Après le demi-échec des Espions, Clouzot va repartir à la recherche du succès. Pour cela il va s’exercer au film de procès. Pendant plusieurs mois il va se renseigner sur des crimes réalisés par des jeunes femmes, puis il travaillera avec Simenon sur un scénario qui n’aboutira pas, sans qu’on sache précisément pourquoi. Clouzot est pensionnaire de La Colombe d’or à Saint-Paul de Vence et Simenon à cette époque habite à Cannes, ils se côtoient, leurs univers sont assez proches. Cet ébauche donnera Strip-tease un roman signé Georges Simenon[1]. Mais Clouzot se renseigne sur de nombreux procès qui concerne des jeunes femmes, notamment celui de Pauline Dubuisson dont l’histoire a été écrite de façon scrupuleuse par Philippe Jaenada[2]. Pour cette raison on a avancé à tort que c’était cette affaire qui avait inspiré le film. Mais les différences sont bien trop importantes pour qu’on mette en face le scénario de Clouzot et l’affaire Dubuisson, Pauline Dubuisson n’ayant pas vraiment une vie dissolue, elle avait fait des études des médecines et travaillait de façon régulière. C’est une idée reçue qu’il faut dégonfler sous peine d’entraîner des confusions dommageables, s’il s’est servi de cette affaire c’est d’une manière marginale. Clouzot avait consulté des tas de minutes de procès, il avait consulté aussi des grands avocats comme maître Floriot, il s’était même assuré des conseils de spécialistes des Cours d’assises. Rendons lui justice, bons ou mauvais ses films lui appartiennent en propre et ne doivent qu’à sa créativité, même s’il travaillait toujours avec une grosse documentation sous le coude. Il se rendait dans les Cours d’Assises, il a même écrit des articles de journaux sur des procès retentissants, il assista aussi au procès d’Henri Girard, l’auteur du Salaire de la peur. C’est au moment de ce procès qu’il trouvera l’anecdote de la concierge qui dira que Girard était de mauvaise vie, la preuve, il rentrait à une heure du matin. Il ajoutera cette réplique dans La vérité. Le scénario qui a été écrit avec cinq signatures, dont celle de son frère Jean Clouzot qui signe Jérôme Geronimi, a été travaillé aussi par Simone Drieu, une collaboratrice du grand avocat Maitre René Floriot et ami de Clouzot. Les deux avocats du film sont inspirés de Floriot et de Maître Garçon, grandes vedettes des années cinquante. Garçon grâce à sa brillant plaidoirie sera d’ailleurs à l’origine de l’acquittement d’Henri Girard. C’est sans doute pour ce film que Clouzot a été le plus minutieux dans la recherche de ce « vérisme » qui lui permettait d’aller plus loin dans les portraits psychologiques des protagonistes de ses histoires. Le déroulement du procès qui tient sans doute le quart ou le tiers du film est très minutieusement reconstitué. On a évoqué à ce propos Autopsie of a murder comme source possible d’inspiration pour Clouzot. Le film avait été un grand succès dans l’année précédant le tournage de La vérité. 

Le président de la Cour d’assises dresse un portrait moral désastreux de Dominique 

C’est le producteur Raoul J. Lévy qui était très proche de Brigitte Bardot qui suggéra à Clouzot de l’engager dans le premier rôle. Quelques années plus tôt En cas de malheur d’après Georges Simenon avec Bardot et Jean Gabin, avait été non seulement un succès public, mais aussi un succès critique. On découvrait que Bardot pouvait être aussi une excellente actrice, même en laissant jouer sa nature. Bardot était cependant bien plus qu’une actrice, c’était un phénomène à l’échelle planétaire. C’était un film noir, tragique. En même temps alors qu’on était en pleine Nouvelle Vague comme phénomène de mode, cela permettait à Clouzot de se renouveler en rajeunissant ses manières de voir et de tourner. C’était déjà cela qui avait mené Carné à tourner Les tricheurs avec beaucoup de succès en utilisant une nouvelle génération d’acteurs et d’actrices. Si le tournage des Espions n’avait pas donné lieu à des commentaires acides des uns et des autres, celui de La vérité a ramené les bonnes vieilles habitudes de Clouzot. Ce fut un tournage houleux. Entre Clouzot et Bardot ce fut presque un match de boxe. Elle lui rendit la gifle qu’il lui avait balancée, puis il lui écrasa les pieds. L’actrice finit par tomber en dépression – ce qui allait bien avec l’esprit du film – et se mit en congé maladie. Il est vrai qu’elle n’avait pas des problèmes qu’avec le film. Sur le tournage elle avait dû repousser les avances de Clouzot lui-même, puis elle était tombée amoureuse de Sami Frey, délaissant son mari de l’époque, Jacques Charrier. 

