• Le malin, Wise blood, John Huston, 1979

    Le malin, Wise blood, John Huston, 1979

    La folie de la religion est un des thèmes récurent de la littérature et du cinéma américains. Dans aucun autre pays on pourrait avoir l’équivalent, essentiellement parce que les Américains on construit un pays fait de bric et de broc, où se mêlent des cultures et donc des religions diverses et variées qui se trouvent violemment en concurrence les unes avec les autres. Ensuite parce qu’il y a pour les mêmes raisons une liberté de critique qui reste toujours assez forte dans ce pays. Cette alliance de la littérature et du cinéma a donné au moins trois grands films, Elmer Gantry, roman de Sinclair Lewis publié en 1927 et adapté magnifiquement par Richard Brooks en 1960, The night of the hunter, roman de David Grubb, publié en 1953, et adapté à l’écran par Charles Laughton en 1955, qu’on peut considérer comme un chef d’œuvre du film noir, et enfin, Wise blood, publié en 1952 qui contribua plus que tout à la gloire de Flannery O’Connor et qui fut adapté seulement en 1979 dans cette période post-Guerre du Vietnam, marquée fortement par le désenchantement social. La thématique qui unit ces trois œuvres magistrales est une fascination pour les prédicateurs qui ont pullulé dans les Etats du sud des Etats-Unis et qui existent par la maitrise de la parole. Derrière ces prêches le plus souvent sommaires, se cachent évidemment des mensonges sur les intentions des prêcheurs. Sous le couvert de la rédemption et de libération, ils recherchent avant tout le pouvoir qu’ils pourront obtenir soit par l’argent, soit par le sexe, soit par les deux à la fois. La cupidité et la luxure sont dissimulées sous des sermons hypocrites. Ils ouvrent forcément la voie à des intentions criminelles. Dans les trois œuvres que je viens de citer, il y a cependant encore autre chose, une sorte d’intoxication par la parole : à force de prêcher, ces prédicateurs finissent par croire qu’ils sont effectivement porteurs de la parole de Dieu, ou qu’ils ont une mission essentielle à effectuer sur terre. Ces hommes et ces femmes prêchent d’une manière agressive et virulente, fascinent leur public, mais également les écrivains qui se penchent sur leur cas qui le plus souvent frise la folie ordinaire ! Et s’ils sont aussi fascinants, c’est bien parce qu’ils sont très différents de ce que nous sommes et que nous avons une grande difficulté à saisir leur détermination derrière la folie qui s’est emparé de leur cerveau.    

    Le malin, Wise blood, John Huston, 1979

    Hazel Motes est revenu de la guerre plein d’amertume. Il a été blessé et touche une pension de l’Etat. La maison de sa famille est en train de s’effondrer dans un coin reculé de Georgie dont les habitants cherchent à toute force à s’enfuir. Après avoir été faire une visite à une prostituée, il va se transformer en prêcheur à l’image de son grand-père. Mais comme il a beaucup souffert, il ne croie ni au Christ, ni à la rédemption. Le cœur plein de haine, il invente une Eglise sans Christ. Entre temps il croise la route d’un prédicateur, faux aveugle et vrai escroc qui a un fille qui attire Hazel irrésistiblement. Dans un rassemblement autour d’un camelot qui vend des machines à éplucher les pommes de terre, il fait aussi la connaissance d’un jeune home, Enoch Emory, qui travaille dans un zoo et qui cherche désespéremment à se faire des amis. Il accompagne Hazel qui suit Hawks et sa fille. Mais ils se disputent. Hazel va s’acheter une voiture d’occasion qui est elle aussi à l’article de la mort. Plus tard Hazel va retrouver Enoch qui lui permet de trouver l’adresse des Hawks. Il loue une chambre dans la même maison qu’eux. Dès lors Sabbath Lily fait tout pour le séduire, demandant même à son père de l’aider dans cette tâche difficile. Hazel s’en va prêcher, mais il rencontre la concurrence et refuse de s’associer avec un autre précheur professionnel qui pense qu’Hazel a du potentiel. Comme celui-ci refuse à la fois de s’associer et de prêcher pour de l’argent, Shoates paye un tuberculeux qu’il va habiller comme Hazel. Celui-ci ne supportant pas la concurrence va suivre ce nouveau précheur et l’assassiner. Entre temps Enoch a volé dans le Museum une sorte de momie qu’il veut donner à Hazel pour remplacer en quelque sorte l’effigie du Christ. C’est Sabbath Lily qui intercepte la relique, mais lorsqu’elle la montre à Hazel avec qui maintenant elle cohabite, il la détruit pris d’une bouffée de colère. Mais peu à peu les choses se gâtent vraiment, le sheriff détruit sa voiture, puis il se brûle les yeux à la chaux vive. Devenu aveugle, Sabbath Lily le quitte. Il reste seul avec sa propriétaire qui rêve de l’épouser. Mais lui continue son martyr, il marche avec des cailloux dans les chaussures, il s’entoure le buste de fil de fer barbelé. Un soir, alors que sa propriétaire menace de le mettre dehors, il s’en va sous une pluie battante, la police le retrouvera le  lendemain matin dans un fossé, il mourra peu après. 

