• Equipe spéciale, La polizia e’sconfitta, Domenico Paolella, 1977

     Equipe spéciale, La polizia e’sconfitta, Domenico Paolella, 1977

    Il faut considérer que le poliziottesco, s’il est trop souvent assimilé à des idées d’extrême-droite, est une protestation politique contre une réalité sociale et politique qui apparaît comme une décomposition des mœurs et un désordre organisé. Si le néo-réalisme à l’italienne célébrait la nécessité de la modernisation de l’idée par une transformation économique et sociale accélérée, le poliziottesco souligne en réalité l’échec du progressisme. Rétrospectivement il apparait que si la France, contrairement aux Etats-Unis est passée totalement à côté de l’importance de ce segment du film noir, c’est bien plus parce qu’elle avait intégré une certaine idée de l’évolution linéaire de l’histoire qu’à cause des lacunes d’une critique cinématographique dominée bêtement par la Nouvelle Vague et Les Cahiers du cinéma.  Depuis quelques années, même en France on comprend mieux l’importance du poliziottesco. Aux Etats-Unis et bien sûr en Italie, il existe déjà de nombreux ouvrages sur le poliziottesco, mais pas en France où le cinéma qu’on a aimé est avant tout un cinéma qui se regarde le nombril à la manière des jeux de distanciation sociale d’un Ettore Scola par exemple ou d’un Fellini[1]. Les films de ce sous-genre étaient à quelques exceptions, par exemple Damiano Damiani, près très mal diffusé chez nous et pour dire la vérité, si j’en ai vu beaucoup en salle, j’en ai loupé pas mal dans les années soixante-dix. Ce qui fait la grandeur du poliziottesco est aussi ce qui en a produit son rejet. C’était un cinéma populaire qui était fait pour alimenter le réseau pléthorique des salles du marché italien, puis pour l’exportation. La fin du poliziottesco coïncide au début des années 1980 avec la multiplication des chaînes de télévision et la déréglementation du passage des films en salle. Comme on le comprend, et comme le montre le graphique ci-après, cette déréglementation qui a fait la fortune de Silvio Berlusconi a détruit le cinéma populaire en Italie, le western spaghetti, le giallo et le poliziottesco ont disparu dans le même moment, laissant la place à un cinéma subventionné pour festivals internationaux. Mais le fait que le poliziottesco était un genre populaire ne suffit absolument pas à en définir sa qualité. Ce sous-genre non seulement était peu onéreux, mais en outre il savait toucher le cœur des classes pauvres en utilisant une manière de tourner située au cœur même de la vie sociale des Italiens. En ce sens il était le continuateur des films de Francesco Rosi plutôt que de ceux d’Elio Petri. Outre cette insertion dans un quotidien bien connu, il ménageait également un rythme particulièrement efficace. L’étroitesse des budgets alloués entraînait aussi la nécessité de tourner vite et d’utiliser au maximum les décors naturels.  

    Equipe spéciale, La polizia e’sconfitta, Domenico Paolella, 1977

    Le plus surprenant dans tout cela est que de nombreux réalisateurs de poliziotteschi sont totalement inconnus en tant que créateurs. Domenico Paollela a fait toute sa carrière dans l’obscurité du cinéma de genre, des Maciste et autres péplums, des films de pirates, des Django et j’en passe. Il a très peu fait du poliziottesco. Et pourtant quand on voit ses rares films dans ce sous-genre, on est surpris de leur qualité technique. Le fait qu’il ait été un réalisateur prolifique n’en fait pas pourtant moins un « auteur » dans le sens qu’il travaillait directement sur ses scénarios, et qu’il possédait un style visuel affirmait. En tous les cas si beaucoup des films de Paolella sont peu regardables, La polizia e’sconfita est sans doute ce qu’il a fait de meilleur, même s’il travaille dans un cadre assez contraint, avec des stéréotypes qui permettent de le rattacher à un sous-genre. C’est en réalité bien plus qu’une reproduction de stéréotypes, Roberto Curti signale qu’il s’agirait ici en fait d’un remake de Quelli calibro 38, avec le même Marcel Bozzufi dans le rôle d’un commissaire[2]. Parler de remake me semble cependant exagéré car les différences sont nombreuses quant à la situation du criminel recherché, mais aussi des dommages collatéraux que subit le commissaire. 

