• L’homme au chewing-gum, Manhandled, Lewis R. Foster, 1949

     L’homme au chewing-gum, Manhandled, Lewis R. Foster, 1949

    Si ce film a été tourné dans la haute période du cycle classique du film noir, il n’en est pourtant pas un, même s’il en emprunte certains traits, que ce soit dans la manière de filmer ou dans la conduite du récit proprement dite. A vrai dire ce petit film emprunte à de nombreux sous-genres du film policier, il tient du film de détective, du récit à énigme et un peu du suspense. Il est vrai que le scénario est assez paresseux et ne prend guère le temps d’approfondir quoi que ce soit. Lewis R. Foster, un vétéran qui avait commencé sa carrière à l’époque du muet, n’a pas laissé grand-chose à la postérité, et je crois bien que c’est Manhandled qui est son œuvre la plus connue, pour le reste il a beaucoup travaillé dans le genre film d’aventures, il fera aussi quelques western avec Ronald Reagan puis il se recyclera à la télévision. Pour sa défense on pourra toujours dire qu’il n’a jamais travaillé sur des films à gros budget. Mais si on ne lui a jamais confié des projets très ambitieux, c’est peut-être aussi qu’on connaissait ses limites sur le plan de la maitrise technique. Ici il a participé à l’écriture du scénario et donc il se trouve dans le statut d’auteur complet. 

    L’homme au chewing-gum, Manhandled, Lewis R. Foster, 1949 

    Benson s’ennuie dans sa chambre et échafaude des plans pour devenir riche 

    Alton Bennett fréquente un psychiatre auquel il fait part de ses rêves récurrents où il se voit en train de tuer sa femme pour lui dérober ses bijoux. Il faut dire qu’il a de sérieux problèmes d’argent et qu’il peine à obtenir une avance de son éditeur. Le docteur Redmond, assisté de la belle Merl Kramer, prend des notes sur ces idées qu’il juge loufoque. Il décide cependant de rencontrer la femme de Bennett le soir même. Avant de repartir travailler pour le docteur Redmond, Merl revient chez elle pour dîner, elle croise le détective privé Benson qui lui fait du charme et qui se fait inviter à dîner. Benson profite d’un moment d’inattention pour dérober les clés du bureau du docteur Benson et pour les faire reproduire. De son côté Bennett se dispute avec sa femme qui vient le narguer au bras de son amant, Guy Bayard. On comprend que c’est une femme volage. Redmond cependant va mettre en garde Ruth Bennett. Celle-ci est inquiète, mais elle rentre finalement se coucher, après s’être disputée avec Guy Bayard. Au matin on trouve le corps de Ruth Bennett étendu, elle a été tuée comme dans le rêve de son mari. La police sous la direction de Dawson enquête, l’agent des assurances, Joe Cooper l’assite, car les bijoux ont été assurés pour une somme très élevée. Pendant que la police enquête, Benson tente de revendre les bijoux a un receleur qui lui déconseille de les vendre, car il sont trop connu. Pour des pièces mineures il lui donne mille dollars. Mais il y a une prime attachée à ces bijoux de 10 000 dollars. L’idée de Benson est de piéger Merl Kramer dont le passé n’est pas très clair, elle a dû fuir Los Angeles où elle a laissé aussi sa petite fille. Benson va lui confier les 1000 dollars et lui demander de les mettre sur son compte. Et pendant ce temps il va faire semblant de chercher les bijoux. En vérité ce n’est pas lui qui a tué la femme de Bennett. De Même celui-ci sera plus ou moins bien disculpé quand ses domestiques confirmeront qu’il a absorbé une grande quantité de somnifère. Dawson semble suspecter Merl, tandis que Cooper émet de sérieux doute, même quand il apprend qu’elle a fait de fausses références pour obtenir l’emploi chez le docteur Redmond. En fait c’est le docteur Redmond le coupable, mais après avoir tué Ruth Bennett, il s’est fait dépouiller par Benson. Comme il l’essaie de le faire chanter, celui-ci le tue et abandonne son corps au fond d’une ruelle sombre. Mais Merl commence à comprendre les manigances de Benson et menace de la dénoncer. Celui-ci va tenter de la tuer en la jetant du haut de l’immeuble, mais Cooper arrivera à temps. 

