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Lutte sans merci, 13 West Street, Philip Leacock, 1962
Michael Winner n’a rien inventé avec son personnage de justicier incarné par Charles Bronson. 13 West Street croise en effet deux genres : le film noir sur la jeunesse délinquante et le film de vengeance d’un homme ordinaire qui a été maltraité sans raison apparente et qui trouve que la justice et la police ne font pas assez d’efforts et doivent trop respecter les protocoles de la procédure judiciaire. Le film a été tourné en 1961, ce qui veut dire qu’il est à la fois à la fin du cycle sur la jeunesse délinquante, et au tout début de celui qui va renouveler le film noir en l’amenant vers une violence de plus en plus crue. Le scénario est signé Bernard Schoenfeld qui avait travaillé sur plusieurs films noirs, dont Phantom lady de Robert Siodmak, The dark corner d’Hdenry Hathaway et aussi sur l’excellent Caged de John Cromwell. L’ensemble est basé sur un ouvrage de Leigh Brackett, elle-même romancière, surtout de science-fiction, et scénariste. Elle a travaillé entre autres sur plusieurs films d’Howard Hawks, mais aussi sur la première version de Stars wars, The Empire strikes back. Le film est produit par Alan Ladd lui-même. Ce sera son dernier rôle en vedette. Il ne jouera plus que dans un autre film, The carpetbaggers d’Edward Dmytryk, un film sous-estimé selon moi, tourné en 1964. Il décédera juste après, à l’âge de 50 ans. Il faut dire qu’il avait des problèmes sérieux avec l’alcool et il en portait les stigmates.
Walt Sherill est un homme assez ordinaire, un ingénieur qui travaille avec passion pour une agence spatiale. Il rentre souvent tard le soir. Et justement un soir où il rentre chez lui, il tombe en panne d’essence. Pour son malheur il croise une bande de jeunes qui vont le rouer de coups et l’envoyer à l’hôpital, sa jambe est cassée, mais il veut reprendre rapidement le travail. Pendant ce temps l’inspecteur Koleski de la brigade des mineurs est chargé de l’enquête qu’il mène à partir des maigres indications que lui a fournies Walt. Mais il progresse difficilement, notamment parce que ce sont sans doute des enfants de bonnes familles. Walt enrage de ces lenteurs et commence à être perturbé dans son travail. Koleski a une piste, à partir d’un bar où les jeunes ont eu une altercation avec des ouvriers. Un autre soir, Walt croit apercevoir la voiture de ceux qui l’ont tabassé. Il la poursuit, mais c’est une erreur, c’est seulement une toute jeune fille sans histoire. La police l’arrête et Walt passe la nuit en prison. Koleski le fait sortir mais le prévient qu’il ne veut plus le voir entre les pattes. Finalement le policier remonte la piste des jeunes lycéens qui ont agressé Walt. Mais il a du mal à les confondre, leurs parents leur fournissant des alibis. Bientôt il est assez clair que la bande est mené par Chuck, un jeune homme violent et arrogant. Mais lui aussi a un alibi. Comme les jeunes n’apprécient pas d’être soupçonnés par la police, ils commencent à s’en prendre à la femme de Walt qui a peur. Walt a été mis à pied par son employeur, et il s’est acheté un revolver. Il part à la chasse lui-même, et en pistant le jeune Bill, il pousse celui-ci à se suicider. Walt a mis aussi un détective sur l’affaire. Celui-ci va suivre les jeunes délinquants, mais il va décéder dans un accident de voiture provoqué par Chuck. Les amis de celui-ci commencent à prendre peur et se désolidarise de leur leader. Mais Chuck va se rendre chez les Sherill pour y attendre Walt. Il menace de violer sa femme. Mais la peur de la police le fait fuir à nouveau. Il espère se réfugier chez sa mère, cependant Walt l’a précédé. Il l’attend et lui donne une raclée à l’aide de sa canne. Menaçant de le noyer dans la piscine, il s’abstient de le faire au dernier moment, retrouvant sa lucidité.