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    Le commissaire Grifi constate les dégâts 

    Le chef de gang Valli rackette les commerçants de Bologne et lorsque ceux-ci rechignent à payer le pizzo, il leur fait poser des bombes qui engendrent la peur à cause des dégâts qu’elles engendrent. Le commissaire Grifi va interroger un propriétaire de bar victime de Valli. Bien qu’il ne veuille pas parler, Grifi comprend que ce sont Valli et ses sbires qui sont derrière ces attentats. Devant les difficultés de la tâche, le chef de la police va donner l’autorisation à Grifi de créer une brigade spéciale. Celle-ci va s’entrainer à la conduite de la moto, au tir au pistolet, au close-combat, et s’isoler du reste de la police. Tandis que le propriétaire du bar se fait assassiner à l’hôpital, et que les attentats continuent, Grifi envoie ses hommes infiltrer le milieu pour avoir des informations sur Valli qui semble se cacher. En allant au restaurant avec un ami policier, Grifi va pourtant lui tomber dessus alors qu’il est attablé avec un de ses complices et deux putes. Dans la fusillade que Valli déclenche, le commissaire Marchetti, l’équipier de Grifi, est tué, et les gangsters arrivent à s’enfuir après avoir crevé les pneus de la voiture du commissaire. Il faut tout reprendre à zéro. Mais les policiers vont avoir des nouvelles du gang qui se propose d’attaquer une banque. Les gangsters sont pris sur le fait et après une longue poursuite leur voiture explose et deux d’entre eux sont arrêtés. Mais tout cela ne suffit pas pour coincer Valli. Pour remonter jusqu’à lui, Grifi va tenter de faire chanter le Tunisien, un maquereau, dont le frère qui était embringué avec Valli a été tué. La police va donc pouvoir localiser le cruel chef de gang dans une usine désaffectée. Mais Valli est sur ses gardes et va parvenir à s’échapper en abattant un autre policier. Tandis que les policiers le recherche toujours et mettent la main sur une grande partie du gang, Valli transactionnel avec Berti pour obtenir de l’argent et un passeport pour partir. Les choses tournent mal, et Valli descend Berti. Il va régler ses comptes avec le Tunisien, il le coince avec les deux autres soldats qu’il lui reste, lui pique son argent et l’émascule avant de le tuer. Valli est un homme traqué. Brogi, un autre policier, suit la piste de la compagne de Valli, une prostituée droguée. Celle-ci le mène directement au tueur. Il alerte Grifi, puis il le suit jusque dans un bus. Mais une fillette remarque que Brogi porte un révolver à la ceinture. Comme elle en fait part à sa mère, cela alerte Valli qui abat Brogi et prend le bus en otage pour tenter de fuir. Mais Grifi intervient, ayant rattrapé le bus, il tire à travers la fenêtre et touche Valli au bras. Les passagers du bus veulent le lyncher, mais Grifi intervient. En faisant descendre Valli du bus, les passants vont le reconnaître et reprendre le travail que les passagers du bus n’ont pas eu le temps d’achever. Ils écartent Grifi et frappent Valli jusqu’à ce que la mort s’ensuive. 