    L’homme au chewing-gum, Manhandled, Lewis R. Foster, 1949

    Benson tente de revendre les bijoux volés 

    Une analyse très superficielle de ce film pourrait nous conduire à le trouver sans intérêt : les rebondissements sont assez convenus, et surtout les caractères ne sont pas très approfondis, à l’exception de Benson. Par exemple le scénario abandonne en cours de route l’écrivain Bennett qui paraît disculpé sans plus de question, alors même que Cooper soulève l’idée qu’une prise de Benzédrine pourrait très bien annihiler les effets des somnifères, et donc que dans cet univers relativement clos de la maison des Bennett, il est forcément suspect. Mais le film a un autre intérêt. D’abord la quasi-totalité des protagonistes sont soit des imbéciles, soit des escrocs. Benson est un détective privé peu reluisant, Redmond est un faux psychiatre qui a compris que ce métier était une farce et qu’il pouvait en profiter. Mer elle-même semble se trimballer un lourd passé – mais on ne saura jamais de quoi il retourne. Et puis il y a Ruth Bennett qui est ouvertement une femme adultérine qui passe son temps à provoquer son mari, comme si elle voulait qu’il la tue. Son mari, incapable d’affronter la page blanche, cherche aussi désespérément de l’argent car il vit sur un pied très élevé avec deux domestiques, une femme dépensière et une maison luxueuse. Le nonchalant Cooper lui ne pense qu’à Merl qui l’a séduit au premier coup d’œil, et s’il considère qu’elle n’est pas coupable, ce n’est pas à cause de son analyse approfondie de la situation, mais parce que son intuition, ou son désir, l’amène à décider qu’elle ne peut pas être coupable. Dans cette confusion des sentiments, on parle évidemment beaucoup d’argent, soit parce qu’on n’en a pas, soit parce qu’on en cherche. Le receleur n’est pas plus honnête, non seulement il traficote avec Benson, mais il n’hésitera pas à le dénoncer à la police. 

    L’homme au chewing-gum, Manhandled, Lewis R. Foster, 1949 

    Cooper et Dawson interrogent Bennett 

    La conduite du récit emprunte de nombreux traits au film noir : d’abord l’usage des flash-backs qui permet à chacun de raconter sa version de ce qui s’est passé durant la nuit du meurtre. Ensuite dans l’utilisation des rêves qui deviennent par la force des choses une réalité. Il y a là quelque chose d’ironique, comme une moquerie envers les maladresses d’Hitchcock qui l’année d’avant avait produit Spellbound. Le film avait eu beaucoup de succès, mais en même temps il avait suscité beaucoup de moqueries eu égard la présentation des techniques psychanalytiques. A l’époque c’était assez à la mode de parler d’inconscient et de rêve. C’était une manière de définir le criminel comme irresponsable. Mais la psychanalyse suscitait aussi beaucoup de controverses, ce n’est donc pas un hasard si on choisit ici de présenter le docteur Redmond comme un escroc, c’est toute la profession qui est ainsi visée. Certes c’est fait sur le mode de l’ironie, mais il n’empêche. L’intérêt du film réside dans cette volonté de retourner les codes du film noir. Certes avant ce film les détectives privés n’étaient pas toujours d’une grande honnêteté, mais ils n’étaient pas de véritables canailles s’efforçant de faire condamner des innocents. La police est présentée comme particulièrement inefficace. Mais l’écrivain ne vaut guère mieux, c’est une carricature. Les femmes ne sont plus des femmes fatales, mais des garces. Bref c’est un portrait au vitriol d’une Amérique qui joue à faire semblant. Deux ou trois les protagonistes de l’histoire côtoieront des gens ordinaires et simples, les marchands de fleur, le chauffeur de taxi, ou encore le personnel du restaurant italien. C’est un contrepoint pour montrer que finalement le petit peuple des travailleurs vaut bien mieux que toute cette faune qui se pousse du col. C’est que le scénariste n’est pas n’importe qui, il a fait une petite carrière dans le roman noir, mais il a écrit aussi les scénarios de Have or have not d’Howard Hawks, mais aussi de Blonde Ice de l’excellent Jack Bernhardt[1]. Et donc on peut supposer que la mise à distance est tout à fait intentionnelle. 

