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L’exécuteur, Shot Caller, Roy Roman Waugh, 2017
C’est un film qui m’avait échappé à sa sortie. Il est vrai qu’il a connu des avatars nombreux et variés. Tourné en 2015, il ne sortira qu’en 2017. Roy Roman Waugh brasse de film en film toujours un peu les mêmes thèmes. Le très bon Felon, sorti en 2013 c’était déjà un film de prisons sur la dureté de la condition à vivre et donc sur la nécessité de trouver des alliances et de tenir son nez propre pour seulement survivre. Snitch développait le thème d’un infiltré qui va détruire un gang de trafiquant de drogue. Ce sont toujours des films très durs, mais il semble que Shot caller soit celui qui aille le plus loin. C’est noir et définitivement sans espoir. Rien ne peut ralentir la chute du héros, mais comme on va le voir, c’est dans cette chute qu’il trouve sa propre réalisation. Il y a aussi du Edward Bunker dans les films de Roy Roman Waugh.
Money rencontre Shotgun pour organiser l’échange des armes contre de l’argent
Jacob Harlon est un jeune père de famille a qui tout réussi. Il a une situation enviable, une femme qu’il aime et un petit garçon. Il n’est ni arrogant, ni méchant. Mais en ramenant des amis chez eux, il a un accident. Son ami meurt dans l’accident. Et comme il a de l’alcool dans le sang, il va être très lourdement condamné. Il se retrouve dans une prison très dure où seuls les plus durs survivent. Il va rapidement faire ses preuves et se lier avec un gang suprémaciste qui fait la loi dans la prison. Il leur rend service parce qu’il est bon en informatique et le gang peut ainsi faire prospérer son trafic, même depuis la prison. Mais ce faisant, au cours d’une bagarre entre gangs, il va tuer un autre prisonnier. Sa charge va être alourdie. Il rompt les relations avec sa femme et son fils. A sa sortie de prison, il a fait dix ans, il doit rendre un ultime service à The beast et organiser un trafic d’armes. Mais il est sous la surveillance de la police. En fait si la police le surveille, c’est parce qu’elle a une taupe au cœur du gang, Shotgun. Rusant avec Shotgun et la police. Il va tuer Shotgun qui a trahi, mais il va faire tomber le gang : son but ultime est de retourner en prison pour tuer The beast qui a menacé de s’en prendre à son ex-femme et à son fils.
Le policier Kutcher tente de piéger Money
Cette trame légère, écrite d’ailleurs par Roy Roman Waugh, ne manque pas d’incohérences. Mais c’est plutôt dans le traitement du sujet que ça devient intéressant. Il y a d’abord la violence, non seulement les scènes d’action, mais aussi la violence qui ressenti par Jacob lorsqu’il se retrouve enfermé avec de dangereux criminels. Le plus curieux est sans doute la transformation de Jacob. Il se transforme en deux sens d’abord en devenant pour survivre un guerrier, mais on comprend qu’il retrouve au fond de lui mêmes des tendances meurtrières qui étaient enfouies, car il devient un tueur. Si la cause de son incarcération est l’accident, ensuite, il assassine de sang froid au moins trois personnes. Ensuite, en devant indifférent à sa famille, même s’il s’efforce de la protéger de loin en loin. La société l’avait policé et rendu présentable, la prison révèle ce qu’il est. Il accepte relativement bien son sort, car non seulement il culpabilise de l’accident qu’il a causé, mais en outre, il trouve en prison une liberté qui ne peut pas exister ailleurs ! C’est sans doute cet aspect de cette parabole qui est intéressant. En se coupant de la société « normale », en affrontant des bêtes sanguinaires, il rejoint une contre-société avec ses règles et ses obligations. Et cette forme de société au fond en vaut bien une autre. Il refusera de trahir le gang alors qu’il pourrait sortir de prison, il préfère rester avec les tatoués comme lui. Le fait qu’il ait tué The beast, tout de même le caïd de la prison, dans un affrontement sanglant, lui permet d’atteindre ainsi une forme de sérénité qu’il n’aurait pu atteindre dans la société normale où tous les jours il faut se battre d’une manière sournoise pour conserver ses acquis. En prison, il lit, il médite, il vit de rien, ne consomme pas. Par contre comme les autres prisonniers il cultive et entretient son corps qui est sa seule assurance de survie.
