• Teheran, טהרן, Daniel Syrkin, 2020

     Teheran, טהרן, Daniel Syrkin, 2020

    Les Israéliens ont une compétence évidente dans la construction des séries télévisées qui mêlent espionnage et « noir ». J’avais beaucoup apprécié Fauda en son temps pour la précision des caractères et des situations, mais aussi pour la volonté évidente de ne pas sombrer dans le manichéisme, et donc d’aller au-delà de la caricature entre les bons – les Israéliens – et les mauvais les Palestiniens[1]. Pour dire la vérité je ne suis pas un très grand amateur de séries télévisées, sans doute parce que ça prend bien trop de temps pour arriver au bout. Mais j’en ai regardé quelques unes qui m’ont parues intéressantes. Outre Fauda, j’ai beaucoup apprécié The wirei un peu comme tout le monde[2], The shield qui est peut être ma série préférée[3] et plus récemment The Sopranos[4]. Ces séries que j’ai appréciées en leur temps sont américaines, et elles ont influencé très fortement les séries israéliennes. Des séries il en existe pas mal sur le marché. Certaines sont tellement mauvaises qu’on ne peut pas s’y attarder, par exemple Hit and run, pourtant créée par l’excellent Lior Raz, mais c’est du Netflix et tout ce que produit Netflix n’est guère bon. En France on a essayé de suivre la tendance avec la série Le bureau des légendes qui tourne depuis 2015, mais qu’il est bien difficile de regarder au-delà du premier épisode de la saison 1, tellement elle est vide de sens et de contenu[5]. Les séries ont souvent les avantages de leurs inconvénients. L’histoire est faite pour durer, certaines séries ne durent qu’une année,  comme Hit and run, faute de succès, mais quand elles plaisent, elles peuvent s’étendre sur sept ou huit ans. C’est donc très long, et cette longueur n’évite que rarement de tirer à la ligne. La contrepartie est qu’on peut développer des intrigues complexes, des personnages multiples et des rebondissements nombreux. Ce qu’on ne peut faire au cinéma où pourtant la longueur des films a augmenté dans le temps. Dans les années trente un film dépassait rarement 1 heure 30. Aujourd’hui beaucoup de films dépassent sans véritable raison 2 heures. J’avais dit que le malheureux film de Scorsese, The irishman, produit par Netflix était beaucoup trop long – presque quatre heures tout de même – et que c’était sans doute pour cela qu’il n’était pas passé en salles[6]. Mais évidemment voir un film en salle et sur son écran de télévision ou d’ordinateur, ce n’est pas la même chose. 

    Teheran, טהרן, Daniel Syrkin, 2020

    Tamar a échangé son identité 

    Tamar est une agent du Mossad, elle est envoyée à Téhéran pour pirater le système informatique de protection de l’armée iranienne, afin que les Israéliens puissent bombarder des installations iraniennes où se développent des recherches sur le nucléaire militaire. Pour cela elle va changer d’identité avec une iranienne, Zhila, qui désire quitter son pays. Mais un incident va percuter ce projet, deux jeunes Israéliens qui veulent voyager vers l’Inde vont être retenus à Téhéran comme suspects. L’espion Faraz Kamali va se mettre avec son équipe sur la piste de Tamar et tenté de comprendre ce qu’elle est venue faire en Iran. De son côté, Tamar va rentrer en contact avec le jeune Milad, un jeune hacker, opposant au régime des mollahs. Son but est de pénétrer dans la compagnie d’électricité pour pirater le système de sécurité. Mais les choses tournent mal, surprise par un agent qui fait sa ronde, elle le tue. Massoud, un Iranien, qui travaille pour le Mossad l’aide à dissimuler le corps, mais tandis qu’elle continue son piratage, le corps est découvert, et l’entreprise est cernée. La police va interroger le personnel. Massoud va arrivé à la faire sortir de ce piège, mais elle est prise en chasse par Faraz. Elle arrive cependant à se cacher chez sa tante Azeroo, une juive, qui est mariée avec un Iranien et qui se dissimule sous l’identité iranienne. Elle héberge cependant Tamar. Celle-ci continue cependant à fréquenter Milad qui l’entraine à une manifestation étudiante contre le régime. Là ils s’affrontent avec des jeunes qui défendent l’idéal de la révolution islamique dans les rangs desquels se trouve la propre fille d’Azeroo. Celle-ci la repère et va la vendre à la police, ce qui entraîne d’ailleurs l’arrestation de ses propres parents. Faraz va tenter d’utiliser Azeroo pour piéger Tamar. Pendant ce temps la jeune hackeuse part faire la fête dans les montagnes où la drogue sert à financer leur leader Karim. Faraz et Massoud la cherchent. Mais ce dernier s’est fait repérer par le contre espionnage iranien et Faraz va tenter de le faire parler. Le Mossad le sachant, enlève la propre épouse de Faraz et lui ordonne de relâcher Massoud en échange de sa femme. Ce qu’il va faire contraint et forcé. En représailles, il s’empare du propre père de Tamar et joint le Mossad pour proposer un autre échange. Mais le Mossad tente de capturer Faraz et celui-ci épargnera le père de Tamar. Pendant ce temps Tamar continue de travailler avec Milad au piratage dus système informatique. Elle est rejointe par Kadosh qui est censée l’aider. En vérité elle travaille pour les services iraniens qui ont construit un leurre pour attirer les Israéliens sur une fausse piste et détruire leurs avions de combat. En pénétrant dans le système informatique, Tamar s’aperçoit de la supercherie et a juste le temps d’en informer le Mossad. Entre temps Tamar comprend que Kadosh a trahi, mais Faraz intervient et tue cette dernière. Tamar abat à son tour Faraz qui semble être seulement blessé et va délivrer Milad qui était retenu prisonnier par Kadosh.  

