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Dominique Maisons, Avant les diamants, La Martinière, 2020
Evidemment, le sujet ne pouvait que m’intéresser. En effet, on y parle du roman noir d’Hollywood. Ça se passe en 1953, les essais nucléaires ont commencé dans le Nevada, et le gouvernement tente de prolonger la Chasse aux sorcières en renforçant indirectement son contrôle sur le système de production hollywoodien pour mieux en contrôler la formation des rêves et donc contrebalancer le poids des Majors dans le système. Un couple est chargé de cette mission, Annie Morrison et Chance Buckman. Ils vont pratiquer un billard à trois bandes. D’abord mettre la pression sur un prêtre homosexuel, celui ayant le devoir de négocier avec Jack Dragna, un mafieux très violent qui prospère dans le jeu et la prostitution et qui voudrait s’installer dans le cinéma. Le prêtre doit alors le pousser à investir dans les affaires d’un producteur raté spécialisé dans les films à budgets minuscules, Larkin Moffat. Tout cela pourrait fonctionner plus ou moins bien, mais chacun de ces protagonistes possède des défauts rédhibitoires. Chance lui est accroché au jeu comme à une drogue. Le père Starace, un prêtre catholique qui doute, est mené par le bout du nez par son jeune amant latino. Et Moffat a aussi une jeune maitresse, Didi, qui le trompe avec une femme, l’actrice en devenir Liz Montgomerry, et à qui de temps à autre il file une raclée pour lui apprendre la vie. En outre il est coincé entre Dragna qui exige que Moffat cesse toute relation avec Johnny Stompanato, celui-ci qui est proche de Mickey Cohen et qui tourne des films pornos minables dans les minables studios de Moffat. Dragna veut également que ses deux millions de dollars lui rapportent gros. On voit que les conditions d’un drame sanglant sont réunies, parce que deux millions de $ qui se promènent dans la nature ça attire forcément les convoitises ! Et les prétendants sont très nombreux. Ce qui va faire se télescoper toutes ces ambitions, jusqu’à un dénouement des plus sanglants.
Johnny Stopanato et Mickey Cohen
Dans ce roman foisonnant, l’ambiance est celle du Grand nulle part d’Ellroy, auteur vers lequel Maisons lorgne ouvertement. Mais on pourrait dire en mieux, en bien mieux. En effet Ellroy défend un point de vue d’extrême droite dans lequel les personnages d’Hollywood qui sont poursuivis par l’HUAC sont des vendus à Moscou ou des homosexuels un peu tarés et donc qu’ils ont exactement ce qu’ils méritent, même si les méthodes pour les chasser sont souvent brutales et en marge des lois. Autrement dit Ellroy rêve d’une Amérique qui n’a jamais existé, tandis que Maisons avance qu’elle est restée toujours elle-même, engluée dans violence native. Mais dans le parallèle qu’on peut faire entre l’ouvrage d’Ellroy et celui de Dominique Maisons, il y a quelque chose de plus important. En mélant trois éléments : les essais nucléaires dans le Neveda, la Chasse aux sorcières et les tentatives de l’armée de contrôler la production cinématographique, l’ensemble présente un processus de régulation étatique visant à instaurer la peur et à obliger les populations à se tenir tranquilles. C’est un système complet de gouvernement. D’ailleurs Maisons fera allusion à l’ouvrage d’Edward Bernays, Propaganda. On sait que cet ouvrage, écrit en 1928 par un neveu de Freud, est un modèle aussi bien pour le marketing publicitaire que pour la propagande politique. De la même manière il parlera des expériences qu’on a tentées dans le cinéma avec ces images subliminales qui éduquent le spectateur sans qu’il s’en rende compte[1]. L’idée est toujours de contrpiler la pensée d’autrui. Mais cet aspect pour important qu’il soit n’est qu’un des aspects de l’ouvrage. Il y en a au moins deux autres : une description du milieu hollywoodien avec ses hypocrisies et ses bassesses, et tout ce qui peut se nouer autour d’une mafia omniprésente dans ce secteur. C’est bien là l’essence du noir, montrer l’envers de l’âme humaine, son mauvais côté si on veut. Et à la vérité, dans ce roman il n’y a pas de personnage qui puisse représenter quelque chose de positif. Quand les protagonistes ne sont pas des salopards et des criminels en puissance, ce sont des imbéciles et des naïfs. Il y a aussi une référence plus indirecte à Chinatown de Polanski, on trouve en effet un détective privé nommé Jack Gittles dans le roman de Maisons, ce qui nous rappelle le Jack Gittes de Polanski. Seul un « l » vient troubler le parallèle. On retrouve aussi les champs d’orangers de Chinatown dans le final. Maisons met en scène une jeune actrice Liz Montgomerry qui sera défigurée. On peu penser que ce nom est choisi en référence à Elizabeth Montgomerry, la fille de l’acteur Robert Montgommery, qui devint célèbre grâce à la série Bewitched, et qui fut une militante pour les droits des homosexueles, et aussi de Lizbeth Scott, lesbienne militante et icone du film noir. Maisons fera aussi le portrait de V. un réalisateur déchu tournant des films scabreux. Ce V. semble être inspiré par Erich Von Stroheim pour partie. Toutes ces références donnent du corps à l’ensemble.
