• L’arme à gauche, Claude Sautet, 1965

    L’arme à gauche, Claude Sautet, 1965

    Claude Sautet avait réussi un film quasiment parfait avec Classe tous risques, film qui reste sans doute un des chefs d’œuvre du film noir français[1]. On se souvient que c’était Lino Ventura qui l’avait imposé sur le tournage, ils s’étaient connus et appréciés sur le plateau du film de Maurice Labro, Le fauve est lâché[2]. Cinq ans plus tard, Sautet va de nouveau travailler avec Lino Ventura, entre temps, il n’aura rien tourné, se contentant de travailler sur les scénarios des autres, souvent même sans le dire. Cinq ans au cinéma c’est long quand on est réalisateur. Sautet avait également travaillé à l’adaptation de Peaux de banane, un autre roman de Charles Williams[3]. Le film de Marcel Ophüls malgré un bon scénario ne fut pas à la hauteur. Peut-être est-ce cela qui l’a motivé, de prendre sa revanche sur ce demi-échec, pensant sans doute que les romans de Charles Williams avaient un énorme potentiel cinématographique. Souvent présenté comme un film de commande, L’arme à gauche est d’abord un film qui a connu mille avanies sur le tournage, allant de catastrophe en catastrophe, destruction des décors, tempêtes, problèmes de dépassement de budegt, il a failli ne jamais voir le jour.  

    L’arme à gauche, Claude Sautet, 1965

    Jacques Cournot, marin expérimenté, a été contacté par un certain Hendricks pour acheter un bateau. Il en visite plusieurs, et son choix va s’arrêter sur le Dragoon qui appartient à la veuve Osborne. Mais alors qu’il discute de la possibilité de faire baisser le prix du bateau, celui-ci est volé, tandis que sur la plage des gangsters se livrent à un règlement de compte sanglant. Jacques Cournot va le lendemain matin être contacté par la police, puis interrogé avec minutie comme s’il était complice du vol du bateau. Mais la police le laisse partir et peu après la veuve Osborne qui est une jeune femme ravissante, va demander à Jacques de retrouver le bateau. Pour cela il va affréter un hydravion. Assez rapidement ils retrouvent le Dragoon qui semble être échoué et abandonné. Rae Osborne et Jacques vont se rendre sur le bateau pour voir ce qu’il en est. Mais le bateau n’est pas vide, Morrison qui a l’air d’un homme dangereux, va kidnapper Jacques et Rae. Ce sont des trafiquants d’armes et le fameux Hendricks se trouve lui aussi sur le bateau. Ils vont chercher une solution pour dégager le bateau et reprendre la mer afin de livrer les armes à des groupes révolutionnaires d’Amérique latine. Peu après Morrison se retrouve tout seul sur le banc de sable, mais le bateau reste toujours immobile. Hendricks est grièvement blessé. La bataille entre Jacques et Morrison va devenir une lutte à mort. Mais c’est finalement Jacques qui aura le dernier mot. 

    L’arme à gauche, Claude Sautet, 1965 

    Après le vol du Dragoon, Jacques Cournot est interrogé par la police 

    Il est très probable que Charles Williams, même si son nom se retrouve au générique comme co-scénariste, n’ait pas vraiment travaillé sur le film. A cette époque Williams avait une grosse réputation, il avait même été engagé pour travailler sur le scénario des Félins. Selon René Clément lui-même, il n’avait rien fait du tout, trop occupé qu’il était à boire et à faire la fête. Globalement le film est très fidèle au roman, quoiqu’il s’étende moins sur la personnalité de ce capitaine sans travail et sans ressources. Des détails sans importance ont été changés comme par exemple la fin de Morrison, ou encore le développement du personnage de l’ancien mari de Rae. Plus ennuyeux sans doute, dans le livre la naissance d’une passion entre Rae et Ingram est explicite, et vers la fin elle est même assez érotique. Dans le film, on ne sait pas trop ce que deviendront les deux protagonistes qui ne manifestent pas grand-chose entre eux. C’est sans doute là le premier problème que rencontre ce film, les rapports entre Rae et Jacques restent désespérément froids. Le second est la passion que Charles Williams avait pour le bateau justement, et donc dans le roman il va détailler les rapports techniques autant qu’amoureux qu’un homme peut entretenir avec la mer. Cette dimension poétique qu’on retrouve dans tous les livres de Charles Williams qui se situent en mer, est absente ici. 