    Equipe spéciale, La polizia e’sconfitta, Domenico Paolella, 1977

    Le propriétaire du bar se fait assassiner à l’hôpital 

    Ce genre de films est parfois vu du côté des policiers, et parfois du côté du tueur. Ici le point de vue est presque équilibré, ce qui veut dire qu’à la chasse à l’homme on ajoutera le portrait d’un tueur psychopathe. La situation de Bologne est représentée par l’exaspération des commerçants face à l’impuissance de la police et à la malice de Valli. En effet, malgré ses airs de racaille de quartier – il porte un blouson à même la peau et ne fréquente que des putes de troisième catégorie, droguées de surcroît, il est très bien organisé. D’abord il a toute une bande à sa disposition qui fonctionne dans une division du travail, les uns sont des techniciens du téléphone et des explosions que Valli commande à distance, les autres des holduppers et d’autres encore de simples hommes de main qui ne rechignent pas aux sales besognes en jouant du rasoir. Ensuite il instille la peur à des truands plus installés et sans doute un peu rassis comme Berti, trafiquant de drogue et patron de boîte de nuit. Le crime prospère à la vue de tout le monde, les maquereaux ont pignon sur rue, et les boîtes de nuit donnent l’image du plus grand dévergondage. L’ampleur du problème justifie, comme c’est la règle dans un poliziottesco, la nécessité de changer de méthode. Cependant ici il ne s’agira pas de transgresser la loi, mais de l’utiliser avec d’autres moyens et d’autres intentions. Grifi expliquera dans la leçon qu’il fait à son équipe spécialement construite pour lui, que l’Italie est le pays d’Europe où le nombre de policiers est le plus élevé, mais que cela ne se voit pas dans les résultats, au contraire.   

    Equipe spéciale, La polizia e’sconfitta, Domenico Paolella, 1977

    Grifi va monter une brigade spéciale 

    Cette guerre entre des gangsters qui veulent imposer leur loi et la police, se déroule sur fond d’usines délabrées et désaffectées, comme pour signifier les débuts de la mondialisation et la fin du miracle italien. L’expansion de la criminalité est la contrepartie au fond de l’effondrement de l’économie. Il y a donc séparation entre deux mondes, celui de la vie ordinaire, et celui qui prospère sur le recul de celle-ci. Cependant le film nous indique que la bonne méthode pour restaurer un semblant d’ordre ce serait que les hommes retrouvent un peu de leur virilité et cessent de se payer de mots. Cette section spéciale que monte Grifi est l’expression de valeurs morales. Les policiers doivent devenir actifs, ne plus avoir peur et surtout ne plus être corrompus comme le leur signale Grifi. Certes cela a un prix, on verra que Grifi qui se fait tirer dessus par Valli alors qu’il est avec sa compagne, devra renoncer à celle-ci qui reste habitée par la peur malgré les tentatives du commissaire pour la rassurer. Derrière le film qui pourrait au premier abord se lire comme une illustration du machisme italien, il y a le portrait d’une Italie qui doute d’elle-même et c’est ce qui renforce le côté dramatique de l’histoire. 

    Equipe spéciale, La polizia e’sconfitta, Domenico Paolella, 1977 

    Valli ayant été reconnu par la police abat le commissaire Marchetti 

    La réalisation est excellente. On note d’abord qu’elle est fortement inspirée de Melville et du Samouraï. Valli est solitaire dans une chambre qu’il s’est aménagée dans l’usine désaffectée. Comme Jeff Costello il est également préoccupé d’un oiseau à qui il donne à manger, et c’est un autre oiseau qui l’alertera du danger. C’est une preuve supplémentaire de l’influence quasi planétaire du cinéaste français sur le film noir. Toute la séquence qui se passe dans l’usine est d’ailleurs filmée également dans les tons bleutés, pastellisés. Mais si les spectateurs du Samouraï ont une empathie pour Jeff Costello. Ce n’est pas le cas pour Valli. Celui-ci va bien au-delà de la nécessité dans les actes de cruauté. C’est comme si Paolella retournait et critiquait l’approche glamour de Melville en dévalorisant jusqu’à l’excès le tueur. La photo de Marcello Masciocchi est excellente en ce sens qu’elle est adaptée à son sujet et capte toutes les failles de la ville de Bologne. Il y a évidemment beaucoup d’action, des boutiques qui explosent, des voitures qui brulent. Paolella filme d’abord le mouvement, avec une caméra très mobile, à même le sol. Le montage est nerveux et renforce l’explosivité des actions. C’est typique dans le hold-up qui tourne mal et qui se continue avec une longue poursuite de voitures dans les rues de Bologne. Je retiens deux séquences remarquables qui valent le détour. D’abord la traque de Valli à l’intérieur de l’usine désaffecté, avec une fausse lenteur qui s’assimile à de la prudence de part et d’autre. Et puis bien sûr la longue scène finale dans le bus, avec le commissaire qui court après le véhicule et qui semble devoir le rattraper. 

