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Un Français, Diastème, 2015
C’est en quelque sorte un film maudit, qui a eu les pires ennuis au moment de sa distribution. La critique a été particulièrement mauvaise, et la pression de divers milieux pour l’empêcher de sortir a été importante, au point qu’il a fallu pratiquement y renoncer. En quelque sorte, ce film a un peu le même destin que Made in France[1]. Les deux titres sont très proches et ils ont en commun de traiter tous les deux des minorités violentes qui veulent peser sur le destin du pays. Le film de Nicolas Boukhrief prenait pour sujet de jeunes musulmans, plus ou moins fraichement convertis, qui versaient dans les attentats. Le film de Diastème traite de l’évolution d’une bande de jeunes d’extrême-droite qui se situent évidemment à la droite du FN. Mais au fond il s’agit de la même chose, deux jeunes de banlieue sans trop de culture qui vont se livrer à des actes d’une grande violence. Ces deux films ont eu contre eux aussi bien la critique bien-pensante que les réseaux sociaux des deux bords qui ont menacé les salles des pires représailles si les films sortaient. Evidemment ceux qui en prônaient l’interdiction ne les avaient pas vus.
Marc et ses copains traquent les gauchistes
C’est l’histoire de Marc, un jeune plutôt paumé de la banlieue qui avec ses potes se livre à des agressions contre les Arabes, contre les gauchistes. Ils apparaissent comme un groupuscule d’extrême-droite, tendance skinhead, écoutant de la musique de rock identitaire, buvant et ne fonctionnant que comme une sorte de famille. Mais Marc va supporter de plus en plus mal cette violence, il va lui-même être grièvement blessé alors qu’il est employé comme videur dans une boite de nuit. Grâce à un pharmacien qui se prend d’amitié pour lui, il va peu à peu se reconstruire. Entre temps il va rencontrer la belle Corinne dans ce milieu d’extrême-droite fascisant, et il va avoir un enfant. Mais sa femme ne supporte pas sa passivité face à l’envahissement des « bougnouls » et des « nègres », elle va le quitter, le privant en plus de voir sa fille. Peu à peu tout son monde va s’effondrer, Grand-Guy va se retrouver en prison, ses parents vont disparaître, et lui va rester tout seul.
Un pharmacien va se prendre d’amitié pour Marc
L’histoire se déploie sur une trentaine d’années, du début des années 80 jusqu’à nos jours, et l’évolution de Marc est rythmé par le développement et la transformation de l’extrême-droite ne France. Il y a donc deux manières de voir le film, soit comme une histoire de l’extrême-droite, soit comme la rédemption d’un jeune homme égaré. Sans doute c’est cette double lecture qui a déconcerté les critiques qui dans l’ensemble auraient voulu voir un film plus didactique, condamnant directement le FN et ses satellites. Autrement dit, ils auraient voulu que Diastème montre des militants extrémistes complètement fanatisés et sans âme. C’est pour le coup que ce film eut été mauvais. Le réalisateur choisit le point de vue inverse, montrer que les militants d’extrême-droite, crypto-nazis, sont complètement égarés et sans culture, ce qui ne les rend pas moins dangereux d’ailleurs. Il ne cache pourtant rien de la compromission du FN avec des groupements qu’on peut appeler néo-nazis. Il montre même comment ce parti s’en nourrit et les récupèrent. On verra par exemple Braguette devenir un apparatchik d’extrême-droite, se dédiabolisant quelque peu pour justement faire de la politique. Mais Diastème va au-delà de l’analyse politique et donne le portrait d’un homme en quête de rédemption, un homme qui doit faire des efforts constants pour chasser de lui cette violence qui le ronge et l’empêche de vivre. Marc est un solitaire qui croit chasser sa solitude en adhérant à un groupe violent et solidaire, mais qui restera au bout du compte encore plus seul.