    L’homme au chewing-gum, Manhandled, Lewis R. Foster, 1949 

    Benson veut compromettre Merl 

    Malgré tout cela la réalisation ne brille pas par son originalité. La mise en scène est très statique, il y a peu de mouvements d’appareil. La photo d’Ernest Laszlo est bonne, il faut dire que ce photographe n’est pas n’importe qui, il avait travaillé dans le noir, on le retrouve au générique d’Impact, de Cover up, et il sera le photographe de D.O.A. de Rudolph Maté. Plus tard il travaillera avec Robert Aldrich sur The big knife et Kiss me deadly. Il y a donc quelques plans très travaillés, comme ceux qui concernent le restaurant italien, ou les jeux d’ombres dans les escaliers. Bien que ce soit du studio, il y a quelques scènes de rue assez bien rendues. Foster joue également sur les différences de taille entre ses différents acteurs, donc il utilisera des plans d’ensemble où la haute taille de Sterling Hayden et celle de Alan Napier vont s’opposer à la petite hauteur d’Art Smith. Cela donne un côté un peu grotesque au film d’ailleurs. Mais il y a très peu de scènes mémorables. Peut-être peut on retenir tout de même la visite de Benson chez le recéleur. Même l’affrontement dramatique final entre Merl et Benson en haut de l’immeuble n’arrive pas à nous faire hurler de peur. Cela vient sans doute d’un défaut de découpage, et peut être de la volonté des producteurs de ne pas multiplier les prises. 

    L’homme au chewing-gum, Manhandled, Lewis R. Foster, 1949

    Cooper a invité Merl au restaurant italien 

    L’interprétation est normalement le clou du film. A cette époque Dorothy Lamour est très célèbre. Actrice d’une beauté un peu atypique, elle a été souvent confinée dans des rôles exotiques. Evidemment avec un nom comme ça elle ne pouvait qu’être destinée au cinéma ! Evidemment son nom n’était pas Lamour, mais elle avait pris le nom de son beau-père, Lambour, et l’avait arrangé à sa façon. Dans le rôle d’une dactylo, une petite secrétaire, prolétaire en quelque sorte, elle est curieusement assez transparente. Bien qu’elle soit en haut de l’affiche, son rôle est moins important que les autres, elle a l’air de s’ennuyer. Même chose pour Sterling Hayden, lui qui est si présent dans les films noirs, il semble également traîner son ennui. Il n’intervient d’ailleurs que pratiquement vers la moitié du film, et encore sans faire trop de choses. La véritable vedette du film c’est Dan Durya. Ce n’est pas étonnant. Il a bien compris que les méchants se font d’autant remarquer qu’ils sont vraiment incompréhensibles. En 1947, c’est Richard Widmark dans Kiss of death d’Henry Hathaway qui en avait fait la démonstration en poussant une paralytique avec son fauteuil dans les escaliers. Dan Durya trimbale une élégance tout à fait similaire, mais en quelque sorte il est trahi parce qu’il mâche du chewing-gum. L’homme au chewing-gum, c’est lui. On le verra dans une scène qui rappelle la solitude du Samouraï de Melville en train de regarder un malheureux hamster en train de pédaler dans sa cage. Cette référence était sans doute reliée à This gun for hire, une autre source du Samouraï qui en a décidément beaucoup. Art Smith, un habitué de ce genre de rôle, est le policier qui ne comprend pas grand-chose, il est très bien, comme d’habitude. Celui qui se fait bien remarquer, dans le bon sens du terme, c’est Alan Napier dans le rôle de Bennett, cet écrivain compassé et tourmenté. Il est dommage qu’on le laisse en plan. Les autres acteurs ne sont ni bons ni mauvais, ils tiennent leur place. Le chafouin Harold Vermileya qui ressemble beaucoup à J. Edgar Hoover, prête ses traits au petit docteur escroc. La belle Irene Hervey interprète l’adultérine Ruth Bennett avec suffisamment de vulgarité pour être crédible.   

    L’homme au chewing-gum, Manhandled, Lewis R. Foster, 1949

    Cooper et Dawson cherchent Benson 

    L’ensemble laisse un goût un peu étrange. On se demande si tout ça est bien sérieux, mais on se prend tout de même à suivre l’histoire, il est vrai que les rebondissements sont suffisamment nombreux pour retenir notre attention. L’histoire du cinéma ne l’a pas retenu. Mais il mérite bien un petit détour tout de même. Par contre, il est très difficile aujourd’hui d’en trouver une bonne copie sur le marché. Et selon moi, ce film mériterait bien une ressortie dans de bonnes conditions. Encore qu’il ne soit pas certain qu’il existe une copie propre à partir de laquelle on pourrait faire un bon DVD. 

    L’homme au chewing-gum, Manhandled, Lewis R. Foster, 1949 

    Le docteur Redmond menace Benson 

    L’homme au chewing-gum, Manhandled, Lewis R. Foster, 1949

    Benson veut tuer Merl

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