• Le complot, René Gainville, 1973

    Le complot, René Gainville, 1973

    Comme on le sait il y a eu assez peu de films sur la Guerre d’Algérie et ses séquelles. Le très beau film d’Alain Cavalier, L’insoumis qui date de 1964, et qui pourtant ne développe pas un point de vue politique particulier, avait choisi comme personnage principal un soldat perdu de l’OAS. Mais ça n’avait pas plu, et le film fut rapidement censuré pour des raisons politiques assez obscures. Il ne fallait pas parler de l’OAS, fut-ce pour en dire du mal. D’autres films plus politiquement corrects comme R.AS. d’Yves Boisset, ou Avoir vingt ans dans les Aurès, de René Vautier ont traité plutôt de la guerre en elle-même, avec l’engagement de troupes contre le FLN. Tous ces films sont groupés sur les années 1972-73, comme si avant on n’avait un peu peur de traiter cette question. Il y a bien eu aussi Les centurions qui date de 1966, mais bien qu’il s’appuie sur un roman de Jean Lartéguy, écrivain très largement engagé à l'extrême-droite, et qu’il y ait des acteurs français comme Alain Delon, Maurice Ronet ou Michèle Morgan, mais c’est un film américain, réalisé par un metteur en scène classé à gauche ! Ce film avait été un très gros succès en France, et aussi dans toute l’Europe. Dans Le complot ce n’est plus de la Guerre d’Algérie dont il s’agit, mais de la guerre que se livrent les forces de police assistées par les barbouzes et les restes de l’OAS qui sont traqués de toutes parts.  

    Le complot, René Gainville, 1973 

    Cyrus vient d’être arrêté par le commissaire Lelong 

    Les débris de l’OAS jettent leurs dernières forces dans la bataille. Pensant qu’en libérant Challe de la prison de Tulle, ils pourront reprendre le combat contre De Gaulle et l’abandon de l’Algérie. Nous sommes après les accords d’Evian. Cyrus a été arrêté. C’est le commandant Clavet qui va le remplacer pour mener cette mission à bien. Il va donc recruter un certain nombre de membres de l’OAS pour mener trois opérations, d’abord attaquer une perception pour financer la manœuvre, ensuite se procurer des armes et enfin faire évader Challe. Mais les hommes du commissaire Lelong appuyés par les barbouzes de Paraux vont leur donner la chasse. Ils vont s’apercevoir que l’OAS a des informateurs partout, que ce soit à l’Etat-major ou que ce soit dans la police. C’est d’ailleurs l’inspecteur Moret qui est en relation avec le commando. Mais peu à peu la police commence à faire parler ceux qui trempent de près ou de loin dans ce complot. D’abord l’industriel Carat qui a lui-même été vendu par un proche, puis c’est Brunet qui se met à table. Enfin Moret va passer aux aveux. Entre temps les membres du commando ont réussi le hold-up et volé les armes. Ils se dirigent vers la prison de Tulle, mais ils vont être interceptés avant d’avoir pu agir, certains de ses membres seront tués. Le commandant Clavet sera arrêté. C’est clairement la fin de l’OAS. 

    Le complot, René Gainville, 1973 

    Le hold-up a lieu très vite 

    L’excellent scénario est dû à Jean Laborde qui signa dans la Série noire des ouvrages sous le nom de Raf Vallet. Son point de vue refuse de prendre parti et établi plutôt un constat assez réaliste de ce qui pouvait se passer en France juste après la signature des accords d’Evian. Il montre qu’en effet la situation n’était pas si claire que ça puisque les pied-noir, 1,5 millions de Français tout de même, seront les victimes de l’indépendance.  Il n’est donc pas question de justifier le point de vue du FLN ou celui de l’Algérie française. Les portraits individuels des deux camps sont plutôt nuancés, on trouve parmi les membres de l’OAS des idéalistes, mais aussi des vrais fondus comme Saporo, ou des crapules comme Brunet qui trahit sans vergogne pour de l’argent. Du côté des forces de l’ordre, si on peut dire, il y a le commissaire Lelong qui fait son boulot et qui pense qu’il faut en finir avec cette guerre civile larvée qui sape les fondements de la république. Mais il y a aussi Paraux, le chef des barbouzes qui ne s’embarrasse d’aucun scrupule pour détruire le commando, utilisant des méthodes extra-légales. Une fois qu’on a compris la diversité des motivations des uns et des autres, il y a une mécanique, propre au film noir, qui se met en place, c’est l’ambiguïté d’une situation confuse. En effet la position des uns et des autres est assez instable et conduit à ce que la trahison soit généralisée. La trahison se pratique dans les deux camps, du côté du commando, dès lors que celui-ci se trouve affaiblit, mais aussi du côté de la police. Moret est l’informateur de l’OAS, on verra également un sénateur assurer l’OAS de son soutien en cas de putsch réussi si Salan en prend la tête. Tous les coups sont permis, et le chantage est généralisé comme méthode. Le loyal Leblanc ne sait plus trop s’il doit croire à son combat, et Clavet, vaincu est complètement désabusé. Il y a tout de même une dimension désespérée, représentée par le personnage de Saporo, un pied noir dont les parents ont été liquidés par le FLN dans des conditions atroces, et qui se venge en liquidant à son tour des Algériens dans des cafés arabes de la capitale. 

