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Hidden fear, André de Toth, 1957
André de Toth est considéré à tort comme seulement un bon technicien, même si en France on a reconnu son talent pour des western comme The indian figther ou des films noirs comme le méconnu Crime wave ou le très bon Pitfall[1]. C’est pourtant un réalisateur qui avait un vrai style, un style reconnaissable, mais dont le défaut semble-t-il est d’avoir été un peu trop dépendant des studios qui l’employaient, et donc de ne pas suffisamment choisir ses sujets. Il est vrai que si toute carrière comporte des hauts et des bas, celle d’André de Toth est vraiment en dents de scie. Au gré de ses déplacements il tournera un peu n’importe quoi, y compris après l’excellent Day of the outlaw. Il se retrouvera même à la tête de la seconde unité de réalisation sur Lawrence of Arabia. C’est ainsi qu’après le succès de The indian fighter avec Kirk Douglas, il se retrouvera embarqué dans Hidden fear, une production de second ordre, avec John Payne, tournée au Danemark, comme si la profession l’avait exilé pour un moment.
La sœur de Mike Brent se trouve mêlée à un assassinat
Mike Brent, un policier américain, arrive au Danemark pour assister sa sœur qui se trouve mêlée à un crime, bien qu’elle nie le fait. Il va donc s’efforcer de trouver les coupables tout en coopérant avec la police locale. En commençant son enquête, il va tomber sur un cambrioleur qui met à sac l’appartement où a eu lieu le meurtre, alors que ce même appartement était sous scellé. Il va s’ensuivre une bagarre, mais si le cambrioleur arrive à s’enfuir, Mike va mettre la main sur des faux billets de 100 $. Dès lors l’affaire se complique, en effet, il rencontre la chanteuse Virginia Kelly qui est elle-même en relation avec un avocat, le louche Arthur Miller qui roule dans une Mercedes 300SL. En vérité la bande malfaiteur veut mettre la main sur des plaques pour imprimer les faux billets. Mais comme ils ne les ont pas, ils vont tenter de négocier avec Mike Brent… jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’il est un policier américain, de mèche avec la police danoise. La bande va finir par kidnapper Mike et le séquestrer sur un bateau. Mais il n’y reste pas longtemps et repart traquer les faussaires directement chez Arthur Miller. Le chef de la bande, Hartman, se débarrasse d’une partie de ses hommes et tente de rejoindre le bateau pour s’enfuir, mais Mike et la police le poursuivent et il périra finalement noyé après une bagarre en pleine mer.
Mike passe par les toits pour atteindre l’appartement suspect
Le scénario est minimaliste et frise souvent l’incompréhension. On ne sait pas pourquoi la sœur de Mike s’est trouvée piégée, ni même pourquoi finalement la police la blanchira. Il ne se passe pas grand-chose et ça traine ne longueur, ce qui oblige le réalisateur à multiplier les scènes inutiles dans les bars et dans les cabarets. Ça sent le bricolage de dernière minute, sans doute les producteurs étaient-ils pressés, par exemple, Mike Brent repart avec sa sœur aux Etats-Unis, sans qu’on sache très bien ce que son idylle avec Virginia va devenir. On peut supposer que ce film monté de bric et de broc était d’abord destiné à éponger des recettes de films antérieurs qui ne pouvaient pas ressortir du Danemark, et donc il fallait bien les utiliser sur place. C’était comme ça dans toute l’Europe jusqu’à la fin des années soixante, les compagnies américaines devaient réinvestir sur place une partie de leurs bénéfices de façon à stimuler la production locale. Ça devient donc une coproduction américano-danoise, bien que les Danois dans cette salade ne servent que de faire-valoir. Cette histoire des plus banales auraient pu être filmée n’importe où, mais enfin à Copenhague, ça donne un côté un peu exotique, d’autant qu’à la fin des années cinquante le Danemark n’était pas encore ce pays très riche et très moderne qu’on connait aujourd’hui. La manière de filmer va donner une idée de l’image que les Américains se faisaient de la vieille Europe : le Danemark qu’on voit à l’écran se résume à quelques clubs de jazz, des bateaux qui vont un peu n’importe où, et quelques verts pâturages. C’est un pays à mi-chemin de la modernité, d’ailleurs, c’est bien la preuve, la bande de truands ne semble guerre appliquée à la besogne. Elle a un côté amateur. Il y a des incohérences assez curieuses, comme ces policiers danois qui attendent un coup de fil de Mike pour savoir ce qu’ils doivent faire.
