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Engrenage fatal, Railroaded, Anthony Mann, 1947
Parmi les films noirs d’Anthony Mann, Railroaded, n’est pas le meilleur, mais il vaut le détour à la fois pour son scénario compliqué, mais aussi assez invraisemblable, et pour la mise en scène parfaitement maitrisée. Cela démarre par un hold-up, deux gangsters masqués attaquent un salon de beauté qui couvre en réalité une officine de bookmaker. Tout devrait se passer bien avec la complicité de la gérante de l’officine, si une employée n’avait pas craqué nerveusement, attirant sur les lieux un flic qui passait par là. Une fusillade s’ensuit qui va blesser l’un des gangsters et laisser le flic sur le carreau. Dès lors, Duke Martin va se débarrasser de son complice blessé et monter un traquenard pour faire accuser à sa place un jeune livreur à qui ils ont emprunté le camion pour le hold-up. Le piège va marcher au-delà des espérances de Duke, et cela d’autant que Kowalski, son complice, sur son lit de mort, désigne Steve Ryan comme étant bien son complice. Toutes les preuves convergent donc. Mais la sœur de Steve va se battre et convaincre Ferguson, le détective chargé de l’enquête, de fouiller un peu plus la question au-delà des apparences. Dès lors une course entre Duke Martin et Ferguson vas s’engager, aussi bien pour conquérir le cœur de Rosie Ryan, que pour découvrir ou faire disparaitre d’éventuels témoins.
Le braquage du salon de beauté
L’histoire est due à Gertrud Walker qui est bien connue des amateurs de la série noire pour l’excellent roman A contre-voie. Maos elle a été aussi la scénariste du très bon L’esclave du gang, mis en scène par Vincent Sherman en 1950. Malgré les invraisemblances – on ne comprend pas très bien pourquoi Duke Martin rentre dans des complications qui attirent sur lui l’attention de la police – il y a de nombreuses subtilités. D’abord parce que Duke Martin, second couteau d’un gang puissant, décide de se mettre à son compte et de rouler son patron. Ensuite parce que ce même gangster perd la tête pour Rosie et se trouve en rivalité avec Ferguson. Et puis il y a le portrait d’un gangster qui domine le film, bien plus intéressant que le policier finalement qui est censé remettre un peu d’ordre.
Ferguson tente de faire parler Kowazlski
L’ensemble reste pourtant mitigé, mais c’est souvent comme ça avec Anthony Mann. A côté de très bonnes scènes comme le hold-up qui ouvre le film, ou la bagarre entre Clara et Rosie, il y a des passages trop convenu, sans même parler du happy-end franchement béta. Mais on assiste aussi au travail de la police : les services techniques qui analysent les balles ou les traces de poudre, et l’interrogatoire de Steve Ryan qui laisse entendre que la police a des méthodes un peu brutales pour obtenir des aveux. Le travail routinier de Ferguson apparait moins intéressant, un peu comme si la scénariste et le réalisateur s’étaient désintéressés de ce personnage un rien mollasson.
La police réclame des aveux à Steve Ryan
Le film dure à peine une heure dix, série B oblige, mais il y a bien plus de choses que dans les films récents qui s’étirent sur plus de deux heures de temps. Le montage serré donne un rythme soutenu. Mann utilise bien évidemment tous les codes des films noirs des années quarante, il film à travers des fenêtres à jalousie, joue des ombres meurtrières pour souligner le danger que court Ferguson ou Rosie. On retrouvera les cabines téléphoniques qui apparaissent comme des leurres pour la protection des témoins et qui se révèlent des pièges mortels. Les scènes d’action sont filmées en plan large pour profiter de la profondeur de champ, sans trop multiplier les angles de prises de vue. L’ensemble est soutenu par une très bonne photo de Guy Roe. Ce photographe est assez peu connu, il a en effet souvent travaillé sur des séries B avant de passer à la télévision.
Clara Calhoun tente d’amadouer Duke Martin
Comme souvent dans ce genre de film la distribution est intéressante parce qu’elle s’éloigne des critères glamour un peu convenus. Les acteurs les plus remarquables sont John Ireland dans le rôle de Duke Martin, et Jane Randolph dans celui de l’arrogante Clara Calhoun qui va devoir en rabattre rapidement. Le premier reste un psychopathe tout à fait crédible, tuant tout ce qui se met en travers de sa route, sans états d’âme, et la seconde évolue entre cupidité et attachement viscéral à Duke qu’elle aime autant qu’elle craint. Ce sont deux fauves qui ont choisi le mauvais côté de la loi. Les acteurs qui sont sensés incarner la morale et la loi apparaissent bien fades à côté d’eux. On regrette que John Ireland ait eu aussi peu de rôles intéressants et se soit finalement cantonné aux seconds rôles de méchants. Ferguson est interprété par l’insipide Hugh Beaumont qui collectionnera un nombre impressionnant de mauvais films et de films de série B. Sheila Ryan n’est guère plus intéressante, petite oie blanche projetée dans l’univers frelaté des boîtes de nuit, elle incarne Rosie Ryan. Edward Kelly qui ne semble pas avoir fait carrière par ailleurs, est très bon dans le rôle de Steve Ryan, jeune homme sûr de son bon droit et de son innocence.
Dans le club dont il est le gérant, Martin essaie de tromper Rosie
Sans doute le tournage n’a dû prendre que quelques jours. C’est filmé à l’économie, petit budget, très peu de décors, éclairage assez faible. Il y a peu de scènes aussi avec de voitures. Il y a très peu de scènes d’extérieur, et également peu de scènes qui se passent le jour. Cela permet de travailler les contrastes du noir et blanc et d’en faire ressortir la magie. La maîtrise de Mann se sent évidemment d’abord dans cette capacité à créer une atmosphère angoissante, plutôt que dans la direction des acteurs d’ailleurs.
Duke Martin pense que Clara est sur le point de parler
L’ensemble fait un bon petit film noir sans trop de débordements psychologiques, très agréable à regarder, mais pas un grand film inoubliable. Du même Anthony Mann, dans le genre noir, on préférera Raw deail ou T-men. Mais progressivement il va voir plus de moyens aussi, et ça compte.
Duke veut abattre Rosie
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