• Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951

     Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951

    En même temps qu’Hervé Bromberger est un cinéaste très sous-estimé, c’est le genre auquel il se rattache qui est mal compris. Avec un certain nombre de films de Maurice Cloche ou de Maurice de Canonge, ils définissent pourtant et assez précocement un film noir à la française, qui, si elle s’inspire à la Libération pour partie du film noir américain conserve une spécificité bien française dans le sillage de Maigret. Ce genre a pourtant en France bien du mal à se faire prendre au sérieux. Considéré comme mineur, à peine du polar, il n’aura pas droit aux gros budgets et aux vedettes importantes. Deux raisons expliquent cela, d’abord parce que le cinéma est tenu quoi qu’on en dise par la bourgeoisie et par les codes qu’elle véhicule, peu de réalisateurs viennent de la rue. Ensuite, il y a cette volonté de ne pas voir que la France a changé et qu’en s’urbanisant à grande vitesse, le crime progresse et devient plus sophistiqué. C’est donc avec des moyens plutôt limités que les réalisateurs français vont travailler à produire des films noirs. Hervé Bromberger est assez mal connu, mais aujourd’hui on le redécouvre un petit peu, notamment à cause de ses adaptations de Jean Amila. Il a assez peu tourné, et le principal de son œuvre se retrouvera dans le film noir. 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    Les époux Prévost viennent déclarer la disparition de leur fille 

    Au Quai des Orfèvres, le couple Prévost vient déclarer la disparition de leur fille Denise âgée de seulement 19 ans. La PJ se mobilise et lance un appel de recherche à la radio. Elle est assez rapidement reconnu dans l’hôtel-restaurant où elle est en train de déjeuner. Le patron appelle la police. Mais elle s’enfuit. Pourchassée, elle va cependant se jeter à l’eau et se noyer. Lorsqu’on amène son cadavre à la Morgue, on s’aperçoit qu’elle possède des marques particulières sur son corps. Or ces marques ont déjà été retrouvées sur d’autres cadavres de jeunes femmes. La police comprend qu’elle a affaire à un prédateur sexuel. L’enquête va être menée par le commissaire Basquier qui a sous sa direction l’inspecteur Paulan. Celui-ci, en enquêtant va mettre en évidence la liaison que Denise entretenait avec un certain Petrosino. Celui-ci est bientôt arrêté à la Gare de Lyon où il tentait de prendre la fuite. Interrogé, il affirme cependant qu’il voulait épouser Denise, même sans le consentement de ses parents. L’enquête s’oriente alors le milieu des drogués. Grâce à Madame de Sannois, une grande bourgeoise droguée, ils vont avancer. Entre temps Dora a été victime du prédateur sexuel. Mais son récit est confus. Basquier l’interroge pour rien. Cependant à la sortie de l’hôpital, elle se rend chez Berthet, et comme celui-ci craint qu’elle ne retrouve la mémoire, il l’assassine. Se rendant compte que Berthet est impliqué, Basquier se débrouille pour faire analyser les fils du manteau de l’avocat. Ça concorde bien avec les éléments que la police scientifique a recueillis. La confirmation de l’implication de Berthet va venir de Madame de Sannois, prise dans une rafle, alors qu’elle cherche à se procurer de la drogue, elle se décide à parler. Mais le juge d’instruction trouve que les preuves contre un avocat tel que Berthet son insuffisante. Aussi Basquier va lui tendre un piège. Il incite Madeleine, sa secrétaire, à se faire ramener chez elle par Berthet. La police suit. Mais les imprudences de Madeleine font comprendre à Berthet que celui-ci est filé. Il se débrouille donc de semer ses poursuivants. La police perd du temps à retrouver sa trace, mais elle y parvient. Même si c’est difficile, Basquier et ses hommes localisent l’assassin. Lorsqu’ils arrivent dans sa maison, Berthet arrive encore à s’enfuir. Mais Madeleine est sauve. Il faut développer les grands moyens pour en finir. Coincé dans un entrepôt, Berthet se sachant pris va choisir de se suicider. 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    Petrosino est arrêté à la Gare de Lyon 