Dominique tente de s’expliquer simplement 

Dominique Marceau est une très jeune fille qui s’ennuie en Province, elle profite du fait que sa sœur la studieuse Annie va étudier la musique à Paris pour exiger d’y aller aussi, quitte à faire une tentative de suicide pour obliger ses parents à accepter. Elle va cohabiter avec sa sœur qui étudie le violon au conservatoire. Celle-ci va faire la connaissance de Gilbert un apprenti chez d’orchestre. Gilbert va rencontrer Dominique et être subjugué par sa beauté. Délaissant Annie qui a mis sa sœur à la porte, il lui court après, mais, alors qu’elle se donne sans compter, elle se refuse à lui. En vérité Dominique est elle aussi très amoureuse, même si elle trouve Gilbert un peu trop collé-monté. Une nuit Gilbert attend Dominique et finalement celle-ci réapparaît au matin, devint son air déconfit, elle finit par coucher avec lui. Ils entament une relation étroite et passionnée. Mais rapidement quand Dominique trouve un travail dans une boîte de nuit, Gilbert se révèle très jaloux et possessif. De querelle en querelle, leur relation chaotique se poursuit. Finalement Dominique va rompre avec son travail, errant, de ci de là, elle va se livrer à la prostitution pour survivre. Pendant ce temps Gilbert poursuit son ascension et devient un chef d’orchestre connu. Quand le père de Dominique décède, le jour de son enterrement, elle apprend qu’Annie va se marier avec Gilbert. De dépit, elle va demander des explications à Gilbert, mais celui-ci abuse d’elle avant de la jeter à la porte. Elle tente de se suicider en se jetant sous un bus. Remise de cet accident, elle achète un revolver, l’idée de suicide la poursuit. Elle retourne chez Gilbert une nouvelle fois, s’introduit chez lui. Une violente dispute éclate, menaçant de se suicider devant lui, Dominique va retourner l’arme contre Gilbert lorsque celui-ci lui hurle qu’il ne l’a jamais aimée. Ce meurtre l’amène aux Assises. Le procès est mené à charge par le président qui insiste sur son absence de moralité pour tenter de mettre en pièces l’idée d’un crime passionnel qui ouvrirait la voie aux circonstances atténuante. Maître Eparvier, le procureur et le président tourne l’idée du crime passionnel en dérision. Maître Guérin la défend u mieux qu’il peut, mais la propre sœur de Dominique l’accable de sa jalousie. Lors de la reconstitution du crime devant la Cour, Dominique craque et prononce son propre plaidoyer au nom de l’amour. Elle est évacuée avant la fin des débats. Dans sa cellule, elle va à l’aide du miroir brisé s’ouvrir les veines, transportée à l’hôpital, elle décédera. 