Tracey soutient le moral de son mari après son attentat
Le propos du film est bien plus ambigu que par exemple celui des films de Michael Winner avec Charles Bronson, où il s’agissait de substituer la vengeance individuelle aux carences de la police et de la justice trop favorable aux délinquants. Le film ne donne pas raison à la volonté de vengeance de Walt. Au contraire, elle le désigne comme un provocateur. Certes on comprend bien les raisons qu’il a d’agir, et l’impatience qu’il manifeste pour que les jeunes délinquants soient coffrés, mais on retombe toujours sur l’idée qu’il n’est pas conforme à la morale ordinaire que de se venger soi-même. Et d’ailleurs Walt en prendra conscience au moment fatidique. Sans doute que l’aspect le plus intéressant du film réside dans le portrait des jeunes délinquants. D’une part ils sont clairement les enfants de la société de consommation, capricieux, ne supportant guère que le monde leur résiste. Ils appartiennent à une classe aisée et ne semblent manquer de rien. D’autre part, ils sont marqués par une absence d’autorité paternelle. Les parents de Bill sont morts, le père de Chuck n’est pas là, et Everett bénéficie d’un laxisme particulier de ses deux parents. Ils sont donc à la dérive. Koleski est un policier de la brigade des mineurs qui tente de justifier le fait qu’il n’est pas tout à fait un policier comme les autres car les jeunes délinquants ne sont pas forcément des criminels endurcis. Il repère d’ailleurs très vite que seul Chuck est perdu.
Les parents d’Everett mentent pour disculper leur fils
La réalisation de Philip Leacock est plus problématique. C’est un film à petit budget. Il y manque sans doute une unité de ton. Mais il est clair qu’il est à la recherche d’une nouvelle forme de film noir qui intègre de nouveaux types d’images sans en renier l’héritage. Si on retrouve les jeux d’ombres et de lumière dans des endroits fermés, le film utilise abondamment les extérieurs et notamment les maisons individuelles qui isolent les individus les uns des autres. C’est ainsi que la jolie petite maison des Sherill devient le lieu de l’enfermement et son ouverture sur l’extérieur fragilise ses occupants. Tracey, la femme de Sherill, commence à paniquer dans cette situation où elle se sent vulnérable. Walt dans sa voiture en panne sur un boulevard déserté, est également en danger dès qu’il sort de cette enveloppe de fer. Malgré le côté un peu décousu, il y a des très bonnes séquences, le plus souvent quand Walt est confronté à la bande de Chuck. Par exemple la première fois qu’il les rencontre dans cet endroit déserté et déshumanisé. Ou lorsqu’enfin il rattrape Chuck et lui donne une raclée avec sa canne. Une des bonnes idées du film est de voir le héros agir alors qu’il est handicapé. C’est d’ailleurs un des tics du film noir que de mettre en scène des personnages amoindris, estropiés, ce qui leur enlève un peu de leur humanité tout en les rendant plus fragiles. On aura droit aussi aux courses de voitures puisque c’est un film de jeunes ! Mais ce n’est pas du tout la meilleure partie de ce film.
Koleski a sorti Walt de prison
Le film est construit sur l’opposition entre le nerveux Walt Sherill assoiffé de vengeance et le policier Koleski qui fait preuve de patience et de ténacité. Alan Ladd apparait ici complètement usé et sans ressort, mais après tout le personnage s’y prête. Rod Steiger est plutôt moins cabotin que d’ordinaire, il arrive à faire tenir debout un personnage de flic qui ne se laisse pas aller à la haine et qui comprend aussi bien le point de vue de Walt que celui des jeunes. On retrouve la belle Dolores Dorn dans le rôle de Tracey. Elle est excellente, et on se demande pourquoi elle n’a pas fait une meilleure carrière sur le grand écran. On peut la voir aussi dans Underworld USA[1] où elle était remarquable. Sans doute n’avait elle pas le genre de beauté hollywoodien un peu standardisé qu’on recherchait à l’époque. Les jeunes sont moins bien dessinés. Michael Callan dans le rôle de Chuck, le cruel chef de bande, n’est pas très convaincant. Il est facilement dominé par Dolores Dorn quand ils doivent s’affronter dans la maison vide des Sherill.
Walt subit une deuxième attaque
C’est un film oublié qui n’a guère eu de succès à sa sortie. Et c’est déjà très bien qu’on puisse, grâce aux vertus de la numérisation, le revoir dans de bonnes conditions. Il prend sa place dans la longue file des films de jeunes qui vont de The wild one de Laszlo Benedek jusqu’à Lady in a cage[2], en passant par Rebel without cause ou Crime in the streets de Don Siegel. Tous ces films qui montrent à la fois que la jeunesse est un danger pour l’ordre social, et que les adultes finalement ne peuvent pas la comprendre malgré leurs efforts. Si ce n’est pas un très grand film, il vaut tout de même le détour.
Chuck veut violer Tracey
Walt épargnera Chuck
« L’exécuteur, Shot Caller, Roy Roman Waugh, 2017Brooklyn, affairs, Motherless Brooklyn, Edward Norton, 2019 »
Tags : Philip Leacock, Alan Ladd, Rod Steiger, noir, bande de jeunes
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