    Equipe spéciale, La polizia e’sconfitta, Domenico Paolella, 1977

    La voiture des gangsters explose sous les tirs de Grifi 

    Le poliziottesco était le bonheur des acteurs déclassés dans leur pays, qu’ils soient américains ou français d’ailleurs. Marcel Bozzuffi est un excellent commissaire Grifi. En France il était trop souvent abonné aux seconds rôles à cause de son physique passe partout. Mais j’ai souligné souvent à quel point c’était un très bon acteur. Derrière il y a Vittorio Mezzogiorno dans le rôle de Valli. Il est très bon et joue de son physique très particulier aussi. C’est malheureusement un acteur qui disparaitra trop jeune. Cela fait partie de l’intérêt du poliziottesco de se servir de physique atypique qui renforcent la violence du propos. Riccardo Salvino interprète Brogi, mais c’est sans doute lui le plus mauvais de la distribution. Il est absolument terne, même quand il meurt. Nello Pazzafini est par contre à son affaire dans le rôle du Tunisien, vieux maquereau décati et apeuré. Les femmes sont plutôt négligées, c’est à peine si elles sont là pour montrer que ces hommes ont aussi un cœur. 

    Equipe spéciale, La polizia e’sconfitta, Domenico Paolella, 1977

    Grifi exerce un chantage sur le Tunisien pour le faire parler 

    Ce n’est pas un chef d’œuvre, il y a bien trop de facilités scénaristiques, les scènes de motards ne sont pas utiles à la progression du récit, mais on peut supposer qu’elles étaient inscrites dans le cahier des charges, histoire d’amener un peu de nouveauté dans le genre. De même les scènes d’une boîte de nuit où se rencontrent les dégénérés et drogués de la ville sont très convenues. De même la musique de Stelvio Cipriani est assez médiocre, reprenant quelle que soit la scène le même motif lancinant. Cependant même comme ça le film reste très bon et vaut le détour. C’est du solide ! 

    Equipe spéciale, La polizia e’sconfitta, Domenico Paolella, 1977

    Valli vient de repérer l’arrivée de la police 

    Equipe spéciale, La polizia e’sconfitta, Domenico Paolella, 1977

    Dans l’usine désaffectée, Valli va se perdre 

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    Grifi a blessé Valli en tirant à travers la vitre du bus 



    [1] Ce n’est certainement pas une critique qui vise à dénigrer Scola et Fellini, mais c’est plutôt une façon de mieux comprendre la segmentation du marché du film italien dans les années soixante-dix. Le premier Fellini, celui de La strada, s’intéresse aux pauvres, mais toujours en les présentant comme des victimes de la société et non comme porteurs d’une culture nouvelle particulièrement, ce sont les rejetés passif du progrès, une masse à éduquer. Du reste Fellini finira par ennuyer tout le monde avec ses ratiocinations formelles.

    [2] Roberto Curti, Italian crime filmography, 1968-1980, McFarland & Company, Inc., 2013. Le même Roberto Curti qui a fait le travail énorme de compilation des films criminels italiens, n’attribue que deux films de ce type à Domenico Paolella. Et de fait je n’en ai pas trouvé d’autres.

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