligne défensive et dénonciatrice. Le film prévient d’une manière imagée contre ce qui va se passer effectivement et qui aboutira à une purge radicale. Le scénariste d’Open secret, Henry Blankfort se retrouvera sur la liste noire. George Tyne, un des acteurs d’Open secret sera également traduit devant cette fameuse Commission des Activités Anti-Américaines, dénoncé ou plutôt vendu par Lee J. Cobb qui lui aussi avait été communiste. George Tyne cependant non seulement ne dénoncera personne, mais il refusera de répondre à ce tribunal digne de l’Inquisition, sans même prendre la peine de se protéger derrière le Cinquième amendement. Si j'insiste autant sur cet aspect, c’est parce que certains croient encore aujourd’hui qu’il était très facile tout de suite après la guerre de dénoncer l’antisémitisme. C’est totalement faux, presque tous ceux qui s’y sont risqués à la fin des années quarante auront les pires ennuis, y compris Elia Kazan qui était communiste et qui avait réalisé Gentleman’s agreement avec John Garfield, et qui ne s’en tira qu’en vendant à peu près toutes ses connaissances, puis en tournant l’ignoble On the waterfront où il fait l’éloge de la délation, et avant cela l’anticommuniste Man on the tightrope. Mais dans ce film, il n’y a pas seulement l’antisémitisme, il y a aussi l’image d’une petite ville qui va tomber sous la coupe d’un groupe criminel. Cette idée sera développée dans de nombreux films noirs comme par exemple The Phoenix story de Phil Karlson[2], mais ce sera plus pour dénoncer la mafia traditionnelle que les suprémacistes blancs. Ce film a été redécouvert et restauré en 2017.

    Open secret, John Reinhardt, 1948 

    Il est décidé de tuer Stevens 

    Ed Stevens s’apprête à recevoir un couple ami qui se trouve être en voyage de noces. Mais entre temps Stevens a caché dans le tiroir de sa commode une pellicule impressionnée, juste avant qu’il ne reçoive la visite de deux margoulins qui l’embarquent. Les jeunes mariés s’installent chez Stevens qui leur avait laissé la clé chez la logeuse. Rapidement cependant les choses tournent mal. Tandis que Paul est attiré à l’autre bout de la ville, sa femme subit l’agression d’un cambrioleur. Ils ont également trouvé toute une littérature étonnante nazie qui semble indiquer que Stevens en est devenu un ! Et puis tandis qu’ils ont amené des photos à développer, ils apprennent que Stevens est mort. Paul soupçonne un meurtre, mais le policier Frontelli est très sceptique. Ce sont les photos développées qui vont mettre Paul sur la piste d’un gang de nazis qui semblent avoir des ramifications de partout dans la ville. Il va infiltrer le bar où se tiennent les rendez-vous de la canaille nazie. Mais l’assistant du photographe va mettre le gang, auquel il est affilié, au courant de l’importance de ces photos. Dès lors ils vont tout mettre en œuvre pour les récupérer. Tandis que Paul met en fuite l’assistant du photographe qui menace Nancy, le gang monte un plan. Ils vont enlever Paul, puis le photographe, Strauss, les séquestrer. Le photographe prétend donner le négatif des photos au gang, c’est une feinte, courageusement il va se battre pour mettre le gang en déroute.  Mais Nancy a eu la bonne idée de prévenir la police qui va finalement embarquer tout le monde et remettre les choses en ordre. 