Un malfaiteur se livre à d’étranges manœuvres
Malgré le handicap d’un scénario des plus confus, on reconnait la patte de De Toth dans la manière de filmer les extérieurs ou les courses de voiture, mais aussi dans cette façon assez inimitable de marier le gros plan le plan large pour donner de la profondeur de champ. Mais le rythme n’est pas très bon, surtout dans la seconde partie qui se résume à des courses poursuites assez ennuyeuses. Le pire étant la dernière, les voitures tournent à gauche, à droite, sans que les choses avancent vraiment. Certes on pourra toujours admirer la Mercedes 300SL qui a cette époque représentait le comble du raffinement automobile, mais sinon on risque de trouver le temps bien long. Sans trop s’en rendre compte, André De Toth se trouve dans la répétition : si les courses de voitures se répètent, il en est de même pour les visites des bars ou des orchestres de jazz. Un œil attentif remarquera d’ailleurs qu’on voit un grand orchestre jouer alors qu’il s’agit d’un solo de trompette. Mike rencontre deux fois Virginia, il est deux fois prisonnier, il téléphone deux fois à la police. Tout cela ne fait pas très sérieux, mais on arrive ainsi à avoir un métrage suffisant pour faire un film. L’ensemble hésite entre déambulations nocturnes et visite touristique guidée du Danemark. Bref à quelques plans près, le cinéphile n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent.
La chanteuse Virginia Kelly semble apprécier la compagnie de Mike
L’interprétation est américano-danoise. Quoiqu’elle soit dominée par les Américains et donc par l’ineffable John Payne que rien ne démonte. Ce sera son dernier film avant de terminer sa carrière à la télévision. Il était clairement en perte de vitesse à cette époque. Il est le seul à croire que l’histoire est intéressante et il se donne du mal pour avoir l’air dur, notamment quand il frappe sa sœur au début du film pour qu’elle cesse de mentir. Il est clairement moins bon – mais le scénario en bois ne facilite pas les choses – que dans The boss. Il retrouve cet air impavide et robotisé auquel il nous a trop souvent habitué. On lui a adjoint Anne Leyland dans le rôle de Virginia Kelly, c’est la « girl » dont il est sensé être amoureux. Elle est assez mauvaise, remplaçant les élans de la passion par des petits sourires imbéciles qui accentuent l’asymétrie de son visage. Rapidement elle retournera à la télévision. Alexandre Knox est le chef des méchants, Hartman, avec l’air de s’en foutre royalement, et quand il nous fait part de sa hâte à quitter le Danemark pour se mettre à l’abri de la police, on comprend qu’il voudrait se trouver ailleurs que dans ce film. Le policier Knudsen est joué par Kjeld Jacobsen qui nous fait admirer au passage sa capacité à s’exprimer en danois. Elsie Albiin, une actrice suédoise, un grand cheval, est sensé aussi donner un peu de couleur locale. L’ensemble donne l’image d’une distribution bricolée au dernier moment. On verra également Conrad Nagel dans le rôle de l’avocat peu scrupuleux, Miller.
Dans un bar, Mike attire à lui une fille qui semble s’intéresser à son argent
C’est donc un exercice raté qui semble avoir été tourné dans la précipitation. Le film, contrairement à The boss qui émanait des mêmes producteurs, n’a pas connu de succès. C’est à tel point qu’il ne fut même pas distribué en France. Je ne l’avais jamais vu, et finalement je constate que j’avais bien pu vivre sans ça ! Cette découverte prouve bien que les films à petits budgets qu’on ressort ne sont pas tous indispensables même pour des cinéphiles boulimiques.
Sur le bateau Les gangsters tentent de faire parler Mike
Tags : André de Toth, John Payne, Film noir, Danemark
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