    La première chose qu’on retient, c’est cette présentation du Quai des Orfèvres comme une ruche grouillante d’activité, et donc œuvrant dans une logique collective. Le film est assez éclaté, et si Basquier est un peu plus importants que les autres, c’est seulement parce que c’est lui qui dirige l’enquête. Mais dans le déroulement de l’histoire, Paulan est tout aussi important. On insiste aussi sur l’importance des moyens techniques déployés, que ce soit par la police scientifique ou par la circulation des informations. Mais le Quai des Orfèvres c’est aussi le lieu de passage, de brassage de toute une faune à laquelle la police est confronté. Si les prostituées et le demi-monde sont finalement plutôt regardés d’un œil bienveillant, il n’en est pas de même pour la bourgeoisie dégénérée, que celle-ci soit représentée par Maitre Berthet le prédateur sexuel ou par Madame de Sannois, grande bourgeoise droguée qui s’ennuie et cherche des émotions fortes. Que fait la police dans ce fatras ? Elle essaie d’abord évidemment de mettre de l’ordre et de protéger les innocents. Dans ce dernier rôle il faut bien le constater, elle est plutôt inefficace. Denise et Dora mourront, et ça ne tient qu’à un fil que Madeleine s’en tire. 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    Paulan réclame des explications au chimiste de la PJ 

    L’idée d’un prédateur sexuel issu de la bonne bourgeoisie est très fréquente dans le film noir à la française. On pourrait dire que c’est un résidu de la lutte des classes. Cependant les motivations de Berthet qui ne prend de l’importance que dans le dernier tiers du film ne sont jamais explicitées. Que cherche-t-il à travers les atrocités qu’il commet ? les autres petites gens sont regardées avec sympathie, y compris quand il s’agit de prostituées. Evidemment les mariniers qui travaillent sont aussi bien considérés. Il y a également une volonté de ne pas éviter les quartiers un peu délabrés de Paris, ville où le luxe côtoie la pauvreté. Le manque de moyens de la police, ses tâtonnements, font que le film est très daté, en ce sens que la criminelle ne travaille plus du tout comme cela. Cependant il reste que l’individu, même s’il est aussi retors que Berthet, ne peut pas échapper au contrôle social, sauf à se suicider. Ce qu’il fera finalement. On remarque qu’évidemment avec des bourgeois comme Berthet il faut prendre des gants, le juge l’indique, ce n’est pas un pékin ordinaire à qui on met deux gifles dans le museau pour le faire avouer. La police est présentée ici comme un ensemble très hiérarchisé, si les hommes de Basquier lui obéissent au doigt et à l’œil parce qu’il est plus compétent qu’eux, Basquier lui-même respecte le directeur de la police judiciaire au point de suivre ses instructions. Cependant il reste le portrait de policiers, que ce soit Basquier ou même Paulan, qui sont avant tout des humanistes, même si de temps en temps ils doivent faire les gros yeux pour faire avancer leurs affaires. A un moment il y a une scène un peu étrange : un homme qui est manifestement en garde à vue et qui en a l’habitude, reçoit la visite de sa femme à l’intérieur même de la cellule ! c’est une façon de montrer semble-t-il que les prisonniers sont d’abord des personnes en situation d’échecs. A part Berthet d’ailleurs on ne verra pas de grandes gueules du côté des délinquants. 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    Dora tente de témoigner après sa tentative d’assassinat 

