• Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950

     Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950

    Cy Endfield est assez peu connu, surtout pour sa contribution au film noir. Il reste dans les mémoires pour ses films comme Zulu et Sands of Kalahari, films d’aventures britanniques, ayant l’Afrique pour décor. C’était un cinéaste éclectique qui a donné un peu dans tous les genres. Il est vrai que sa carrière a été rendue plus difficile par le fait qu’il fut mis sur la liste noire pour sa proximité avec la gauche américaine. Curieusement son dernier film sera De Sade, personnage sulfureux qui fascinera toute la gauche intellectuelle. Il donnera un autre très bon film noir en 1957, Hell drivers, mais en Angleterre, pays plus accueillant pour les réprouvés d’Hollywood. Bien que The sound of fury n’en soit pas vraiment un remake, il est basé sur les mêmes faits bien réels survenus en 1933 à San José et qui donneront naissance au film de Fritz Lang, Fury, en 1936, mais il est réputé être plus près de la vérité. C’est Jo Pagano qui a écrit l’histoire et qui se collera au scénario. C’est un nom peu connu, et pour cause, il travaillera presqu’essentiellement pour la télévision. Ce film est également connu sous le titre de Try and get me ! C’est un drame social, avec un message édifiant, dans la lignée de Fury que nous avons cité, mais aussi de Owbow incident de William Wellman. 

    Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950 

    Howard Tyler est complètement fauché, et cherche désespérément du travail. Marié, il a un petit garçon, et sa femme attend un deuxième enfant. Il va finalement se résoudre à travailler avec le narcissique Slocum qui a besoin d’un chauffeur pour commettre ses hold-up. Leur association commence à être rentable. Bien que cela ne lui plaise pas trop, Howard apprécie pourtant le fait qu’il a maintenant pas mal d’argent et qu’il peut ainsi gâter sa famille. Cependant Slocum veut passer à la vitesse supérieure, il va, toujours avec l’aide d’Howard, kidnapper le fils d’un millionnaire pour lui arracher une forte rançon. Mais pour se simplifier la vie, il va assassiner sa victime et la jeter à la mer avec la complicité d’Howard. Celui-ci commence à se sentir vraiment mal. Rongé par la culpabilité, il commence à boire. Un soir il s’en va avec Slocum dans une boite de nuit et va faire la connaissance d’Hazel, une fille assez mal dans sa peau qui rêve de rencontrer quelqu’un qui l’aime et qu’elle pourrait aimer. Howard ment, disant qu’il n’est pas marié. Mais rongé par la culpabilité, il va parler à Hazel lorsqu’il se retrouve chez elle, lui raconter en détail le meurtre qu’il a commis. Celle-ci, effrayée, va s’empresser de le dénoncer à la police. Arrêté, Howard va dénoncer Slocum. Ils sont tous les deux transférés à la prison locale sous la garde du shérif. Howard a envoyé une lettre à sa femme pour lui demander qu’elle-même l’oublie, il ne se fait aucune illusion sur le sort qui l’attend. Mais le journaliste Stanton, poussé par son rédacteur en chef, commence à publier des articles de plus en plus violents qui vont mettre la foule en colère et celle-ci va attaquer la prison pour lyncher les meurtriers. Elle est entraînée par les étudiants, et la police est incapable de faire face à l’assaut, malgré quelques tirs de grenades lacrymogènes. Bien qu’Howard n’ait pas tué, il est bel et bien complice et n’en réchappera pas, au grand émoi de du directeur du journal local qui commence à comprendre le rôle des médias sur l’opinion et donc sa responsabilité personnelle dans ce drame.