    L’arme à gauche, Claude Sautet, 1965 

    Des corps criblés de balles sont retrouvés sur la plage 

    C’est un film d’aventures qui escamote délibérément les sous-thèmes qui auraient donné de l’épaisseur à l’histoire. En privilégiant l’action, on ne se pose plus de question sur l’origine de cette fatalité qui rend prisonnier Jacques aussi bien que Rae de leur passé. En effet, Rae paie très cher le fait qu’elle ait été mariée par le passé à Hendricks, un menteur, un voleur qui l’a dépouillée jusqu’au dernier dollar. Et si elle s’est laissée faire, c’est bien par faiblesse de caractère. Jacques lui en réalité est un marginal sans travail qui forcément ne peut devenir qu’un aventurier masochiste. Dans le roman Charles Williams assumait cette relation entre un passé tourmenté et culpabilisant – Ingram avait vu son associé mourir sans qu’il n’y puisse rien – ce qui expliquait pourquoi il se mettait toujours dans des situations impossibles, comme une recherche de la punition. Et d’ailleurs s’il était attiré par Rae, c’est bien parce qu’elle était manifestement une source d’emmerdements ! Sautet ne retient que l’idée d’un homme qui réagit seulement pour sa survie et rien d’autre. 

    L’arme à gauche, Claude Sautet, 1965 

    Rae Osborne voudrait bien récupérer son bateau 

    La réalisation est plutôt soignée. Mais il est toujours très difficile de faire un film sur la claustrophobie engendrée par un bateau. Sautet ne s’est pas méfié de ce problème. Il ne tire guère parti de l’étroitesse de l’espace dans lequel se meuvent les protagonistes. De ce point de vue, il aurait dû s’inspirer du film de René Clément Les maudits. Pour le reste il n’y a pas grand-chose à dire, les extérieurs sont très bien utilisés, notamment dans le début qui est sensé se passer dans les Caraïbes alors que les scènes ont été tournées en Espagne. En vérité ce qui manque dans ce film et sans doute ce qui explique son échec commercial, c’est un rythme soutenu. Il y a un manque de continuité entre les scènes d’action et les scènes plus explicatives qui donnent au spectateur à comprendre l’intensité du drame. Cet aspect décousu empêche la tension de se développer, on ne tremble pas beaucoup pour les héros de cette histoire. 

    L’arme à gauche, Claude Sautet, 1965 

    Le bateau n’est pas vide, des gangsters s’en servent pour leur trafic 

    Lino Ventura est la figure principale de ce film. Il assure une présence très forte avec facilité. Physiquement, il est tout à fait ce qu’on attend d’un personnage de Charles Williams, le côté ancien sportif vieillissant qui en a vu des vertes et des pas mûres. Cependant, outre qu’il parait difficilement compatible avec Silva Koscina pour former un vrai couple, il reste un peu en retrait, trop passif. Peut-être est-il moins à l’aise sur un bateau que sur la terre ferme ? Il est d’ailleurs très mal à l’aise dans ses rapports avec sa partenaire. C’est à peine s’il lui permet de pleurer sur son épaule, et une seule fois. Il y a un manque d’enthousiasme manifeste pour son personnage, on est loin de son implication dans Classe tous risques par exemple. Silva Koscina parait plus impliquée que lui. Elle était à l’époque une actrice très appréciée en Italie, et elle avait décidé de se lancer dans une carrière internationale. Femme de caractère, on lui a prêté des tas de liaisons avec de nombreux acteurs, notamment avec Kirk Douglas. Son physique, trop parfait, l’a trop souvent orientée vers des rôles un peu creux, des films d’espionnages sans intérêt. C’était pourtant une excellente actrice, et elle le prouve encore ici. Elle est très dynamique, oscillant entre charme féminin et femme d’action, prenant souvent l’initiative. Le troisième personnage, Morrison, est interprété par Leo Gordon. Acteur de haute taille à la mine patibulaire, il n’a que rarement obtenu des rôles importants. Je me souviens de lui essentiellement dans l’excellent Baby face Nelson de Don Siegel où il tenait le rôle de Dillinger[4]. Mais il a le plus souvent été cantonné à des rôles où seule sa présence physique comptait, des rôles de brute. Ici c’est pareil, il fait de la figuration intelligente, sans plus.

    L’arme à gauche, Claude Sautet, 1965 

    Maître du bateau, Jacques et Rae doivent s’abriter des tirs de Morrison 

    Le film sera un échec commercial et critique cuisant, contrairement à Classe tous risques. C’est sans doute ce qui va inciter Sautet à s’éloigner de la thématique du film noir et à développer le style particulier pour lequel il est identifié aujourd’hui comme un maître, cette capacité à saisir les petits drames des personnages ordinaires de la vie quotidienne. Si on se place du point de vue de Charles Williams, c’est juste une illustration honnête de son roman, sans plus. 

    L’arme à gauche, Claude Sautet, 1965 

    Morrison menace de faire sauter le bateau

     

     


    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/classe-tous-risques-claude-sautet-1960-a114844830

    [2] http://alexandreclement.eklablog.com/le-fauve-est-lache-maurice-labro-1959-a127908186

    [3] http://alexandreclement.eklablog.com/peaux-de-banane-marcel-ophuls-1963-a131020444

    [4] http://alexandreclement.eklablog.com/l-ennemi-public-baby-face-nelson-don-siegel-1957-a118529964

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