    Le complot, René Gainville, 1973 

    Le commando investit un dépôt d’armes 

    Malgré de très bonnes intentions, la réalisation n’est pas vraiment à la hauteur, le rythme est assez lent, c’est filmé assez platement et surtout c’est très bavard. Il est assez triste que les décors naturels ne soient pas mieux utilisés, que ce soit les rues de Paris, celles de Madrid ou encore le dépôt d’armes. Les angles de prise de vue sont très souvent étriqués, trop de champ contre-champ dans les dialogues banalisent le récit et il y a un manque de mobilité de la caméra qui est assez gênant. On comprend bien que le film développant un point de vue choral ne soit pas simple à mener, mais est-ce une raison pour saborder la scène de l’attaque de la perception ou celle du vol du dépôt d’armes qui auraient pu donner un peu de punch à la réalisation ? Trop de scènes se passent dans le bureau du commissaire Lelong. C’est répétitif. Les scènes entre Clavet et sa femme ne sont pas très justes non plus. Certes on comprend bien que le film ne s’intéresse pas à la psychologie des personnages, mais il est cependant incohérent que sa femme ne s’inquiète pas plus que ça des mystérieuses disparitions de son mari, alors qu’ensuite, face à la police elle dira un peu le contraire. 

    Le complot, René Gainville, 1973 

    Paraux annonce à Lelong qu’il va mener la vie dure aux membres de l’OAS 

    La distribution est fournie et de grande classe, c’est elle qui sauve un peu le film. Michel Bouquet est le commissaire Lelong, obstiné et glacial, c’est un rôle qu’il a souvent joué dans la première moitié des années soixante-dix. Il est excellent, et on croit tout à fait à son autorité quand il se met à faire parler les prévenus. Jean Rochefort est un peu plus pâle dans le rôle difficile de Clavet, un militaire un peu raide, prisonnier de sa parole. Il retrouvera un rôle un peu semblable dans Le crabe-tambour, le très beau film de Pierre Schoendoerffer. Il était jusqu’alors plus habitué aux comédies légères, dans des positions de faire-valoir. Raymond Pellegrin, grande figure du film noir à la française hérite du rôle de Paraux, le chef des barbouzes. Il est toujours très juste, comme d’habitude. Il y a aussi Marina Vlady dans le rôle de la femme de Calvet, on n’a pas l’impression qu’elle s’y soit intéressé vraiment. Et pourtant je suis d’habitude plutôt un inconditionnel de cette magnifique actrice. Michel Duchaussoy est très bon dans le rôle d’un ancien para, le lieutenant Leblanc, qui sait que tout est perdu mais qui continue tout de même. Comme c’est une coproduction la distribution sera complétée par Gabriele Tinti dans le rôle de l’inspecteur Moret, rôle auquel il donne une dimension fiévreuse bienvenue, et par Simon Andreu dans celui de Baudry, un autre paria. Un petit coup de chapeau au passage à Robert Castel qui représente le pied noir qui a tout perdu, ses parents, ses biens et ses illusions avec la fin de l’Algérie française. Et puis Dominique Zardi dans le rôle d’un ancien légionnaire qui se désole d’être toujours du mauvais côté !

     Le complot, René Gainville, 1973 

    Le commissaire a compris que l’inspecteur Moret informait l’OAS  

    Le film n’a eu aucun succès commercial, quoique la critique ait été assez indulgente, trouvant courageux qu’on s’attaque à un tel sujet. Pourtant malgré les limites de la réalisation il possède au moins deux qualités, la première est de présenter la fin de la Guerre d’Algérie dans sa complexité, sans vouloir juger et infliger un pensum politique, la seconde est d’utiliser ce décor singulier comme un tremplin pour un film noir. On peut le ranger au rang des témoignages de ce qu’ont été ces pages sombres de l’histoire. Il y a d’ailleurs en ouverture des images d’époque des barricades, de la visite de De Gaulle en Algérie, avec le fameux « Je vous ai compris ». On verra aussi le douloureux exode des pieds noirs. 

    Le complot, René Gainville, 1973

    Le commando est arrêté

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