-
Jon Roberts & Evan Wright, American desperado, 13ème note, 2013
Les vieux bandits qui sont passés à travers la prison et les règlements de compte finissent toujours par avoir envie de se raconter. Jon Roberts, né Riccobono, apparenté à une famille mafieuse importante qui travaillait pour les Gambino, n’échappe pas à cette règle. Il va le faire sous le contrôle d’un journaliste, Evan Wright, spécialisé dans les sujets scabreux mais qui nous laisse entendre que Jon Roberts enjoliverait un peu l’histoire. D’ailleurs les origines mêmes de Jon Roberts sont floues, l’ouvrage laisse même entendre qu’il aurait aussi des origines juives.
Jon Roberts est décédé, quelques mois après la publication de son livre. Mais Hollywood, Mark Walhberg plus précisément s’intéresse au personnage qui pourrait ainsi apparaitre à l’écran. S’il s’agit d’adapter American desperado, l’entreprise sera assez difficile car il faudra bien couper des pans entiers de cette biographie qui en français fait dans les 700 pages.
C’est donc une histoire de mafia, mais sans rien de romantique, ni de glamour. Au contraire, tout y sordide. C’est d’ailleurs cet aspect sordide qui fait que Jon Roberts peut justifier son propre retournement en faveur de la police. Le sens de l’honneur ici n’est même pas évoqué, même pour plaisanter. Il y a seulement des rapports de force et chacun essaie de tirer son épingle du jeu.
Le public a appris l’existence de Jon Roberts d’abord dans le documentaire Cocaïne cowboys qui mettait en scène d’une manière très fouillée l’existence de réseaux qui distribuent la coke aux Etats-Unis, avec tous les crimes qui vont naturellement avec. C’est sans doute cela qui a mis Evan Wright sur sa piste. Il n’est pas le seul. Aux Etats-Unis certains considèrent Jon Roberts comme un modèle, c’est le cas de certains rappeurs qui aiment mettre en scène cette sorte de nihilisme qui s’abime dans la surconsommation de drogue, de flingues, de femmes ou de n’importe quelles marchandises.
Le principe de ce genre de livre est toujours un peu le même, il décrit les origines du « héros », puis les raisons plus ou moins réelles qui l’ont fait dérapé et qui l’ont transformé en bête sauvage. Bien que Jon Roberts ne veuille pas qu’on le plaigne, il est évident que sa confession s’apparente aussi à une autojustification de ce qu’il a été. Evidemment il a commencé petitement par l’exercice un peu désordonné de la violence et du racket. Il nous explique qu’il a suivi l’exemple de son père qui lui-même gérait des paris et rackettait. Mais s’il était le fils et le neveu de membres relativement éminents de la mafia, il semble que cela ne lui servit à rien et qu’il dut refaire le chemin pour se faire une petite place dans le monde du crime.
Entre temps il fera un tour de piste au Vietnam où il perfectionnera sa propre violence, développant une indifférence vis-à-vis de la mort et de la souffrance. De là à laisser entendre que cette guerre horrible a déterminé la carrière future de Jon Roberts il n’y a qu’un pas. En tous les cas Evan Wright laisse entendre qu’il n’a pas perdu toute sensibilité, la preuve, il revit douloureusement ce passé.
La philosophie de Jon Roberts peut se résumer à la phrase suivante : « le bien ne paye pas, le mal vous mène en haut de l’affiche ». Il répète la maxime paternelle : « le mal est plus fort que le bien ». Cette logique désinvolte et un peu limitée n’est pas seulement de la forfanterie, elle intègre les principes du darwinisme capitaliste. Jon Roberts en rajoute d’ailleurs : il ne veut pas qu’on le trouve drôle, ni même sympathique. Il s’ensuit qu’il ne va pas pleurer les anecdotes scabreuses qui laissent entendre qu’il a tué un maximum de personnes. Et pour cela les scènes de cruauté ne manqueront pas. Tout est bon pour démontrer le caractère sadien de Jon Roberts, que ce soit la manière dont il paye des pauvres clodos pour les faire courser et mordre par son chien, ou la façon dont il punit à coups de ceinturon la pauvre Véra qui veut le quitter. L’argent coule à flot, et comme il a été mal acquis si on peut dire, il faut le dépenser d’une manière à la fois arrogante et futile.
L’aspect le plus intéressant des mémoires de Jon Roberts réside, selon moi, dans cette description minutieuse de la corruption. Des juges aux sénateurs en passant par la famille Bush, ce sont ces représentants de l’Etat ou des fonctions officielles qui permettent et encouragent le crime. Autrement dit, si la criminalité aux Etats-Unis atteint un tel niveau, c’est parce que la classe politique est elle aussi criminelle. D’ailleurs Jon Roberts ne s’y trompe pas : pour lui les hommes politiques sont bien plus malins que la Mafia. Notez que cette corruption imprègne directement le fonctionnement des organismes comme la CIA ou le FBI. Dans ce contexte, les trafiquants de coke, même à grande échelle, sont seulement une pièce d’un système qui s’est autonomisé et que plus rien n’arrête. American desperado décrit comment la police du Nord de Miami participe directement au trafic de cocaïne en sécurisant les planques et en protégeant les circuits de distribution. Dans le cours du récit, on croisera aussi des sportifs de haut niveau, à commencer par le sulfureux O.J. Simpson qui a si mal fini. Eux aussi ils ont le nez dans la coke et une de leurs rares ambitions est de baiser le maximum de gonzesses dans des orgies tout à fait décadentes.
Mais si un livre existe par son fond, il vit aussi par sa forme. On peut toujours parler du style, c’est vite fait, contrairement à ce qui a été dit ici ou là, il n’y en a pas. C’est une série d’anecdotes dont le fil conducteur est l’interrogatoire de Jon Roberts. Cela peut être lassant pour un public peu habitué à ce genre d’ouvrages. Et donc par voie de conséquence le seul intérêt de ce livre c’est outre le fait qu’il nous donne une petite idée de la façon de vivre des gangsters modernes, depuis le développement sans précédent du trafic des stupéfiants, et qu’il nous recadre la façon de penser des malfrats qui finalement ont vécu sans morale et sans destin. A ce titre, on peut dire, qu’affranchis de tout et du reste, ils sont à la pointe de la modernité.
« L’homme qu’on aimait trop, André Téchiné, 2014Brigade spéciale, Roma a mano armata, Umberto Lenzi, 1976 »
-
Commentaires