Dominique qui s’ennuie à Rennes va exiger de sa famille d’aller à Paris 

Le premier thème qui s’impose c’est d’abord celui de la vérité puisque le film en porte le titre. Cette vérité est toujours partielle et multiple, subjective et confuse, c’est ce qui échappe à l’a justice. Le film est construit de telle sorte que les témoignages jettent le trouble non pas sur le fait que Dominique soit ou non coupable, mais sur la sincérité de sa passion et de son geste. Dominique apparaît comme une jeune fille capricieuse et désœuvrée, recherchant le plaisir plutôt qu’une vie conformiste. Mais est-ce que cela la condamne ? Est-ce que sa moralité doit être un élément qui intervient dans le jugement ? L’ambiguïté de la jeune femme est d’autant plus forte que ses tentatives de suicide répétées peuvent être interprétées comme du chantage, un jeu, un manque de sincérité dans ses sentiments. Ce thème d’une vérité multiple et assez peu définie passe pourtant au second plan. Rapidement le thème de la jalousie, habituel chez Clouzot, prend le pas sur tout le reste. Gilbert est bien sûr jaloux des attentions que reçoit Dominique. Mais la sœur de Dominique est également jalouse du fait que pour un temps Gilbert lui préfère sa sœur. Cette jalousie n’est pas de la même nature. Dans le cas de Gilbert c’est sa possessivité qui le rend malade, petit bourgeois à l’esprit étroit, obnubilé par la quête d’une réussite professionnelle, il voudrait que Dominique soit entièrement à lui, autrement dit qu’elle renonce à être elle-même et libre. La jalousie entre Annie et Dominique est le résultat d’une conception étriquée de la famille. Annie est sage et disciplinée, elle cherche l’approbation de ses parents, travaille dur, Dominique c’est exactement le contraire. Elle aime cette atmosphère de liberté dans les cafés enfumés et les boites de nuit. Gilbert ne fume pas, il n’est pas débraillé, Dominique au contraire fume au lit, et bientôt va se retrouver dans la débine. Car l’ensemble de ses amis sont pauvres et ne peuvent guère l’aider. Ils reprocheront d’ailleurs à Gilbert de ne jamais l’avoir aidée. Reste évidemment des questions qui ne seront jamais résolues. Gilbert a-t-il aimé Dominique comme celle-ci le prétend ? S’est-il simplement servi d’elle pour assouvir ses désirs ? Quand Dominique qui voudrait bien qu’on l’aime sans marchander, cherche à se suicider en se jetant sous un bus, puis en ouvrant le gaz, n’est-ce pas parce qu’elle a compris qu’elle n’avait rien été pour Gilbert ? 

Gilbert attend Dominique toute la nuit 

Mais Dominique s’ennuie. Elle va faire plusieurs tentatives de suicide, elle représente le mal de vivre de la jeunesse qui évolue dans une société qui ne lui convient pas. Elle est une inadaptée sociale. Cet aspect des choses se montre dans l’opposition entre la musique classique, domaine dans lequel Gilbert prétend à l’excellence, et le jazz ou le rock qui met le feu dans les caves de Saint-Germain-des-Prés. Les couillons de la Nouvelle Vague, Truffaut et Les cahiers du cinéma, critiqueront cette présentation, renvoyant Clouzot à Carné qui venait de faire un succès remarquable avec Les tricheurs, avec Jacques Charrier. L’idée étant de dire que, vu son âge avancé, Clouzot comme Carné ne devraient pas avoir le droit de parler de la jeunesse qui s’ennuie. Mais le propos de Clouzot est bien moins que Carné de faire un portrait sociologique de la jeunesse que de contextualiser un drame humain à travers des oppositions qui sont presque des oppositions de classes. On voit donc deux clans, celui qui est représenté par les biens pensants, du président de la Cour d’Assises à Gilbert, en passant par Annie et l’avocat Eparvier. Et puis il y a ceux qui sont plus humains, moins engoncés dans leurs certitudes, Delaunay, Daisy, et même le patron du Spoutnik qui, bien qu’il ait eu envie de coucher avec elle, mais qui n’en aurait pas envie ?, finalement la respecte dans son intégrité de femme libre. Ceux-là viendront défendre Dominique à la barre, le plus souvent sous les quolibets et les remarques aigres de l’avocat général, du président ou de Maître Eparvier. L’affaire prend donc un aspect de révolte sociale contre un ordre moral figé. Il y a à ce propos un discours d’époque sur l’amour et le désir sexuel qui ne se rencontrent pas toujours et qui pouvait passer pour subversif. Et ce discours renvoie à cette idée de fête et de volonté de persister dans la paresse du temps qu’on est encore un peu jeune. Dominique reprochera au rigide Gilbert le fait qu’il ne sache pas danser, ni s’amuser. Indirectement c’est un film sur l’hypocrisie, et le plus condamnable en ce sens c’est bien Gilbert qui profite encore et encore du corps de Dominique, puis qui s’en va épouser Annie. Celle-ci est tout autant hypocrite et se débrouillera pour charger sa sœur devant la Cour. Au fond le principal défaut de Dominique c’est d’être franche et donc elle est forcément moralement innocente. Sa sœur conserve une aigreur qui la paralyse et qui la rend veille et veuve avant l’âge. Très tôt elle a refusé sa jeunesse. 

