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Shock corridor, Samuel Fuller, 1963
Shock corridor reprend l’idée de base de Beyond the locked doors. Les ingrédients sont les suivants : une enquête criminelle menée par un ou une journaliste va se passer à l’intérieur d’un asile d’aliénés. Une personne apparemment saine d’esprit s’introduit dans un espace fermé, ignoré du grand public. C’est un thème qui convient très bien au film noir dont la mission est de montrer justement ce qui est caché. L’asile d’aliénés est un lieu particulier qui tient plus de la prison – c’est pourquoi les films qui en traitent ressemblent aux films de prison – qu’à un lieu de soins. Dans tous les cas on va retrouver des gardiens sadiques et des prisonniers menacés de mauvais traitement s’ils osent se rebeller. Comme je l’ai dit à propos de Beyond the locked doors, cela marque déjà une grande méfiance des Américains face à l’engouement des traitements psychanalytiques qui apparaissent comme des intrusions et des manipulations de l’esprit. Fuller reprendra le prénom de Kathy, ici transformé en Cathy, et la similitude ira jusqu’aux conciliabules entre les deux amants le jour des visites autorisées.
Cathy demande à Johnny de renoncer
Johnny Barret est un journaliste qui vise de décrocher le prix Pulitzer en publiant un reportage extraordinaire. Pour cela il va tenter de pénétrer dans une clinique psychiatrique pour découvrir l’assassin d’un meurtre qui s’y est déroulé. Il se fait passer pour un dangereux maniaque qui aurait abusé de sa sœur. Il travaille en accord avec son patron et un psychiatre qui le guide pour rendre crédible son histoire. Sa fiancée Cathy, une stripteaseuse, est réticente. Elle pense que s’il se lance dans cette affaire, il perdra l’esprit. Mais il lui fait une sorte de chantage en ne l’appelant pas pour la forcer à coopérer. En se faisant passer pour un individu violent, il va se faire interner. Il sait que le meurtre qui a eu lieu à l’intérieur de l’hôpital a eu trois témoins, Stuart, Boden et Trent. Son enquête va progresser, mais au fur et à mesure, il doit subir des traitements – des électrochocs sensés le guérir – qui vont le rendre fou. Il commence par devenir violent, puis s’éloigne de Cathy, ensuite il perd sa voix. Il découvrira le meurtrier et le fera avouer. Mais ce succès n’est qu’une victoire en trompe l’œil, il est devenu un schizophrène catatonique, et il devra rester enfermer.
La rue est le long couloir où les patients peuvent déambuler et se rencontrer
La trame est relativement simple, mais le propos est multiple. Fuller prétendait que ce film était un portrait de l’Amérique. Chacun des trois témoins du meurtre a subi des traumatismes violents. Le premier qui se prend pour un général sudiste, est devenu communiste, essentiellement par rejet de l’éducation rigide et puritaine qu’il a reçu. Fuller semble penser que de vouloir le communisme est presque une maladie. On reconnait là la tournure d’esprit des libéraux qui n’ont jamais osé aller jusqu’au bout dans la lutte contre la chasse aux sorcières et qui ont donné des gages d’anticommunisme même quand on ne leur en demandait pas. Fuller n’est pas Kazan, bien sûr, il n’a jamais trahi personne, mais pour un homme de gauche comme lui, il a fait tout de même pas mal de films anticommunistes, où du moins on retrouve des traces d’anticommunisme : en 1953, il tourne Pickup on South Street, en 1954, c’est le très médiocre Hell and High Water, et en 1963, il insère cette réflexion sur le communisme qui laisse pantois. Le second témoin, Trent, le noir qui se prend pour un membre du KKK, a été traumatisé par sa lutte contre la ségrégation, il en est devenu fou. Boden est le troisième témoin, il a participé à des recherches sur l’armement nucléaire, et comme cela lui a fait peur, il s’est réfugié dans la folie, régressant vers l’âge d’un enfant de 6 ans. Au-delà du fait que la critique de l’Amérique est bien réelle, les traumatismes qu’elle inflige à ses sujets sont relativement schématiques dans la perception que l’on en a. Le second niveau d’analyse, c’est la mise en question de la psychiatrie et de ses méthodes barbares. C’était une époque où les électrochocs étaient utilisés couramment. S’ils persistent encore, ils sont en forte régression en France et aux Etats-Unis. Quand à la fin on comprend que Johnny est perdu, le docteur Christo admettra qu’un homme sain ne peut subir des traitements aussi brutaux sans devenir fou à son tour. La psychiatrie telle que la voit Fuller est une forme d’élimination des fous qui sont retirés de la circulation, et non un ensemble de soins pour qu’ils améliorent leur état mental.