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    Howard Tyler revient chez lui 

    C’est un film noir clairement militant qui ne cherche pas cependant à excuser des actes criminels, mais plutôt à en comprendre le mécanisme. C’est Howard le pilier. Il voudrait bien lui aussi vivre le « rêve américain », avoir les moyens de subvenir à sa famille, mais la crise économique fait que le travail est très rare. C’est le noyau dur du film : il y a une contradiction violente entre cette richesse provocante et provocatrice qui s’étale de partout et la difficulté de trouver du travail. Et donc cela va bien au-delà d’un individu victime de la crise, car il est victime aussi d’une société de consommation très envahissante. On le verra quand il va avec sa famille acheter des objets dont manifestement il n’a pas besoin. Egalement Howard veut jouer les chefs de famille responsable dans un partage des rôles qu’il a du mal à assumer. Sa femme est cantonnée aux tâches ménagères et donc lui fait entièrement confiance, sans comprendre ce qui se passe vraiment. C’est donc un homme faible qui joue les chefs de famille. Il va tomber sous la coupe de Jerry qui le domine et l’entraîne, et forcément il l’admire, même s’il n’est pas dupe de ce qu’il est vraiment. Il y a donc dans cette relation entre les deux hommes, une relation de dominant à dominé, c’est une relation homosexuelle larvée. Même s’il se rebelle, Howard finit toujours par faire ce qu’on lui dit. N’est-ce pas au fond ce qu’il cherche ? Cette passivité toute féminine selon les canons de l’époque qui lui permettrait de ne plus avoir rien à décider ? Evidemment cette contradiction lui reviendra dans la figure parce qu’il est incapable d’assumer un meurtre. Mais les autres personnages du film sont tout autant des mécaniques, que ce soit Slocum, que ce soit Hazel qui passe son temps à pleurnicher sur sa solitude, ou encore la plantureuse Velma qui prend la pose pour les photographes dans les couloirs du palais de justice. Ces personnages sont déshumanisés, contrairement à Howard. Mais si celui-ci a encore une conscience c’est au fond parce que le modèle américain a échoué. On le verra d’ailleurs plutôt mélancolique quand il accompagne sa femme faire des emplettes qui sont sensées donner un sens à la vie. 

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    Jerry Slocum propose à Howard de travailler avec lui 

    La deuxième couche c’est le rôle évidemment de la foule. Celle-ci illustre, comme dans nombre de films noirs, l’aspect malfaisant de la ville. C’est un point qui est souvent souligné : la foule que ce soit ici ou dans Fury, est par essence mauvaise au-delà de la somme de ses individus. Elle devient facilement enragée, manipulable. Curieusement Enfield en donne une lecture anti-communiste. En effet on la voit à travers la coopération des individus en train de trouver la force de renverser l’ordre social : la scène où elle accroche aux portes du palais de justice une corde pour arracher les portes de leurs gonds est édifiante. Lorsque les hommes s’unissent en un projet commun, ils ne peuvent faire que le mal. Certes ils trouvent une force bien supérieure à la somme de leurs individualités, mais pour un but des plus dérisoires. On notera que les leaders du lynchage sont des étudiants, comme quoi l’instruction ne leur évite pas de se comporter comme des bêtes !

    Fureur sur la ville, The sound of fury, Try and Get Me! Cy Endfield, 1950 

    Jerry attaque les stations-service 

    La responsabilité du journaliste est le dernier aspect du message : s’ils ne sont pas à l’origine des exactions de la foule, ce sont bien les articles qu’écrits Stanton qui excitent le peuple et lui donne un but à sa violence latente. Au lieu de raisonner, les médias pour faire de gros tirages jouent sur l’émotion. En oubliant en quelque sorte leur rôle éducatif, ils endoctrinent le peuple. C’est évidemment une vieille histoire que cette ambiguïté des journalistes, ambigüité dont ils ne se sont pas encore débarrassés. Il y a un appel direct aux intellectuels pour qu’ils prennent leurs responsabilités dans la marche vers la civilisation. Mais cette nécessité d’aller à contre-courant, va aussi à contre-courant du profit, car si on veut faire de l’argent, il faut en passer par des mises en scène grossières, jouer au premier degré sur les émotions. En attaquant le rôle des médias, c’est indirectement la vie moderne qui est critiquée, cette passion pour le fait divers qui devient la seule chose qui relie les populations entre elles. 