    Sur le plan cinématographique c’est bien plus intéressant qu’il n’y parait. Comme je l’ai laissé entendre au début de cette chronique, Bromberger est clairement influencé par le film noir américain. On le voit dans la manière qu’il a de filmer les standardistes qui sont chargés de répercuter les informations à la presse et à l’intérieur des services. Il exécute un travelling latéral qui passe de l’un à l’autre en traversant les dialogues. De même il va y avoir de longues séquences très réussies à travers les couloirs de la PJ. C’est filmé en plan général et la caméra recule en même temps que Basquier progresse, salue ses collègues, tourne dans les services. Ça donne une belle densité parce que si Pasquier se déplace, les autres protagonistes se déplacent aussi et pas forcément dans le même sens. Il y a également une utilisation excellente des décors naturel du Paris des années cinquante, notamment quand on découvre le cadavre de Dora qui a été repéché dans le canal. La photo est bonne, et restitue très bien l’atmosphère confinée du Quai des Orfèvres. Parmi les scènes remarquables, il y a cette manière de suivre l’évolution de la poursuite de Berthet sur un tableau lumineux, je pense que c’est là que Melville a trouvé l’idée qu’il utilisera lors de la poursuite de Jeff Costello dans Le samouraï. La façon quasi documentaire de filmer fait penser à Call Northside 777 d’Hathaway tourné en 1948 ou encore The Phoenix city story de Phil Karlson qui sera réalisé plus tard, en 1955. La scène d’ouverture avec tous ces gens qui attendent le bon vouloir du fonctionnaire qui enregistrera leur plainte est aussi pas mal. L’emploi prend son temps pour arriver, change de veste, débarrasse son bureau, faisant comme s’il n’avait pas vu la foule des plaignants qui attendent son bon vouloir. Il se permet des petites réflexions et on sent bien que ce sont toujours les mêmes qu’il ressert. On rentre de plein pied dans la routine policière. Un planton parcours aussi le couloir sans but aucun autre que de montrer qu’il est là non pas en tant que policier, mais en tant que planton, bien qu’il porte un uniforme et un képi.  

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951

    Madame de Sannois fait le lien entre Petrosino et Berthet 

    La distribution est évidemment la conséquence d’un budget assez maigrelet, il n’y a pas de vedette. Mais dans l’ensemble elle est plutôt bonne. Le petit Raymond Souplex joue Basquier avec autorité. On dit que c’est ce rôle qui ensuite l’aurait propulsé vers l’inspecteur Bourrel des Cinq dernière minutes, entre 1958 et 1973, il ne tournera pas moins de 56 épisodes de la célèbre série, seule la mort l’arrachera à ce rôle emblématique. Ici il est bon, plutôt léger et convaincant. On n’en dira pas autant de Jean Debucourt qui dans le rôle de l’avocat Berthet en fait des tonnes pour bien montrer qu’il est un sociétaire de la Comédie française. On retrouve Robert Berri dans le rôle du dévoué Paulan. Il est très bien, je dirais, comme d’habitude. Du côté féminin, il y a de quoi faire. D’abord il y a Dora Doll dans le rôle de Dora la demi-mondaine. A cette époque elle multipliait ce type de rôles, une femme forte et résolue, avec un cœur cependant, mais à la limite de la loi. Elle est excellente et se fait remarquer, même si son rôle est étroit. Marthe Mercadier jour une prostituée opportuniste, et surtout il y a Eliane Monceau dans le rôle de la droguée Madame de Sannois qui regarde tout le monde de haut. L’ensemble vise à représenter finalement des gens ordinaires dont le glamour n’est pas la première qualité, les flics ont l’air de flics. La jeune fille qui incarne Denise Prévost, Nicole Cézanne, n’a fait que ce film, elle est aussi très juste, même si elle n’a pas une ligne de dialogue à dire. Les acteurs qui interprètent ses vieux parents sont excellents aussi dans leur attitude compensée qui explique sans mot dire pourquoi Denise a fui la maison familiale. 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    Le corps de Dora est retrouvé par les mariniers 

    Ce n’est certainement pas un très grand film, mais il se voit très bien avec la nostalgie qui va avec. En tous les cas il prouve que le film noir à la française existait au tout début des années cinquante. La scène du déshabillage des filles raflées donne un côté étrange à l’ensemble, un peu érotique, avec des dessous comme on n’en fait plus. De même les regards concupiscents de Berthet sur les cuisses de Madeleine valent aussi le détour. 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    La police tente de savoir où Berthet va emmener Madeleine 

    Identité judiciaire, Hervé Bromberger, 1951 

    Cette fois il n’y a plus d’échappatoire pour Berthet

     

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