Gilbert est passionné par son travail de chef d’orchestre 

La structure du film est en flash-backs, c’est une manière de saisir la subjectivité. On partira de la Cour d’Assises au passé pour tenter, avant que de juger de comprendre en fonction des différents témoins qui vont défiler. Ceci permet de saisir deux Dominique, celle qui agit dans la vie de Saint-Germain-des Prés, et celle qui doit se défendre devant les accusations. Si la première parait décontractée et à l’aise, la seconde ressemble à un animal pris au piège, cernée par une meute qui veut sa peau. Dans le prétoire, Clouzot filmera moins des affrontements que des regards et des sous-entendus. Les scènes devant la Cour décrivent aussi l’affrontement entre les deux avocats comme un jeu, une mise en scène, parce que c’est le métier qui le veut. Et à la fin, après la mort de Dominique, on verra les deux avocats qui ont fait semblant de s’affronter à mort s’en aller presque bras dessus bras dessous. Les scènes dans le prétoire multiplient les angles de prises de vue, parfois en portant le regard depuis la position du président pour plonger sur le public et en quelque sorte le dominer, Dominique est alors évacuée sur la gauche et devient un simple pion dans un jeu qui la dépasse. Cet aspect d’une foule compacte qui noie carrément l’accusée est sans doute ce qui est visuellement le plus réussi. La description de la vie quotidienne de Dominique est filmée différemment. C’est moins étouffant. Dominique se promène et traverse l’espace urbain, passant de la nuit de Saint-Germain-des-Prés au conservatoire où tout est feutré et renfermé et semble sentir les moisissures et la naphtaline. La musique qui est jouée ici renforce ce côté ouaté de ce monde bourgeois que Dominique ne comprend pas. Clouzot s’attarde sur les détails de la conduite de l’orchestre, il ne la traite pas par-dessus la jambe. Mélomane, il est très attentif au rapport qu’il peut y avoir entre l’image et la musique. Clouzot oppose la musique classique qu’il appréciait au jazz et au rock qui se dansait dans les caves de Saint-Germain-des-Prés. 

Dominique a du mal à supporter la jalousie de Gilbert 

La direction d’acteurs va donner un aspect d’affrontement permanent entre Dominique, Gilbert, sa famille. Il va y avoir des dialogues presqu’hurlés, avec des acteurs au bord de la crise de nerf. La violence des dialogues est presque physique. Les scènes en dehors du prétoire donnent à voir une vie différente de la vie bourgeoise, une fois n’est pas coutume, Clouzot va utiliser des décors naturels, notamment la rue Galande et la rue Antoine Dubois avec ses drôles d’escaliers, pour décrire une vie qui se passe dans les redents de la société, comme si ce monde, ce quartier, était à l’écart de la vie ordinaire, soulignant une volonté de réinventer la vie. Mais il filme aussi les couloirs, les ombres, avec les ficelles du films noirs, jeu d’ombres et de lumières, éclairages latéraux, bien aidé par la photographie d’Armand Thirard qu’il a retrouvé pour ce film. Remarquez l’usage de la malle en osier qui rappelle aussi bien Les diaboliques que le fait que Dominique est à la rue et va entamer son chemin de croix ver son suicide. 

Dominique a tenté de renouer avec Gilbert 

La distribution met en opposition une nouvelle génération d’acteurs, Brigitte bardot, Sami Frey, Jacques Perrin, Claude Berri, ou encore Marie-José Nat, et des vieux briscards de l’écran et de la scène, Louis Seigner, Paul Meurisse, Charles Vanel, Fernand Ledoux, habitués à travailler avec l’irascible Clouzot. Le film est construit autour de Bardot, dans le rôle de Dominique, elle passe de l’insouciance à la tragédie. C’est sans doute son rôle le plus compliqué et elle est excellente. C’est de très loin son meilleur rôle. Dans ses mémoires, elle parle très peu de cinéma, le seul film sur lequel elle veut bien s’étendre c’est justement La vérité. Clouzot en l’engageant a touché tout à fait juste, comme s’il faisait un portrait à peine décalé de la star. Brigitte Bardot dut se confronter aussi à la jalousie de sa sœur qui tenta un moment de faire du cinéma comme elle. Dans la vie de Brigitte Bardot on trouve ce mélange curieux de naïveté et de révolte, une sensibilité à fleur de peau et ce désir d’être aimée pour elle-même, au-delà de sa beauté. Peu après elle voulu tourner avec Joseph Losey une adaptation de La truite de Roger Vailland, mais ça ne se fit pas. Elle en fut désappointée[3].