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    Le Mossad suit le loin les difficultés de Tamar 

    Notez que sur cette série a travaillé Moshe Zonder qui avait été aussi à l'écriture de Fauda. Le fil de l’histoire est assez simple, les services israéliens veulent pénétrer le système informatique de la défense iranienne afin de pouvoir bombarder les installations de recherche sur le nucléaire. Ça se complique avec le fait que les Iraniens ont monté eux-mêmes un piège pour les Israéliens. Si bien qu’on ne sait plus qui fait quoi, qui trahit qui et pour quelle raison. Ainsi Faraz est tenu complètement à l’écart. Tout le monde utilise tout le monde, malgré les sentiments que Tamar éprouve pour Milad, elle s’en sert pour arriver à ses fins. L’ambiance fait penser à John Le Carré, avec des agents qui ne savent plus très bien quelle cause ils servent. Les uns trahissent par cupidité, les autres par idéal. Chacun croit se servir de l’autre pour faire avancer ses propres affaires. Ce que nous voyons, ce sont des êtres humains qui vont être broyés par le système, par une guerre larvée que se livrent par personne interposée Israël et l’Iran. La propre fille d’Arezoo par stupidité mènera ses parents à la prison ce qui les obligera à trahir. Faraz lui-même, manifestement un dur à cuire des plus rigides va trahir son service parce qu’il est amoureux de sa femme qui est partie se faire opérer à Paris. La voisine de Zhila sera très contente de vendre Tamar à la police pour des raisons probablement de jalousie. Le scénario ne lésine donc pas sur l’ambiguïté des caractères et la plupart des personnages vont tenter de se cantonner à suivre les règles qui les empêchent de déraper complètement. Tamar est une dure à cuire, mais elle va se faire rattraper par ses propres sentiments envers Milad surtout quand le Mossad envisage sérieusement de l’éliminer. Prise dans ses contradictions, elle va tenter de le sauver tout en continuant sa mission. 

    Teheran, טהרן, Daniel Syrkin, 2020

    Tamar se réfugie chez sa tante Arezoo 

    Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, le Mossad qui possède manifestement une supériorité technologique, n’est pas présenté comme plus malin que les services de contre-espionnage de l’armée iranienne. Même s’ils servent une cause discutable, celles de la révolution islamique, les policiers iraniens font preuve de malice et d’obstination. L’accent va être mis sur l’humanité sous-jacente des maîtres-espions. Gorev, bien qu’il s’en serve pour piéger son mari, manifestera une tendresse sincère pour la femme de Faraz qui est hospitalisée en Israël. Le cruel Faraz épargnera finalement le père de Tamar. Il vient qu’un des messages sous-jacent de cette série est que les Iraniens sont un peuple intelligent, proches des Israéliens et que leur éloignement politique est le résultat d’une histoire malheureuse. Du reste la série insistera sur l’opposition latente de la jeunesse au régime des Mollahs. Mais ces jeunes ne sont pas toujours présentés sous un jour très sympathique. Karim, le leader de l’opposition étudiante, apparaît comme un opportuniste, la fille d’Azeroo, une adolescente stupide qui ne sait pas que sa mère est juive s’emballe pour la rhétorique des Gardins de la Révolution. Les jeunes gens qui se dandinent sur une musique des plus stupide, symbole d’un occidentalisme décadent, montre à quel point ils n’ont pas tout à fait conscience de la société dans laquelle ils vivent, Faraz les retournera très facilement pour son profit. 