Kiki fait des avances à Marc
Le film s’appuie sur des éléments réels, c’est-à-dire sur des exactions commises au fil des années par ces groupements violents autant que marginaux. Mais plus que ces renvois à des faits avérés, c’est le portrait des militants d’extrême-droite qui est juste. Aussi bien les bars où ils se réunissent, que les réunions où se mêle une haute bourgeoisie, ou encore les réflexes de ceux qui contestent que la France soit représentée à la coupe du monde de 1998 par des Arabes et des noirs. Les actes violents sont ceux d’une jeunesse perdue dans le tréfonds des banlieues – c’est bien là la parenté avec Made in France. C’est une jeunesse sans culture, sans espoir. Bien évidemment le thème sous-jacent est que la violence de Marc et de ses copains correspond à une haine de soi. Et c’est bien sûr un arrachement que de s’y soustraire. La prise de conscience se fera dans la douleur, notamment à travers ses symptômes médicaux, comme une forme d’asphyxie, ou ce coup de couteau qui l’éventre. Ça ne peut pas se faire sans d’énormes sacrifices : Marc perdra sa femme, sa fille, et ses amis pour regagner une sorte de dignité personnelle. Je ne sais pas si tout cela est intentionnel, mais un film est fait pour échapper au contrôle de son réalisateur. En tous les cas il faut une mauvaise foi obtuse pour tenter de faire croire que Diastème serait complaisant avec l’extrême-droite. A l’évidence il est clairement hostile aux idées d’extrême-droite et Marc, son porte-parole, va se révéler lui aussi hostile aux idées d’extrême-droite quand il affrontera Braguette à propos des soupes qui doivent être distribuées aux miséreux.
Lors d’une réunion politique Marc va connaitre Corinne
On a reproché à ce film d’être mal écrit. Certes il y a une faiblesse dans le scénario qui vers la moitié du film a du mal à enchaîner, et le rythme s’affaisse quelque peu, et on craint que le film ne ressemble plus qu’à un empilement de scènes de genre. Mais il faut dire que représenter trente ans de l’évolution d’un personnage est extrêmement difficile. C’est pourtant un défaut que je trouve mineur en regard de l’ampleur du projet. Car en effet, à partir du moment où Marc renverse sa propre perspective de vie, le film retrouve sa cohérence. C’est un film à petit budget, mais qui recèle des qualités de réalisation qui ne sont pas à négliger. D’abord les scènes de violence sont très bien tournées. Il y a une vivacité remarquable et une grande capacité à immerger ces scènes dans les décors naturels utilisés. Mais les scènes plus intimes si elles sont mises en scène avec moins d’originalité touchent par leur justesse : que ce soit la confrontation entre Marc et Grand-Guy au parloir de la prison de Poissy, ou la dispute violente entre Corinne et Marc. Il y a une vérité de la vie sociale qui est également présente dans les scènes comme la bagarre devant la boîte de nuit, ou le travail que Marc effectue dans la grande surface. L’ambiance du film reste cependant noire et désespérée, même si elle met en scène le cheminement d’un individu vers le rachat. Marc se rachète en effet individuellement mais aussi vis-à-vis de la société en général à qui il paiera sa dette aussi bien en acceptant des tâches humbles dans un hyper-marché, qu’en allant servir la soupe aux sans-abri.
Marc et le pharmacien font des randonnées
Mais la direction d’acteur est aussi très bonne. Dominée par la prestation très juste d’Alban Lenoir qui arrive à modifier radicalement par son jeu d’acteur la psychologie du personnage de Marc, il change littéralement de personnalité au fur et à mesure que ses cheveux poussent, qu’il est obligé de porter des lunettes ou que sa barbe s’allonge. Quand il est jeune, il a le regard hargneux de ceux qui cherchent la bagarre pour une raison ou une autre, puis quand il est plus vieux, il lui arrive de sourire à un enfant. Il pleurera même la mort de sa mère alors qu’il est tout seul à son enterrement. Le reste de la distribution est tout à fait à la hauteur des intentions de l’auteur. On donnera une mention spéciale aux femmes, à Jeanne Rosa dans le rôle de Kiki, et à Lucie Debay dans celui de Corinne. Samuel Jouy dans le rôle de l’intransigeant Braguette est peut-être un peu moins bon, mais il incarne un personnage dont la qualité première est la raideur.
Marc retrouve son copain Grand-Guy en prison
C’est donc un bon film dans l’ensemble, et les reproches de candeur qui lui ont été faits ne tiennent pas debout. En effet, comme le film se passe sur trente années, il n’y a aucune raison que les personnages n’évoluent pas. Or en critiquant le film pour le dire un peu trop naïf, on sombre dans cette idée selon laquelle les militants d’extrême-droite non seulement n’auraient pas le droit au pardon, mais en outre il faudrait leur interdire d’évoluer. C’est bien mal connaître la nature humaine que de s’avancer sur le terrain, en prenant de l’âge on s’assagit généralement. Mais en outre, cela voudrait dire qu’il y a une impossibilité d’amendement pour ces gens-là, et donc que la seule solution valable serait finalement de les exterminer pour s’en débarrasser. Ce n’est pas l’idée de Diastème, ni la mienne, ce qui ne veut pas dire qu’on se refuse à combattre l’extrême-droite.
A cause de son passé, Marc ne peut voir sa fille que de loin
Le vieux copain de Marc agonise à l’hôpital
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/made-in-france-nicolas-boukhrief-2016-a120923716
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