    Open secret, John Reinhardt, 1948 

    Ils embarquent Stevens 

    Open secret peut se traduire par Le secret de Polichinelle. Ce qui voudrait dire qu’on ne voit pas ce qu’on ne veut pas voir. En vérité il se pourrait que ce film soit plus important que ce qu’il parait. En effet, au-delà de l’histoire effectivement mince, il y a cette petite ville qui est colonisée par les nazis. Nous sommes en pleine guerre froide, et ce thème va être curieusement repris par les films anti-communistes ! Mais il rappelle aussi des films comme Invasion of the body snatchers de Don Siegel. Derrière les apparences d’une petite ville paisible, grouille une faune malveillante qui tente de miner les fondements des rapports sociaux. C’est un film sur la paranoïa collective.  Et donc si on suit bien la chronologie, il semble qu’avant d’être un thème de la droite la plus conservatrice, cette idée d’une invasion silencieuse d’êtres porteurs d’idées malfaisantes soit un thème de gauche ! Bien entendu si dans ces années là on fait des films pareils, c’est bien que les Etats-Unis sont devenus un pays où tout le monde se méfie de tout le monde. Donc un pays profondément divisé. Avec le recul du temps on a l’impression que cette idée d’une sorte de minage des fondements de la démocratie a d’abord été défensive, pour se protéger en quelque sorte et dénoncer la mascarade qui s’annonce de la Chasse aux sorcières. On peut d’ailleurs faire remonter cette piste à The fallen sparrow de Richard Wallace, avec John Garfield tourné en 1943. C’est cet aspect qui donne à ce film tout son intérêt. Car contrairement à ce qu’on peut croire la Chasse aux sorcières menée par l’HUAC n’était pas du tout destinée à l’origine à contrer l’avancée des communistes qui étaient quasi inexistants aux Etats-Unis, mais plutôt à contester les orientations du New Deal que les milieux d’affaires et les économistes n’ont jamais encaissées. C’était donc une lutte interne aux Etats-Unis dont le but était que l’oligarchie retrouve ses privilèges. L’idée selon laquelle les vrais et bons Américains étaient seulement les WASP – les Américains d’origine juive étaient considérés comme des citoyens de second rang, et les noirs, encore un peu moins – définissait des normes sociales et éthiques que toute le monde se devait d’accepter au risque de passer pour un traître ou un rouge. Le policier Frontelli dans son scepticisme représente l’aveuglement des autorités qui par leurs faiblesses laissent faire les choses. 

    Open secret, John Reinhardt, 1948

    Paul et Nancy ont trouvé des textes nazis 

    Le héros est un photographe, un homme ordinaire, mais il a un avantage il sait voir par le biais de son appareil photo ce que les autres ne voient pas ou ne veulent pas voir. Cette figure de style sera répétée de nombreuses fois, jusqu’au clinquant Blow Up d’Antonioni. Le film noir sans faire pour autant l’éloge de la modernité, met en scène les techniques sophistiquées produites de l’industrie, comme le téléphone, l’automobile et ici la photographie qui se révèle capter et figer le réel comme instrument de preuve. Le héros est deux fois équipé pour faire face : d’abord parce qu’il possède un appareil photo, appendice qui lui permet de saisir le réel, mais ensuite parce qu’il a la capacité intellectuelle d’interpréter ce qu’il voit. Paul est une sorte de détective d’un genre nouveau qui agit dans un univers hostile à la manière des héros d’Agatha Christie, il déduit des éléments disparates ce qui doit être la vérité par delà les apparences. Il dépasse par ses exploits intellectuels ces héros qui sont seulement physiques. Remarquez qu’il est secondé fort utilement par sa femme. Ce qui confirme que le film noir a donné une place nouvelle à la femme dans la fiction : elle agit, n’attendant pas toujours que son mari ou son employeur le lui demande. Ici c’est bien Nancy qui finalement sauvera Paul en prévenant la police. 

