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Crimson peak, Guillermo del Toro, 2015
Le gothique au cinéma est en quelque sorte un sous-genre du film noir, on y rencontre la peur, l’incertitude des passions, ou encore l’ambigüité des comportements. Et bien sûr sir le plan de la façon de filmer, il y aura un jeu serré avec les ombres et la lumière. On sait que de très grands réalisateurs s’y sont exercés, Siodmak ou Tourneur par exemple. Guillermo del Toro, s’est forgé une réputation dans une forme un peu hybride qui oscille entre fantastique et science-fiction, avec une utilisation baroque de la couleur et des décors. Sa réussite reste cependant assez mitigée, seul Le labyrinthe de Pan se remarque par ses qualités scénaristiques et techniques, le reste de sa production est trop marqué par la recherche du succès commercial. Crimson Peak n’échappe pas à cette malédiction, doté d’un budget de 55 millions de dollars, il est produit par Legendary Pictures, une firme toujours à la recherche de blockbusters.
Edith tombe sous le charme d’un jeune inventeur, Thomas Sharpe
Edith Cushing est une jeune fille romantique qui s’ennuie. Sa mère est décédée quand elle était enfant, et elle vit seule avec son père, un industriel très riche. Elle va croiser Thomas Sharpe, un jeune inventeur qui vient demander des fonds à son père pour mettre au point une machine destinée à faciliter le travail de la mine. Elle va alors tomber amoureuse de cet étranger aux allures inquiétantes, délaissant pour cela le docteur Allen qui l’aime également. Thomas est toujours accompagné de la non moins inquiétante Lucille, sa sœur. Mais le père d’Edith qui a fait procéder à une enquête sur les Sharpe, ne voulait pas qu’elle se marie avec Thomas. Or il va être sauvagement assassiné. Dès lors la voie est libre pour que Thomas épouse Edith. Le couple accompagné de la sœur va rentrer en Ecosse dans un château très inquiétant où Edith commence à voir des fantômes. Lucille et Thomas ont en outre un comportement étrange, ils veulent s’approprier la fortune d’Edith. A ce stade on comprend deux choses, que cette romance va mal tourner, et qu’Allen forcément viendra sauver Edith des griffes du couple infernal.
L’inquiétante Lucille règne sur le château
Ce qui est frappant d’abord dans ce film c’est le nombre de références cinématographiques qui sont recyclées ici. Et en premier lieu les vieux films d’Hitchcock. Cette histoire de trio où une femme mauvaise veut éliminer la jeune épouse est le même que Rebecca. La façon d’empoisonner Edith ressemble à celle de Suspicion. D’ailleurs comme dans Hitchcock, Guillermo del Toro nous prévient tout de suite des intentions mauvaises du frère et de la sœur. Sur ce point il n’y aura pas de suspense. Presque chaque image peut être retrouvée dans des films anciens, la fin, la bataille sanglante entre Edith et Lucille est fortement inspirée de Carrie. Ce dernier film éclaire du reste aussi les rapports entre Edith et sa propre mère. Les exemples sont trop nombreux pour qu’on les cite tous. Mais ce film étant destiné d’abord à un public adolescent, il est probable que ces références n’ont pas beaucoup d’importance si ce n’est pour qualifier la paresse scénaristique du propos. Cet ensemble groupé de références fait que tout est prévisible dans ce film, y compris l’arrivée d’Allen et le retournement de Thomas.
Dans le château de son mari des bruits inquiétants
Il va de soi qu’on ne cherchera pas le réalisme dans cette histoire et qu’on admet d’emblée les fantômes et autres phénomènes surnaturels. Par contre le personnage d’Edith manque de logique, sa niaiserie vis-à-vis de Thomas se trouve en porte à faux avec sa malice qui consiste à enquêter à l’intérieur du château sur les étranges phénomènes qu’elle perçoit. Le nœud de l’intrigue réside dans l’analyse d’un trio amoureux, ou plutôt dans celle d’un amour baroque entre un frère et une sœur, amour contrarié par l’intrusion d’une oie blanche dans cet univers de mort. C’est cela qui fait en réalité de Lucille le personnage central de ce drame, et sans doute le plus intéressant. L’inceste est la contrepartie évidente de cette débauche de sang et de meurtres. La volonté de s’approprier la fortune d’Edith n’étant qu’un pâle prétexte à découvrir le bonheur dans le crime. Il n’est pas bien compliqué de voir que ce qui est en jeu ce sont les rapports ambivalents entre la sexualité et le crime de sang.
Lucile empoisonne Edith
Ce scénario paresseux et convenu n’est pas sauvé par une mise en scène très rigoureuse. Visant un public d’adolescents, Guillermo del Toro multiplie les effets : il compense la pauvreté de son histoire par l’extravagance des décors du château, et le manque de dimension de ses personnages par une débauche de couleurs : il y a bien trop de rouge. Comme dans les films gore des années soixante-dix, les images sont saturées de fausse hémoglobine, les fantômes eux-mêmes sont rouges sang. Mais au-delà de la recherche d’effets visuels choquants, il y a une trop grande mobilité de la caméra qui donne le tournis, y compris lorsqu’on se promène au début du film avec Edith dans les décors urbains. Le réalisateur recycle des vieilles recettes, notamment dans la manière de filmer les escaliers – en référence au Spiral staircase de Siodmak sans doute – ces escaliers qui servent à montrer le trouble de la personnalité d’une héroïne complètement dépassée par les événements et qui n’arrive pas à prendre la décision de s’éloigner de son époux. Plus généralement il y a une hésitation qui nuit au film entre fantastique et gore et cette hésitation en fait ressortir encore plus les défauts du sujet.
Le château est isolé du monde par la neige
La distribution ne donne pas lieu à de longs commentaires, elle est construite autour du trio amoureux. Mia Wisikowska est Edith. Spécialiste du rôle de l’Alice de Lewis Carroll, elle a tourné aussi dans de nombreux films d’horreur. Elle manque un peu de personnalité. Tom Hiddleston qui incarne Thomas se fait remarquer parce qu’il surjoue les beaux ténébreux alors que son physique des plus banals ne le lui permet guère. Plus intéressante est Jessica Chastain dans le rôle de la sulfureuse Lucille. Mais c’est toujours comme ça, les rôles de sorcières à l’écran sont plus porteurs que ceux de victime. Elle est en quelque sorte le pendant de la sorcière de Blanche Neige.
Le film est un échec sur le plan artistique, mais aussi sur le plan commercial, il a eu de la peine à couvrir ses frais ce qui peut s’expliquer aussi bien par la surenchère gore du film que par un scénario mal bouclé et paresseux, mais aussi par une distribution guère charismatique. Le labyrinthe de Pan reste pour l'instant la seule réussite de Guillermo del Toro.
« Police puissance 7, The seven-ups, Philip d’Antoni, 1973Quelque part en France, Reunion in France, Jules Dassin, 1942 »
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