Stuart va dévoiler que le meurtrier de Sloan est un membre du personnel
Il y a un troisième point de vue. C’est celui qui donne l’aspect film noir : c’est l’introduction d’un journaliste dans un endroit fermé que la population ignore. Fuller disait s’être inspiré des pratiques réelles des journalistes, la précision est importante parce que cette histoire semble invraisemblable. Il parait très facile finalement de berner des psychiatres pour se faire passer pour fou. A croire que ceux-ci sont plutôt des charlatans que des scientifiques sérieux. C’est le point de vue de Fuller. Il y a des aspects assez justes dans la description de la folie, notamment cette manière particulière de tordre les corps, la divagation mentale ayant des conséquences physiques douloureuses. Certes la manière de montrer Johnny se faire quasiment violé par des nymphomanes est un peu caricaturale, et sans doute les femmes qui lui sautent dessus sont un peu trop proprettes, mais il y a une vérité dans cette violence exacerbée qui domine généralement dans les lieux d’enfermement, que ce soit la prison ou l’asile.
Le second témoin est Trent, un noir qui se croit blanc
Ces bonnes intentions, plus ou moins cohérentes, ne suffisent pas à faire un bon film. Le scénario pêche par de nombreux aspects : d’abord il y a le personnage pleurnichard de Cathy qui passe son temps à gémir. Or elle a bien voulu rentrer dans cette combine destructrice parce qu’elle n’était pas capable de résister au chantage de Johnny et de son directeur qui lui ont fait savoir que Johnny la bannirait de sa vie si elle ne cédait pas. Cathy est une stripteaseuse, et le parallèle qui est fait entre son métier un peu vulgaire, un peu malsain, avec le métier de journaliste est assez téléphonée. Mais il y a aussi ce côté répétitif de l’enquête qui progresse par morceau, ce qui permet de passer d’un sujet à l’autre pour présenter de nouveaux cas de folie. J’ai trouvé également que les séquences de rêve – presqu’obligatoire quand on est dans un film sur la psychanalyse depuis au moins Spellbound d’Hitchcock en 1945 – sont assez médiocres et chichiteuses, en couleurs avec des images déformées. La facilité déconcertante avec laquelle Wilkes avoue son crime n’est pas très logique, en effet l’infirmier étant attaqué par un homme supposé fou, il lui est facile de nier.
Johnny devient violent
Mais le film a des qualités cinématographiques intéressantes. Le cœur du décor est la rue, ou le corridor où les malades ont le droit de se rencontrer. Cela donne une idée de la claustrophobie qui règne dans ces lieux. La perspective du décor a été allongée par une peinture qui suggère l’éloignement. Et pour donner plus de profondeur encore, Fuller a utilisé des nains dans certaines séquences. Le faible espace oblige à éviter les larges mouvements d’appareil dont Fuller avait l’habitude. De même il n’utilise pas la grue. Pour donner plus de vivacité à son film, il utilise des travellings avant et arrière en permanence pour rompre l’équilibre avec les gros plans. Il y a une très belle photo de Stanley Cortez, avec des beaux contrastes de noir et blanc. Je rappelle que Cortez avait fait la photo de The night of the hunter.
Johnny va subir des électrochocs
L’interprétation est dans l’ensemble bonne. Le film repose presqu’entièrement sur Peter Breck qui incarne Johnny. C’est un acteur sans charisme avec un physique assez désagréable. L’essentiel de sa carrière s’est fait à la télévision. Mais ici il est excellent, passant de l’arrogance et de la suffisance, à la crainte de devenir fou. Il est à la fois rusé et pathétique quand il commence à perdre pied. Je pourrais m’arrêter là. Parce que Constance Towers qui peut être si intéressante n’est pas très bonne ici. C’est John Ford avec qui elle avait tourné deux films qui l’aurait présentée à Fuller. Elle est toujours meilleure quand elle joue d’une manière énergique, plutôt que dans les rôles d’une faible femme qui pleurniche. Et puis lui faire porter un tel costume de stripteaseuse aussi ridicule n’a pas de sens. Parmi les seconds rôles qui doivent retenir l’attention, je distinguerai d’abord le curieux Larry Tucker dans le rôle de l’obèse Pagliacci qui est excellent, et puis Hari Rhodes dans le rôle du noir complètement fondu. Tous les deux sont des acteurs de télévision qui passent avec une facilité déconcertante de la lucidité à la folie.
Cathy pense que Johnny perd la tête
Tourné en dix jours seulement, pour un budget éthique, il a eu une très bonne critique et il a rencontré aussi le succès commercial. Mais Fuller dit que ce film et le suivant ne lui ont rien rapporté. Le producteur Firks n’a pas tenu ses promesses. Shock corridor est devenu au fil des années une référence, pour autant j’en garde un sentiment mitigé, et ce n’est pas un des films de Fuller que je préfère.
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Tags : Samuel Fuller, Asile d'aliénés, Film noir, Peter Drecker, Constance Towers
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