-
Requiem pour un caïd, Maurice Cloche, 1964
Maurice Cloche a mauvaise presse. Il a la réputation d’un cinéaste un peu trop catholique, un peu commercial et paresseux. Evidemment, il l’a doit essentiellement à la Nouvelle Vague et à Jean-Luc Godard qui, au début de sa carrière, tout comme Truffaut, pensait qu’il était de bonne guerre de se grandir en crachant sur ses confrères. Maurice Cloche a commencé sa carrière en 1935, deux thèmes dominent, d’une part le catholicisme social, avec des biographies de Laennec ou de Saint-Vincent de Paul, et puis le film noir à connotation sociale. On peut dire que c’est faire le grand écart que de passer de l’un à l’autre, mais pas tant que ça, puisqu’en effet le film noir s’occupe souvent des conditions matérielles de la fatalité. Après tout le film noir américain n’est pas exempt d’un certain moralisme. En tous les cas Maurice Cloche a aimé dans sa longue carrière filmer aussi les mauvais garçons et les femmes de mauvaise vie.
Antoine et Dominique surveille Pinelli à Orly
Antoine qui travaille à la Mondaine veut faire tomber un souteneur, Jo Pinelli, qui est en réalité un criminel multicartes, travaillant aussi bien dans les stupéfiants que dans le hold-up. Au moment où la police commence à lui mettre le paquet dessus pour le coincé, il a plusieurs projets, d’une part il pense à envoyer la naïve Corinne à Abidjan pour la prostituer, mais aussi il cherche à monter un coup qui devrait lui rapporter des millions. Le coup de pouce va venir d’Eva qui téléphone à la police, en effet cette ancienne prostituée de Pinelli refuse de lui payer une amende et reçoit une correction. A partir de là les flics vont chercher à coincer Pinelli à partir de l’ensemble de ses relations féminines, prostituées, maquerelles ou simple fiancée comme Corinne. En suivant plusieurs pistes à la fois, ils vont tomber sur l’associé de Pinelli, un certain Vasco qui va se faire dessouder par une bande rivale. Les différents témoignages et les différents recoupements vont finir par faire arrêter et tomber Pinelli qui, on le pressent, va passer de longues années en prison.
La police organise des rafles de prostituées pour tenter de piéger Pinelli
C’est un scénario original de Maurice Cloche et de jean Kerchner qui travaillera souvent dans le film de série B, avec Ralph Habib, ou avec Jean Stelli. La grande réussite de ce film est la structure éclatée du récit. Certes Antoine est un peu le fil conducteur de l’histoire, mais il n’est clairement qu’un rouage de la grande machine policière qui travaille avec obstination et ténacité. Cela permet de donner une image assez réaliste du fonctionnement de la police et de ses différents services. Mais c’est aussi la description d’un milieu assez fermé où le silence règne, les témoins ne veulent pas parler, soit parce qu’ils sont impliqués dans les combines de JO, soit évidemment parce qu’ils ont peur. Il n’y aura rien de spectaculaire, mais juste un homme, Jo Pinelli, qui essaie d’échapper à la traque. On aurait pu le coincer au moment du hold-up par exemple, mais justement celui-ci n’aura pas lieu. De même lorsque Pinelli se trouve face à face avec Antoine, le calibre à la main, il ne tirera pas et se laissera arrêter. Cette façon de gommer les scènes qui auraient pu être spectaculaires renforce le côté réaliste du film qui est manifestement inspiré des grands films noirs américains qui tentent de se rapprocher d’un style documentaire.