    Teheran, טהרן, Daniel Syrkin, 2020  

    Tamar et Arezoo discutent dans un parc 

    Bien que la série utilise des images de Téhéran, elle a été tournée à Athènes. Que montre ses images ? Comme dans La loi de Téhéran[7], elles montrent une ville tentaculaire, coincée dans sa modernité, avec ses encombrements routiers, ses immeubles de béton invivables en voie de délabrement, avec parfois quelques enclaves qui paraissent suffisamment humaines, comme ces parcs qui laissent entendre que la vie pourrait être autre. En quelque sortes ces réalités matérielles expliquent les personnages dans une ville excessivement divisée où tout le monde se méfie de tout le monde. Tamar s’extasiera sur le luxueux appartement de sa tante qui laisse à entendre que son policier de mari a les moyens de faire rentrer de l’argent. Quand les jeunes s’en vont rejoindre une Rave Party dans les montages, ils se font racketter par des militaires totalement corrompus à un barrage qui ne semble servir qu’à améliorer l’ordinaire de ces soldats. C’est le symbole d’une société totalement fracturée en laquelle personne ne semble plus croire. On a beau invoquer Allah, ça ne fonctionne pas vraiment. Ce manque de confiance dans les objectifs de la collectivité se traduit par des comportements individuels totalement erratiques, à l’image d’Azeroo qui trahira sa propre nièce et son beau-frère pour s’en sortir. Téhéran est présenté comme au bord de la guerre civile, les jeunes sont révoltés et les plus vieux ne semblent pas vouloir se couler dans les moules idéologiques de la révolution islamiste, c’est d’ailleurs ce qu’on pouvait voir aussi dans le film iranien La loi de Téhéran. Dans la série israélienne, on reprendre la mise en scène des jeunes femmes enlevant le voile, sous les applaudissements des étudiants, ce qui relativise le machisme sous-jacent de cette société pourtant officiellement musulmane. 

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    Faraz Kamali est obligé de laisser Massoud en vie 

    Mais c’est une série d’abord centrée sur l’action, ce n’est pas une histoire à message pédagogique, et Tamar est une femme d’action qui malgré ses peurs et défaillances ponctuelle poursuit son but sans faiblir. C’est un thriller incontestablement féministe où Tamar, Kadosh et Azeroo tiennent le haut de l’affiche. Les deux premières ont des compétences hors du commun, aussi bien dans le maniement des armes que dans le numérique qui apparaît ainsi comme la nouvelle arme de la guerre. Azeroo, comme son double iranien Naahid l’épouse de Faraz, est plus âgée, elle représente les contradictions des femmes qui restent enfermées dans une logique de séparation entre les sexes. Ces femmes représentent une passerelle avec les nouvelles générations et manifestement contribuent à humaniser leurs maris policiers. Les scènes d’action sont rudement bien menées. Ça cogne et sa saigne, et le suspense est toujours prégnant, que ce soit les geôles iraniennes où la torture est monnaie courante, ou l’enfermement de Milad et du père de Tamar, on tremble pour les prisonniers. Des meurtres, il y en a à la pelle, c’est la loi du genre, et ils se commettent des deux côtés. Kadosh étant des deux côtés à la fois. Les séances de filatures sont accompagnées du travail que les services israéliens et iraniens mènent avec les caméras numériques et les systèmes d’espionnage des téléphones portables. 