Bien sûr son jeu n’est pas traditionnel, ne serait-ce que dans la manière de poser sa voix, mais cela lui donne un côté naturel qui va parfaitement avec le rôle. Notez que son mari de l’époque, Jacques Charrier, complètement dépressif et jaloux, était très opposé à ce qu’elle tourne ce film, mais elle le fit tout de même. Elle venait juste d’avoir un fils avec lui, et sa vie privée était devenue un cauchemar[4]. Sa performance d’une jeune femme en quête de sa liberté, aurait certainement mérité un grand prix d’interprétation, elle n’eut que le David Donatello. Malgré tous les ennuis que lui a amenés Clouzot qu’elle qualifia plus tard de « scrofuleux », avec le tournage, elle considère que c’est un de ses meilleurs films.  En vérité, elle ne joue pas, elle habite son rôle. Omniprésente, elle a impressionné avec son discours final devant le tribunal qui la juge. Sur le plateau tout le monde pleurait et applaudissait, dans doute parce qu’elle était « vraie ». On dit que le maniaque Clouzot ne fit pour cette scène mémorable qu’une seule prise. Sami Frey incarne le sinistre petit bourgeois Gilbert qui s’imagine, comme Jacques Charrier dans la réalité, avoir des droits sur elle et sur son corps. Disons-le, il n’est pas très bon, pas à l’aise, peut-être cela venait-il du fait qu’il venait d’entamer une relation amoureuse avec sa partenaire et que face à Clouzot il avait du mal. Le réalisateur l’avait préféré à Jean-Paul Belmondo, Gérard Blain ou encore Hugues Auffray qui avait postulé pour le rôle. Les deux avocats joués par Paul Meurisse et Charles Vanel cabotinent à qui mieux mieux, mais n’est-ce pas ce que font les grands avocats de Cour d’Assises en recherchant des bons mots en même temps que la lumière ? Marie-José Nat dans le rôle d’Annie est complètement coincée, pas du tout à son aise, mais c’est ce qui en fait l’aspect intéressant. La prestation de Jean-Loup Reynold dans le rôle de Delaunay est par contre remarquable dans le rôle d’un débonnaire je-m’en-foutiste au grand cœur. Cet acteur semblait tout avoir pour devenir un grand acteur de composition. Mais il a peu tourné et a disparu assez vite. Louis Seigner en président de la Cour est bien sûr impérial dans ce genre de rôle, on le voit même parfois du douter. 

Dominique, chassée par Gilbert se jette sous un bus 

Dans les multiples inspirations de La vérité, j’allai oublier de citer I want to live de Robert Wise qui était sorti un peu avant en 1958 et qui présente de grandes similitudes avec le film de Clouzot dans le portrait d’une femme aux mœurs légères accusée tout aussi injustement que Dominique de meurtre et qui finira condamnée à la chambre à gaz. La tragédie est toujours au bout du chemin de l’émancipation féminine condamnée par la justice au prétexte d’un crime dont elles ne sont pas coupables. Dans I want ot live, et bien sûr dans La vérité, la musique de jazz est encore le contrepoint de la descente aux enfers d’une jeune femme qui a voulu s’affranchir des règles morales en vigueur. Dans les deux cas, les réalisateurs se font les porte-parole de cette volonté de libération. 

Dominique est venue voir une dernière fois Gilbert 

Le film fut un triomphe commercial, en France et dans le monde entier, en France un peu moins que Le salaire de la peur, mais ce fut le deuxième box-office de la carrière de Clouzot. A l’étranger, aux Etats-Unis surtout, par contre il consolida l’importance de Brigitte Bardot comme vecteur de l’émancipation. Mais s’il fit beaucoup pour la gloire de cette actrice, celle-ci en ressentit le contrecoup, sombra dans une longue dépression et fit même une tentative de suicide, comme si elle avait épousé bien au-delà des nécessités du tournage le personnage de Dominique. Clouzot ne sortit pas indemne non plus de ce succès. Ce fut son dernier grand film, Vera sa femme décéda un mois après la sortie du film, et lui aussi sombra dans la dépression. A part les couillons des Cahiers du cinéma et de la Nouvelle Vague, la critique fut plutôt bonne, d’autant qu’elle n’avait pas cru jusque-là au talent de Brigitte Bardot. Certes certains aspects du film comme la description de la vie des jeunes à Saint-Germain-des-Prés ont assez vieilli, mais dans l’ensemble c’est un très bon film noir et un très bon Clouzot. 

Excédée par les paroles qu’il lui a criées, Dominique tire sur Gilbert  

Clouzot avait essayé Belmondo dans le rôle de Gilbert, mais le trouvant trop sûr de lui, il l’écarta