Dans le désert du Nevada le 17 mars 1953
L’écriture est directe, au présent la plupart du temps. Maisons excelle dans les scènes où il faut décrire clairement ce qui se passe pour en donner un ressenti émouvant au lecteur. Par exemple l’explosion de la bombe dans le désert du Nevada, ou encore cette scène de torture où on verra une femme défigurée à l’acide sous la direction de Dragna. Il sait rendre très vivant des événements connus de tous, mais souvent rendus peu sensibles par la sécheresse des faits énoncés. Il y aura donc une grande violence décrite sans concession. Ça saigne et parfois ça vire à l’orgie sanguinolente comme dans un film de Tarantino ! Maisons aime le cinéma américain et le milieu qui le peuple, malgré tout, et il décrira aussi de manière précises les conditions de production et de tournage. Ce gros roman de plus de 500 pages raconte forcément plusieurs histoires en parralèle. C’est la loi du genre. Mais cela permet à Maisons de trouver des relations astucieuses et surprenantes entre elles. Il y aura donc plusieurs retournements de situation plutôt inattendus. L’astuce de ce genre de roman est de mêler des personnages bien réels à des personnages de fiction, sans que cela paraisse trop téléphoné, et Maisons fera d’Hedy Lamarr le fil rouge de son livre, même si elle n’a somme toute qu’un rôle mineur dans le déroulement de l’intrigue.
L’industrie du cinéma permettait aussi à la presse à scandale de prospérer
L’ouvrage repose sur une documentation serrée. Il y a tout de même quelques erreurs factuelles par exemple Kim Novak n’était pas d’origine polonaise, mais tchèque. On peut regretter aussi que la fête orgiaque donnée par Errol Flynn dans sa propriété soit copiée de Kenneth Anger, Hollywood Babylon publié en 1959. Johnny Stompanato n’était pas aussi important que cela dans la vie de Mickey Cohen, il doit surtout sa célébrité à la fin de sa vie brutale, tué officiellement par la fille de Lana Turner, Cheryl Crane, mais plus certainement par Lana Turner elle-même. On relèvera aussi quelques anachronismes dans l’emploi du vocabulaire, on ne parlait pas de phalocratie en ces temps, ni même de communautés. De même le jazz en 1953, et surtout en Californie, n’était pas consigné dans les quartiers noirs, même si le racisme était encore virulent et un des moteurs de la police de Los Angeles. Mais ne chipotons pas, dans l’ensemble c’est un très bon roman noir, bien écrit qui tient en haleine le lecteur malgré les 500 pages.
[1] C’est le procédé avancé par James VIcary qui consiste à insérer une 25ème image dans un film ou dans un journal télévisé pour faire de la publicité. On ne sait pas qu’elle est létendue de l’utilisation de ce procédé. Il a été déclaré illégal.
« L’inexorable enquête, Scandal Sheet, Phil Karlson, 1952Le quatrième homme, Kansas city confidential, 1952 »
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