    Teheran, טהרן, Daniel Syrkin, 2020  

    Tamar menace de tuer Karim qui s’est armé d’un couteau 

    Ces principes conduisent d’abord à une utilisation particulière des couleurs. Elles semblent empruntées au style giallo, avec un intérêt privilégié pour les rouges, non pas comme couleur dominante, mais comme contrepoint pour souligner le caractère sombre et sanglant de cette histoire. On note aussi l’utilisation du jaune, comme menace potentielle. Les bleutés sont très nombreux aussi pour souligner la dominance des technologies modernes, aussi bien dans les salles de surveillance vidéo que dans les hôpitaux. L’utilisation de l’écran large donne une importance à la profondeur de champ qui renforce le matérialisme de l’intrigue et la manipulation concomitante des protagonistes. David Shirkyn utilise les prises de vue plongeantes pour souligner le labyrinthe de la ville de Téhéran, mais on peut dire qu’il en abuse un peu trop. Dans l’ensemble c’est très bien filmé et la photographie est très bonne. Il y a des scènes marquantes, comme celle où Faraz dans un endroit désert menace de tuer Massoud, puis le délivre, alors que celui-ci est confronté courageusement à l’imminence de son exécution. La fusillade qui clôt l’histoire, et qui aboutit à la mort de Kadosh est également saisissante, avec un montage serré autour d’un panoramique qui donne un aspect chorégraphique aux gestes de Tamar qui va hésiter à achever Faraz. 

    Teheran, טהרן, Daniel Syrkin, 2020

    Faraz a pris le père de Tamar en otage et menace de le tuer 

    L’interprétation est excellente. D’abord la jeune Niv Sultan qui trouve là le rôle de sa vie et qui porte le personnage dramatique de Tamar du début jusqu’à la fin. Elle a un jeu qui dépasse les simples mimiques faciales et la diction, en persan, en hébreu et en anglais. Son corps parle pour elle, elle a une grâce naturelle, une manière de se déplacer très fluide qui donne une force inattendue à son personnage. Elle est Israélienne, et pour les besoins de la série elle aurait appris à la fois le persan et les arts martiaux. Derrière elle on trouve Shaun Toub, Juif né en Iran, il incarne Faraz Kamali. Il est à la fois tendre et colérique, roublard et mélancolique. Ce qui permet de comprendre qu’il est au fond de lui-même partagé, même s’il s’efforce de suivre le protocole. Derrière c’est moins bien, Milad, le jeune hacker qui est séduit par Tamar, est incarné mornement par Shervin Alebani. Il est d’origine iranienne, bien qu’il ait la nationalité britannique. Son jeu est raide, souvent il sourit à contretemps. Moe Bar-El, lui aussi un acteur iranien, Karim dans la série, n’est pas très bon non plus, il surjoue la colère et agace. Ali, le second dévoué de Faraz est interprété par un acteur d’origine iranienne, Arash Marandi, très terne et sans nuance. Navid Negahban est lui aussi né en Iran, il est par contre très bon dans le rôle de Masoud Tabrizi. La très belle et charismatique Liraz Charhi est Kadosh, elle tient bien sa place, tout comme d’ailleurs Esti Yerushaimi qui est excellente dans le rôle douloureux d’Azeroo, partagé entre deux familles, deux pays et deux cultures. Cette surreprésentation des acteurs d’origine iranienne donne cependant une bonne couleur locale à l’ensemble, mais surtout montre combien les Israéliens et les Iraniens sont parents.  

    Teheran, טהרן, Daniel Syrkin, 2020  

    Faraz a tué Kadosh et est abattu par Tamar 

    La série est financée par Apple cette multinationale qui en matière de production de séries semble plus compétente que Netflix. Elle a eu beaucoup de succès et c’est à mon sens justifié. Je la vois comme une sorte de complément de la loi de Téhéran. Une deuxième saison devrait arriver au mois de mai 2022. Saura-t-elle se renouveler ? On sait déjà que Tamar et Faraz s’y affronteront de nouveau. La première saison avait tout de même cette particularité de ne pas se clôturer sur la victoire des Israéliens ou des Iraniens. Les deux opérations aboutissant simultanément à un échec, ce qui en dit long pour les scénaristes sur la vacuité des actions menées par les services secrets antagonistes.



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/fauda-saison-1-2015-a146715744

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/sur-ecoute-the-wire-serie-creee-par-david-simon-2002-2008-a166214520

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/the-shield-serie-creee-par-shawn-ryan-2002-2008-a166214352

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/the-sopranos-david-chase-1999-2007-a211144266

    [5] Éric Rochant avait pourtant dans le temps réalisé un excellent film d’espionnage, très original, Les patriotes, mais depuis il s’est bien laissé aller à la facilité d’un travail de fonctionnaire pour Canal+.

    [6] http://alexandreclement.eklablog.com/the-irishman-martin-scorsese-2019-a177715326

    [7] http://alexandreclement.eklablog.com/la-loi-de-teheran-metri-shesh-va-nim-saeed-roustayi-2019-a211997433

    « Johnny Angel, Edwin L. Marin, 1945Ils ne voudront pas me croire, They won't believe me, Irving Pichel, 1947 »
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