    Open secret, John Reinhardt, 1948

    Le corps de Stevens repose à la morgue 

    Il serait très facile, trop facile, de relever les faiblesses d’un scénario écrit manifestement à la hâte. Il y a un décalage entre les intentions plutôt graves de dénoncer une résurgence du nazisme et de l’antisémitisme et le fait qu’un petit couple anonyme en pleine lune de miel se mette à enquêter sur cette affaire. D’après ce qui s’est dit, John Reinhardt serait arrivé sur le projet, et le budget très étroit a certainement obligé à tourner vite, sans se poser de questions. Mais il est clair que faire de Strauss, le photographe juif, incarné par George Tyne, le vrai héros physiquement engagé, est une facilité un peu grossière. De même les motivations réelles de ce gang finalement assez mal organisé ne sont pas très bien définies. Certes ont comprend bien qu’ils sont mauvais, qu’ils se croient les représentants d’une race supérieure, mais comme par ailleurs ils ont plutôt l’air d’un ramassis de clochards et d’ivrognes on n’arrive pas à comprendre comment ils peuvent être aussi dangereux pour la société. 

    Open secret, John Reinhardt, 1948

    Au bar où se réunit le gang nazi, Paul va tenter d'enquêter 

    Le film a eu un budget des plus maigres. Malheureusement ça se voit. Il y a très peu de décors : l’appartement de Stevens, le bar et son arrière salle où complotent les nazis et puis la boutique du photographe. Il n’y a quasiment pas de plans tournés en extérieur et la reconstitution d’une petite ville de province et assez sommaire. Ça fait carton-pâte si on veut. Les éclairages ont été faits aussi avec un grand souci d’économie. Néanmoins on va trouver des plans intéressants, comme par exemple ces hommes réunis autour d’une table dans une arrière salle de bar pour comploter. Ce plan qui sera si souvent copié. Il y a ensuite quelques plans bienvenus dans le bar où Paul pénètre et où il n’est pas le bienvenu. Je retiendrais également cette discussion de Paul avec la femme d’un ivrogne, Roy Locke, dans un cadre très prolétarien et pauvre. Il l’interroge et fait pression sur elle alors qu’elle en est à faire on repas au milieu de ses casseroles. Il y aussi cette bagarre dans le noir dans la boutique de Strauss. Certes cela rajoute encore un peu plus d’ombres, mais c’est assez bien fait et original dans la mesure où on arrive à suivre l’action !  

    Open secret, John Reinhardt, 1948

    L’assistant de Strauss veut récupérer les photos 

    L’interprétation est ce qu’elle est, adaptée au budget. Elle est donc pauvre. Il y a d’abord John Ireland ans le rôle de Paul Lester. Une des rares fois où il aura un premier rôle. Il est très monolithique. Raide comme un piquet, et le dialogue n’aide pas, il murmure un coup sur deux I dont know ou Sure. Ça meuble et prouve bien qu’il ne sait pas où il va. La grande Jane Randolph joue Nancy, sa femme. Elle est un peu mieux. Je veux dire plus vivante. Notez que John Ireland et Jane Randolph avaient déjà été associés l’année précédente dans Railroaded ! d’Anthony Mann[3], un autre série B, mais un peu plus cossu tout de même. Si Roman Bohnen est assez quelconque dans le rôle de l’ivrogne Roy Locke, George Tyne dans celui du photographe est excellent. On a l’impression qu’il est le seul à croire à l’intérêt de ce film. Morgan Farley incarne Larry Mitchell, le chef de ce ramassis de minables, dont les arguments sont aussi solides que les mensonges de Donald Trump ! 

    Open secret, John Reinhardt, 1948 

    Paul a été enlevé par le gang nazi 

    Le film a été éreinté à sa sortie, personne n’a voulu le défendre. Ce fut un échec public et critique cuisant. Mais il est bien difficile de savoir pourquoi. Est-ce pour les défauts techniques liés à la faiblesse du budget ? Est-ce au contraire parce que les critiques et le public en avait un peu marre qu’on lui parle des nazis ? Mais outre que ce film développe une vision paranoïaque intéressante de l’Amérique comme un pamphlet politique, et possède un intérêt historique, il se voit sans déplaisir, d’autant qu’il ne dure qu’un peu plus d’une heure, et donc qu’on n’a pas le temps de s’ennuyer. 

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    La police embarque tout le monde

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