Emile se fait embarquer
Bien évidemment c’est adapté à la situation française, Paris plus précisément, et cela va donner lieu à une utilisation plutôt intéressante des décors réels, le 36 quai des Orfèvres, le boulevard Saint-Michel ou le Boulevard Marceau. Les scènes de filature, y compris quand les flics perdent Eva, sont très réussies. Maurice Cloche ne s’attarde pas à filmer les lieux habituels de la vie des truands, par exemple, il n’insiste pas sur les bars de nuit qui sont juste un élément parmi bien d’autres du quotidien. Les truands se fondent dans le paysage urbain, ils sont presque des gens ordinaires, juste un peu plus violents que la moyenne. Les flics n’ont plus ne sont pas des héros, seulement des fonctionnaires qui font leur boulot et qui passent aussi des nuits à surveiller, filer, et parfois à perdre les pistes. D’ailleurs c’est un peu par hasard qu’ils remontent les pistes. Le quotidien des flics est parfaitement rendu dans les locaux étroits et surchargés du 36 quai des Orfèvres. Au-delà de cet aspect, il y a bien sûr les ruses qu’utilisent les policiers pour faire parler les clients jouant sur plusieurs cordes en même temps, sans trop savoir si cela rendra ou non. Si bien que l’arrestation de Pinelli n’est plus un exploit, mais plutôt la conséquence logique de la mise en mouvement d’une machine plutôt complexe. C’est l’anti-Maigret en quelque sorte, aucune psychologie dans tout cela : la routine et encore la routine.
Jo et Vasco rackettent Mado
Film à petit budget, il ne bénéficie pas d’une distribution haut de gamme. Mais c’est peut-être mieux ainsi. Les flics sont des acteurs au physique plutôt ordinaire. Pierre Mondy est Antoine, Jacques Duby, Dominique, et on reconnaitra dans des petits rôles encore Daniel Ceccaldi qui ne fait que taper des rapports sur sa machine, ou encore l’excellent Jacques Monod dans le rôle d’un chef de la police. Jean-Pierre Bernard, acteur de théâtre et de télévision est Pinelli, le truand. Il est très bien, bien que peu glamour. Mais il sait bien faire passer cette froideur manipulatrice et dangereuse qui lui assure une place prééminente dans la hiérarchie du milieu. Les rôles féminins sont dominés par Magali Noël, à l’époque l’épouse de Jean-Pierre Bernard, excellente, elle est la pute rancuneuse qui se vengera de ses déconvenues avec Jo. Janine Vila n’a pas grand-chose à faire pour incarner la naïve Corinne. Mais elle le fait bien. Elle partira ensuite vers la télévision et aura du succès dans la série Janique Aimée. Francis Blanche fait une petite apparition, sans plus d’importance que ça. La très distinguée Hella Petri sera une mère maquerelle qui se fait racketter.
Eva hésite à vendre Jo
Tout cela fait déjà que le film est très bon. Mais il y a aussi quelques scènes très bien réalisées, cadrées avec soin et bien rythmées. Je pense à ces mouvements de caméra dans le bureau des inspecteurs, ou à la sobriété de la scène de retapissage. L’arrestation de Pinelli est aussi un moment fort parce qu’à tout moment on s’attend à une issue dramatique, la tension est palpable dans les angles choisis pour filmer cette scène. Bien évidemment il y a des défauts et le fait que Maurice Cloche ait voulu utilisé les décors réels, tout en aillant un budget un peu étriqué, fait qu’à quelques moments on a des passants qui ne passent pas et qui restent là figés à regarder le tournage, ce qui est toujours intéressant quand on n’a rien de mieux à faire. Mais c’est peu de chose. J’aime bien aussi la façon dont les escaliers du 36 sont filmés en contre-plongée. Sur le plan de la technique proprement dite, on peut regretter qu’il manque de la profondeur de champ ce qui aurait permis de mieux profiter des décors du Paris du début des années soixante.
La police prend Eva en filature
Ce film répondra à ceux qui pensent que le film noir « à la française » est très limité. Le film noir à la française a existé tout au long des décennies suivant la Libération, avec de belles réussites. Ce film de Maurice Cloche en est le témoignage, même si évidemment on ne saurait le situer sur le même plan que René Clément ou Jean-Pierre Melville.
C’est par le commissariat de quartier que la police retrouve la trace de Vasco
Pinelli est enfin arrêté
Jo échoue au 36 pour être interrogé
« L’impasse, Carlito’s way, Brian de Palma, 1993L’année du dragon, Year of the dragon, Michael Cimino, 1985. »
Tags : Pierre Mondy, Magali Noel, Maurice Cloche, Film noir
-
Commentaires