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    Howard dépense sans compter l’argent bien mal acquis 

    La mise en scène est très rigoureuse. A cette époque du cycle du film noir, Endfield maîtrise parfaitement les codes du genre. Il utilise très bien les décors extérieurs et filmera tout le début à la manière semi-documentaire, avec de très jolis plans de la route et des camions. La scène d’ouverture montre un prédicateur aveugle haranguant les foules pour les alerter sur la perte du sens moral. Cette scène très impressionnante dans la façon dont elle annonce le drame, inspirera sans doute Wise blood de John Huston[1]. Elle reviendra plus tard dans le milieu du film pour justement rappeler cette perte de tout jugement moral par la foule en colère. Mais Endfield s’éloigne de cet aspect lorsqu’il s’agit montrer grâce à des images comment Howard bascule dans la folie. La scène de la boite de nuit est filmée d’une manière très étrange : il y a des plans inclinés et des figures grimaçantes qui font tout à fait penser à Orson Welles. Il utilisera aussi quelques beaux travellings arrière pour accélérer le mouvement, notamment à travers les couloirs du palais de justice. Il y a un rythme très soutenu, et un bel équilibre entre l’action proprement dite et la description des lieux que les protagonistes traversent. Si Enfield aime bien filmer les camions, il aime tout autant filmer les machines qui impriment les journaux, faisant apparaître les journalistes encore plus dépendants de celles-ci. La scène de l’attaque du palais de justice est impressionnante de maîtrise technique, pas seulement pour le côté compact de la foule, mais aussi pour les variations d’angle qu’Enfield se permet.

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    Howard et Jerry ont kidnappé le fils d’un millionnaire 

    Frank Lojevoy est un habitué des rôles de bons américains, sans doute cela vient-il de son physique. Mais justement, ici il doute de lui-même et du rêve américain qu’il va s’efforcer de poursuivre contre vents et marées, plus par habitude que par conviction. Il est très bien dans le rôle d’Howard, c’est autour de lui que le film se monte. Lloyd Bridges est également excellent dans le rôle de Slocum. Il a joué de nombreux rôles de ce type, un peu violent, un peu désaxé. C’est le père de Jeff Bridges, et lui aussi aura des ennuis sérieux avec l’HUAC, ennuis qu’il réduira quelques peu en devenant un témoin très amical, c’est-à-dire en balançant. C’est un film à petit budget, sans pour autant être un film de série B, et les personnages féminins sont un peu sacrifiés. Ils sont cependant incarnés par de très bonnes actrices. La très effacée Kathleen Ryan va jouer la femme de Tyler, engoncée dans sa passivité sans fin, incapable de relever la tête, sauf peut-être à la fin quand par la force des choses elle sera bien obligée de ne plus compter que sur elle-même. Katherine Locke est elle aussi très fade dans el rôle d’Hazel, celle qui balancera Howard à la police, elle joue à la perfection cette fille perdue, incapable de trouver sa place dans une société où il faut se battre en permanence. Deux autres acteurs méritent l’attention, tout d’abord la grande Adele Jergens dans le rôle de Velma, on l’a déjà vue dans ce style, notamment dans Armored car robbery de Richard Fleischer. C’est le genre canaille, un peu comme Jan Sterling. On trouvera également Art Smith dans le petit rôle de patron de presse, c’est lui aussi un habitué des films noirs, et lui aussi subira les foudres de l’HUAC pour ses idées de gauche. Richard Carlson dans le rôle du journaliste Stanton travaillé par sa conscience n’est pas très convaincant, il a plutôt l’air de s’ennuyer, ou de ne pas avoir trop compris la signification de son rôle : c’est en effet lui qui aurait dû être le commentateur de cette fable.

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    Howard culpabilise pour la mort du jeune kidnappé 

    C’est un film longtemps très difficile à voir, et par la grâce du numérique on peut maintenant le regarder dans une excellente version Blu ray, encore que sans les sous-titres français. S’il n’a été guère bien reçu à sa sortie, sans doute parce qu’il critique un peu trop le modèle américain qui voit le progrès de la société uniquement dans l’accumulation des marchandises, il a été ces derniers temps, et à juste titre, réhabilité par les amateurs de films noirs. C’est donc un très bon film noir, même si on peut regretter les scènes didactiques où les personnes de la bonne société – journalistes et médecin – se posent des questions sur leur travail. Son manque de succès commercial peut aussi s’expliquer par son trop grand pessimisme. Mais c’est aussi peut être ça qui explique sa pérennité. 

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    Stanton commence à comprendre que les médias peuvent exciter la foule 

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    La police tente de contenir la foule enragée

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