• Colors, Dennis Hopper, 1988

     Colors, Dennis Hopper, 1988

    C’est un film presque classique sur les difficultés de la police dans une ville aussi dangereuse que Los Angeles. Si cette ville engendre le crime, c’est sans doute aussi parce qu’elle est hétéroclite et que s’y mêle des populations très contrastées, des noirs, des hispaniques, des blancs, mais aussi parce que la grande pauvreté côtoie la richesse. Notez que l’action se passe à la fin des années quatre-vingts, soit au plus haut de la lutte sanglante entre les gangs de rues. Depuis les choses semblent s’être un peu calmées. Il s’inscrit dans une longue lignée de films semi-documentaire comme The Phenix city story de Phil Karlson[1] par exemple ou bien sûr The new centurions de Richard Fleischer[2]. Le titre renvoie aux différentes couleurs que les gangs affichent pour se différencier les uns des autres. 

    Colors, Dennis Hopper, 1988 

    Un très jeune dealer vient d’être assassiné, mais personne ne veut parler 

    Le jeune Danny va patrouiller avec le vétéran Bob dans le cadre d’un programme qui met en place une coopération entre le LAPD et les effectifs du shérif. Ils vont enquêter sur l’assassinat d’un jeune dealer, Robert Graig, il semble que celui-ci a été tué par les Crips, un gang dirigé par Rocket. Danny a un comportement plus brutal, et supporte difficilement les petits compromis de Bob avec les gangsters notoires, notamment avec le gang de Frog. Mais personne ne veut parler à la police. Danny va faire la connaissance d’une jeune hispanique Louisa, qu’il va présenter un peu plus tard à la femme de Bob qui les a invités à déjeuner. Le jour de l’enterrement du jeune noir, les Crips interviennent et mitraillent l’église, Bob et Danny les prennent en chasse. Les malfaiteurs vont mourir dans l’accident de leur voiture. La Taupe a été arrêté, et craignant pour sa vie, il va coopérer avec les services du shérif. Il prétend avoir assisté à l’assassinat de Robert Graig par Rocket. Muni de ce renseignement, les flics vont investir la maison de Rocket. Cependant, un policier un peu trop nerveux tue l’Abeille celui qu’il croie être l’assassin. Il s’est trompé et passera devant la commission des affaires internes. Mais les gangs continuent à se faire la guerre. Après une ultime attaque de Rocket et de son gang, la bande de Frog sort de sa réserve et par en guerre, c’est un bain de sang. La police décide de les coffrer, mais dans l’arrestation, c’est cette fois Bob qui est tué. 

    Colors, Dennis Hopper, 1988 

    Danny vient d’arrêter un autre petit dealer 

    Sans être d’une grande originalité, c’est un très bon film. C’est l’univers du LAPD tel que l’a décrit par exemple Joseph Wambaugh. Il y a manifestement une volonté de donner un tour documentaire à l’histoire. C’est une vieille ficelle du film noir que de donner l’impression de la vérité. Manifestement les scénaristes comme Dennis Hopper ont cherché une vérité de terrain. On peut trouver qu’il y a parfois des simplifications abusives, des facilités, mais l’ensemble se tient. L’utilisation des quartiers dégradés de Los Angeles vient donner encore plus de force au récit. Il n’y a pas à proprement parler d’histoire. Les relations entre le jeune Danny et le vétéran Bob sont juste une sorte de fil rouge. Danny est un peu chien-fou qui ne rêve que d’appliquer la force brutale, et Bob le recadre en permanence, et ce faisant il lui montre la complexité de son travail. Bien entendu ce sera une histoire d’amitié. Mais en même temps cet apprentissage Danny va le faire dans plusieurs dimensions des choses de la vie. Il sera confronté à la mort et à la peur, et encore à la perte de la femme qu’il aime et qui le trahit sans vergogne. A la fin du film, Danny aura grandi, et c’est lui qui endossera le rôle de vétéran qui doit éduquer son jeune coéquipier et qui devra en maîtriser les pulsions. C’est également une analyse de la mécanique de la violence, non seulement la dimension misérable des protagonistes, mais aussi cette nécessité de marquer son territoire et de prouver en permanence sa virilité. La difficile coopération entre les troupes du shérif et celles du LAPD pose en réalité les difficultés de la mission des policiers qui n’interviennent que pour parer au plus pressé, alors que le substrat de ces gangs ultra-violents est une misère latente et une situation économique très dégradée. Les gangsters ressemblent à des hommes préhistoriques qui auraient trouvé des kalachnikovs. C’est un constat qui n’est pas méprisant, parce que ce sont des personnes qui par nature sont défavorisées. 