    Le malin, Wise blood, John Huston, 1979 

    Hazel retrouve la ferme de ses parents 

    L’œuvre de Flannery O’Connor a été écrite dans un temps long, et plusieurs des chapitres ont été d’abord publiés comme nouvelles dans des magazines, ce qui donne au roman un caractère assez dispersé, bien que finalement cela progresse. En règle générale quand Huston adapte un grand ouvrage de la littérature américaine, il y est très fidèle. Et donc à quelques détails près, le film suit parfaitement l’ouvrage dans sa progression. Dans le roman, publié en 1949, Hazel revient de la guerre de 39-45, le film se passe en 1971 et Hazel revient manifestement du Vietnam. Ça change quelque chose parce que peut-être dans la réalité des années soixante-dix les prédicateurs ont-ils un peu moins d’importance. Le ton diffère aussi légèrement, le livre utilise souvent des personnages et des situations grotesques, dans le film on tendra plutôt vers le tragique. Le personnage de la propriétaire de Hazel et de Hawks est plus développé dans le livre, elle fouille son courrier, augmente les prix quand elle comprend qu’Hazel à un peu d’argent, elle manifeste plus de cupidité. Curieusement c’est le livre qui est plus sulfureux que le film, et pourtant on disait O’Connor très catholique et très croyante. Or il y a plus de retenu chez Huston que chez elle. Le livre est carrément brûlant, que ce soit le personnage de Sabbath Lily ou le personnage de Leora Watts qui vend ses charmes à tout le monde pour 4 dollars. 

    Le malin, Wise blood, John Huston, 1979 

    Un camelot qui vend des éplucheurs de patates attire la foule 

    Mais quel que soit le prétexte, ce qui domine dans le film est la solitude des personnages. Hazel voudrait bien qu’on l’aime à travers ses prêches, Sabbath Lily voudrait aussi un homme qui la garde près d’elle. Enoch cherche un ami, il ira jusqu’à voler le costume d’un gorille de pacotille que tous les enfants aiment, mais il n’arrivera qu’à susciter la peur autour de lui. C’est encore un film matérialiste, comme Fat city, dans le sens où les conditions matérielles du développement des caractères sont posées là, un monde économique qui s’écroule, des contrées qui se dépeuple, et des formes religieuses oppressantes. Tous ces gens sont d’ailleurs un peu fous. La palme revenant bien sûr à Hazel qui faisant de la vérité une sorte hypostase, sera contraint d’aller jusqu’au bout dans la destruction de lui-même. C’est donc en même temps une critique de l’Amérique dans tout ce qu’elle a de malsain et qu’elle tente de masquer sous un optimisme de pacotille. L’hypocrisie est partout et Hazel ne sait plus ce qu’il veut, certes il est attiré par les femmes et le sexe, mais il le refuse en même temps. Parfaite figure du masochisme, il doit payer… du moins est-ce ce qu’il pense et ce qu’il dit. 

