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Quelque part en France, Reunion in France, Jules Dassin, 1942
C’est une rencontre plutôt étonnante entre d’une part John Wayne, le militant d’extrême-droite, et Jules Dassin, le réalisateur communiste qui va bientôt être chassé d’Hollywood ; et d’autre part entre Joan Crawford, la reine incontestée du film noir, et ce même John Wayne déjà à cette époque le héros de dizaines de westerns. D’autant que nous nous trouvons en 1942, juste un peu après que les Etats-Unis aient déclaré la guerre après l’attaque sur Pearl Harbour. Il faut dire que le courant isolationniste aux Etats-Unis était très fort et que Roosevelt qui voulait aller au conflit n’était pas suivi par la population. Mais Hollywood qui était dominée par la gauche en ce temps-là, avait déjà commencé sa propagande contre l’Allemagne et pour l’entrée en guerre contre les puissances de l’axe. Cette position antifasciste était constante depuis au moins la guerre d’Espagne.
La guerre va séparer Robert et Michèle
Michèle de la Becque est une femme un peu frivole, amoureuse de Robert Cortot un riche industriel, elle va être surprise par la guerre, l’invasion et le pillage de la France par l’Allemagne nazie. Mais plus encore, revenant à Paris après l’exode, elle va découvrir que Cortot est devenu un collaborateur qui travaille pour l’Allemagne uniquement dans le but de s’enrichir encore un peu plus. Elle prend ses distances avec lui, ne supportant pas la servitude imposée par l’Allemagne. Ayant été dépossédée de sa maison et de son argent, Michèle va devoir travailler pour une maison de haute couture. Presque par hasard, elle va croiser la route de Pat Talbot, un américain engagé dans la RAF dont l’avion a été abattu et qui se cache dans Paris, blessé et affamé. Elle va l’aider avec ses moyens. Elle va essayer de se servir de Cortot pour l’évacuer vers Lisbonne, mais les nazis vont essayer de l’arrêter. Dès lors elle se trouve aussi menacée. L’histoire est due à Leslie Bush-Fekete, forme américanisée de Ladislas Bus-Fekete, exilé hongrois aux Etats-Unis qui avait aussi travaillé pour Julien Duvivier, Lydia, remake de Un carnet de bal, et qui travaillera sur Casbah de John Berry, remake de Pépé le moko. On y trouvera aussi une dénonciation très précise du régime de Vichy, ce qui n’est pas sans intérêt puisqu’on sait que les Américains ont un moment pensé à se rapprocher de lui plutôt que de soutenir le général de Gaulle.
Pat Talbot se retrouve chez Michèle
C’est donc un film à la gloire de la Résistance française qui s’ouvre et qui se referme sur La Marseillaise. Il est destiné à montrer que malgré la défaite militaire et les apparences de la collaboration, les Français sont toujours debout et luttent avec leurs moyens contre les nazis. Le but étant de justifier l’aide que l’Amérique peut leur apporter, et donc l’engagement contre les puissances de l’axe. C’est un film qui s’est tourné en toute hâte, et si la première partie de l’histoire tient bien la route, avec la description du désarroi français après l’exode, la dernière partie devient rocambolesque et un peu trop prévisible autant qu’irréaliste. Malgré cela, le film est intéressant parce que Michèle hésite entre deux hommes, elle veut un homme qui se batte et qui partage ses idées de Résistance, ne voulant pas croire que l’homme à qui elle est promise soit un traître à sa patrie. Il y a d’ailleurs en creux l’idée d’une trahison globale des élites françaises, tandis que le petit peuple reste fidèle à la patrie. La manière dont une femme de la haute bourgeoisie se compromet avec un officier allemand et ensuite se bat presque pour acheter un manteau est édifiante de la frivolité de ces femmes sans conscience qui ne cherchent qu’à jouir de la vie, alors que la France entière souffre de mille maux. La transformation de Michèle en une patriote courageuse et déterminée est au cœur du film : c’est au pied du mur qu’elle prend conscience du désastre et en sort transformée.
Michèle essaie de partir pour Lisbonne avec Pat
L’interprétation est fondée sur un trio, mais le caractère dominant est bien entendu Michèle, incarnée par Joan Crawford, toujours excellente. John Wayne et Philip Dorn sont ravalés au rang de faire-valoir. Si Philip Dorn est très bon dans le rôle de l’ambigu Cortot, John Wayne dans le rôle de l’Américain engagé dans la RAF est franchement mauvais. Certes il incarne un jeune homme courageux et un peu pataud, mais il est bien trop transparent dans un rôle qui ne lui convient pas. Parmi les seconds rôles, on remarque John Carradine, toujours excellent, en chef de la Gestapo. On reconnaîtra aussi le toujours excellent Howard Da Silva dans le rôle d’un agent de la Gestapo.
Pat et Michèle attendent un avion près de Fontainebleau
La mise en scène est un peu décousue, à l’image du scénario. Faite de hauts et de bas, elle est très bonne dans les passages où sont mis en opposition les caractères entre les collaborateurs et les apprentis résistants, ou encore quand on voit les queues pour avoir des bons et acheter du charbon, la foule massée dans les couloirs du métro en attendant la fin de l’alerte. Elle est moins brillante dans les passages relatant la course poursuite entre les Allemands et les agents britanniques. C’est seulement le deuxième long métrage de Jules Dassin, il lui faudra attendre encore 5 longues années avant qu’il arrive à la consécration et donne toute la dimension de son talent. Mais il n’a sans doute pas tourné ce film par hasard comme une simple commande. Dassin, juif et proche des communistes, avait à cœur de le faire.
Michèle roulera les nazis dans la farine
Ce film est assez peu connu, sans doute parce qu’il n’est pas sorti en France en 1942 pour cause d’Occupation allemande. Mais il est sans doute un des premiers films américains sur ce thème. Vivre libre de Jean Renoir sera tourné l’année suivante. Aussi bien pour ce qui concerne la carrière de Jules Dassin, que le développement de la vision américaine de la Seconde Guerre mondiale, ce film, malgré ses imperfections, vaut le détour.
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