    Colors, Dennis Hopper, 1988 

    Les hommes du shérif et de la police ont monté une opération conjointe 

    Il y a beaucoup d’amertume évidemment et de désarroi. La réalisation est à la hauteur et arrive à donner de l’émotion. L’utilisation de la profondeur de champ donne de la vérité à ses décors naturels choisis justement pour leur absence totale de poésie. Quelques scènes d’action sont remarquables, la poursuite en voiture qui se termine par la mort des gangsters, ou alors cette extraordinaire scène de bagarre quand Danny va chercher Clarence au milieu des cuisines d’un restaurant. Dennis Hopper aime utiliser la grue, il le fait toujours assez justement. Par exemple la scène qui voit le gang des mexicains monter à l’assaut des bastions ennemis part d’une vue d’ensemble des grattes ciel comme décor, puis on revient peu à peu au quartier misérable avec cette montée qui ressemble au chemin de croix. La petite troupe étant saisie encore en plan éloignée, façon « Horde sauvage ». C’est une manière de dire aussi qu’à Los Angeles, il y a deux villes qui s’ignorent, l’une presque normale, riche et très occupée, et l’autre crasseuse et abandonnée à elle-même. La police tenant essentiellement le rôle de cordon sanitaire entre ces deux mondes qui s’ignorent autant qu’ils se haïssent.

    Colors, Dennis Hopper, 1988 

    Danny va chercher Clarence jusque dans les cuisines d’un restaurant 

    La distribution est excellente, non seulement pour ce qui concerne les deux principaux acteurs, mais aussi pour tout ce qui fait un effet de masse, les gangsters et leurs habits qui sont presque des uniformes, leur face immobile comme si rien ne pouvait avoir d’importance. Robert Duvall est toujours très bon, il le prouve ici avec autorité, incarnant le vétéran Bob Hodges qui s’exaspère devant l’insolence et les foucades de son coéquipier. C’est Sean Penn qui est peut-être plus étonnant encore dans le rôle du jeune Danny. C’est un très bon acteur, et il le prouve ici en usant d’une palette large d’expression, qu’il manifeste la colère et l’emportement ou le chagrin impuissant devant la mort de son co-équipier. Ce sont ces deux caractères qui dominent le film. Le personnage féminin, Louisa, est assez incompréhensible, sauf que les réticences qu’elle manifeste à l’endroit de Danny ne peuvent s’expliquer que dans une sorte de lutte des classes, elle est en effet serveuse dans un fast food, mais elle n’arrive pas à franchir le pas qui la situerait du côté de la loi et de la police. C’est donc un film d’hommes, avec des gueules assez parlantes comme Don Cheadle dans le rôle de l’impassible Rocket. Trinidad Silva dans le rôle de Frog le chef de gang mexicain, est aussi très bon. 

    Colors, Dennis Hopper, 1988 

    La commission doit statuer sur le sort d’un policier qui a tué un jeune noir 

    La critique au moment de sa sortie a salué l’aspect vériste du film et la qualité de l’interprétation. Aux Etats-Unis pourtant le film a eu droit au couplet sur ce qui était politiquement correct, et on a avancé que de montrer des hispaniques et des noirs comme gangsters violents, c’était peut-être « raciste et irresponsable »[3]. Pour moi c’est une critique qui ne tient pas debout. Non seulement le film a eu des mentors qui ont permis à l’équipe de pénétrer le milieu des gangs de rue, notamment Gerald Ivory, un agent de probation, mais en outre on sait bien qu’à Los Angeles il y a une sur-criminalité chez les noirs et les hispaniques. C’est solidement documenté. Quelles que soient les raisons qu’on avance pour l’expliquer, il va de soi que ce n’est pas en niant ce phénomène qu’on fait avancer les choses. Mais le film a été un gros succès aux Etats-Unis et a donné lieu à des débats considérables. Notez que c’est vers cette époque que la criminalité va commencer à décliner aux Etats-Unis, même si ce pays reste encore un champion toutes catégories du crime. Dennis Hopper passe pour un réalisateur un peu facho, en tous les cas très à droite, mais l’aspect sociologique de Colors ne permet pas de confirmer cela, ce n’est pas Clint Eastwood !

    Colors, Dennis Hopper, 1988  

    Bob est mort 

    C’est un très bon film noir qui s’inscrit dans cette longue lignée des films américains qui utilisent le travail de la police pour faire ressortir les défauts de la société, et qui se remarque aussi bien par son scénario que par sa réalisation et son interprétation. Dennis Hopper fera un autre film noir, deux ans après, Hot spot, qui est selon moi ce qu’il a fait de mieux en tant que réalisateur[4]. La musique est très soignée, une parie a été composée par Herbie Hancock. 

    Colors, Dennis Hopper, 1988 

     

    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/the-phenix-city-story-1955-phil-karlson-a114844904

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/les-flics-ne-dorment-pas-la-nuit-the-new-centurions-richard-fleischer--a130252072

    [3] http://articles.latimes.com/1988-04-14/entertainment/ca-1992_1_gang-member

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/hot-spot-the-hot-spot-dennis-hopper-1990-a131098796

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