    Le malin, Wise blood, John Huston, 1979 

    Asa Hawks, le faux aveugle, mendie et distribue des prêches 

    Il y a une vraie parenté de ton avec Fat city. Il ne faut pas très longtemps à John Huston pour brosser le tableau. Ce sont des annonces foisonnantes pour les différentes églises, des panneaux déversant la parole du Christ, et puis la ferme délabrée des Motes, les magasins qui ferment, des rues sales et des hommes sans occupation. La réalisation n’a pas de faille, fluide, suivant les tressautements des pantins qui s’agitent, elle saisit à la fois le contexte matériel, l’environnement, et les regards plus ou moins troublés. On retiendra les scènes en plongée de la petite ville, avec ses statues, ses places sous la pluie, qui saisissent l’architecture du lieu comme élément déterminant. La mise en scène est d’une sobriété remarquable, et c’est cette sécheresse qui donne encore plus de force à l’histoire, sans jouer sur le pathétique, la fin de Hazel est poignante. Par exemple cette scène en long travelling arrière qui suit Hazel lui-même poursuivant les Hawks, avec sur ses talons le pauvre Enoch Emery qui peine à suivre. 

    Le malin, Wise blood, John Huston, 1979 

    Hazel loue une chambre où habitent les Hawks 

    Bien qu’aucun des acteurs ne soit connu, l’interprétation est exceptionnelle. Brad Dourif dans le rôle d’Hazel joue de son physique aigu, de son regard étrange qui oscille entre cruauté et étonnement. Il sait tout faire, y compris jouer de la position de son corps pour manifester ses sentiments et marquer sa colère. Il ne retrouvera jamais plus un tel rôle. Amy Wright qui est Sabbath Lily est exceptionnelle dans le rôle de cette jeune fille, elle est sensée avoir quinze ans, qui veut se donner corps et âme à ce crétin d’Hazel. Elle non plus ne trouvera aucun rôle aussi important, elle sera condamnée aux seconds rôles, alors que c’est une actrice de caractère. Harry Dean Stanton, un habitué des rôles de paumés, est le père Hawks. Mary Nelle Santacroce sera la propriétaire un rien vicieuse et sournoise, et Ned Beatty le petit escroc Shoates. Mais il y a beaucoup de détails très juste dans la distribution, par exemple les garagistes, qu’ils soient noirs ou blancs ils ont tous une communauté d’attitude dans le jugement qu’ils vont porter sur l’automobile de Hazel. John Huston s’est donné un petit rôle, celui du grand-père prédicateur qui a finalement été le traumatisme de ce pauvre Hazel. 

    Le malin, Wise blood, John Huston, 1979 

    Sabbath Lily veut séduire Hazel 

    C’est le dernier très grand film de John Huston, suivra l’adaptation de Malcolm Lowry, Under the volcano, en 1984, ce sera un échec artistique assez complet, mais sans doute que ce roman ne peut pas être vraiment adapté à l’écran car il s’agit plus d’un rêve éthylique que d’une histoire ; suivra encore le médiocre Prizzi’s honor, et enfin The dead honorable adaptation, sans plus, de l’œuvre de James Joyce, une courte nouvelle tirée des Dubliners. Wise blood est un film très noir, ironique, mais pas drôle du tout, un film très dérangeant. On n’y trouvera aucun personnage positif ou naïf, il n’y a pas de victimes si on peut dire, mais seulement des assassins en puissance, des dégénérés. 

    Le malin, Wise blood, John Huston, 1979 

    Hazel est maintenant dépendant de sa propriétaire

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