A son arrivée en prison, Jacob doit s’imposer
Le comportement fatal de Jacob le mène directement à la solitude. Il n’y a plus de place ni pour l’amour, ni pour l’amitié, ce qui donne une sécheresse de ton et d’âme à l’ensemble qui est assez impressionnante. Tout n’est pas parfait dans ce scénario. Le personnage du policier Kutcher ne sert pas à grand-chose finalement, il est trop ou pas assez développé. On a l’impression qu’on va vers un affrontement entre Money et Kutcher, mais non, Money est le chef d’orchestre, et Kutcher une simple pièce rapportée. Il n’a pas de personnalité particulière. La fin est également tirée par les cheveux, ça parait très compliqué de commettre des meurtres et de balancer indirectement un gang pour pouvoir régler son compte à The beast, d’autant que les raisons de cette volonté ne sont pas très claires. Le rend-il responsable de sa longue incarcération ? Veut-il prendre sa place comme caïd de la prison ? les rapports entre J, sa femme et son fils ne sont pas très clairs non plus. Sa femme le soutient pendant longtemps, puis elle demande le divorce sans qu’on comprenne trop pourquoi. En revanche les rapports entre prisonniers sont développés d’une manière intéressante. The beast dira que plus « on » les enferme, et plus ils ont de pouvoir de conduire leurs propres affaires comme ils le veulent. Il dit ça alors qu’il est enfermé dans une cage, et que les seules relations qu’il peut avoir avec l’extérieur dépendent de la corruption des gardiens.
Jacob ne veut pas que Kate espère quelque chose de lui
La réalisation est un peu chaotique, je veux dire hésitante dans le style. Certaines scènes de violence sont excellentes, notamment la bataille entre les gangs rivaux, mais les meurtres de Money sont un petit peu filmés de trop près et manque d’une chorégraphie plus précise, le découpage saccadé n’arrange rien. Les cages de l’isolement sont impressionnantes. Il y a d’ailleurs une représentation très particulière de la prison, ce sont des locaux plutôt propres et aseptisés. S’il y a une misère ce n’est pas celle-là. Heureusement les gardiens sont corruptibles, sinon ce serait insupportable. Il y a de très bonnes séquences dans les affrontements larvés entre les prisonniers, on comprend que Money est sur le fil du rasoir, il ne peut pas être trop irrespectueux, mais en même temps il ne peut pas non plus jouer la soumission. On remarquera que la scène entre Kate et Jacob dans la cafétéria parait inspirée par le fameux tableau de Hopper, Nighthowks. Globalement la transformation de Jacob en Money, est très réussie. Si ce n’est que parfois la moustache parait sur le point de se décoller !! On peut regretter qu’il n’y ait pas vraiment de question sur la vie sexuelle des prisonniers. On verra seulement un jeune noir se faire violer par les siens. Sur le plan du récit, ce sont des flash-backs emboîtés, des allers-retours entre le présent et le passé, avec la question de savoir comment pas à pas, Jacob a pu sombrer dans cette violence. La façon dont c’est filmé est assez anachronique, on dirait les années quatre-vingts, les costumes, les voitures. Mais rien n’est précisé. On verra les Harlon vieillir à peine avec quelques cheveux blancs.
Dans la prison les gangs s’affrontent violemment
La distribution est elle aussi assez partagée, Nicolaj Coster-Waldau est Jacob Harlon. Il est très convaincant que ce soit dans les scènes d’action où il met en avant un physique impressionnant, ou dans les scènes plus intimes quand il laisse pointer son désarroi d’avoir finalement tout perdu. Lake Bell est très bien dans le rôle de Kate, l’épouse fidèle et attentionnée, sorte de Pénélope des temps modernes, l’espoir en moins cependant. Plus problématique est le raide Omari Hardwick dans la peau du policier Kutcher. Il n’est manifestement pas dans le coup, fronce les sourcils à contretemps. Les gangsters sont mieux, bien mieux, à commencer par Jon Bernthal qui est Shotgun. Bien que sa confession finale soit assez téléphonée, il est très présent dans le rôle du traitre apeuré par son audace de trahir un gang puissant qui lui collera une cible dans le dos à la première faute. Mais de façon plus générale les gangsters sont plutôt bons, que ce soit Evan Jones dans le rôle de Chopper, ou Emery Cohen dans celui d’un soldat démobilisé qui se retrouve presque par hasard dans un trafic d’armes qui le dépasse.
Jacob est conduit à l’isolement où il va retrouver The beast
C’est un vrai film noir, avec un ton désespérant au possible. Bien qu’il n’ai pas eu trop de succès à sa sortie, il a maintenant pris le statut d’un film culte. C’est ce qui va lui permettre de se faire embaucher pour tourner Angel has fallen, film à gros budget. C’est le troisième opus de la série Fallen, et ce sera aussi son plus gros succès. Notez qu’avant de passer à la réalisation Roy Roman Waugh travaillait comme cascadeur, c’est peut-être ce qui explique qu’il aime les scènes d’action. Les Américains ont fait du film de prison un genre à part dans lequel ils excellent. Sans doute est-ce la contrepartie d’avoir prétendu créer un pays de liberté, comme s’ils redoutaient d’en être finalement privés. Mais il est remarquable qu’ils arrivent toujours à se renouveler dans le genre.
Money tue The beast
« De quelques études récentes sur Frédéric Dard dit San-AntonioLutte sans merci, 13 West Street, Philip Leacock, 1962 »
Tags : Roy Roman Waugh, Nicolaj Coster-Waldau, Lake Bell, film noir, film de prison
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