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L’homme léopard, The leopard man, Jacques Tourneur, 1943
C’est la troisième et dernière collaboration entre Jacques Tourneur et Val Newton. C’est encore un film B pour la RKO. Un film court, à peine plus d’une heure, une histoire simple et ramassée, des acteurs de seconde catégorie. Bien que l’histoire soit fondée sur un roman noir de Cornell Woolrich (William Irish) – Black alibi, le film, la bande de présentation comme l’affiche, cherche à jouer sur l’ambiguïté entre film noir et film d’épouvante. Sans doute l’idée est de rappeler le public au bon souvenir de Cat people qui fut un grand succès, et du reste on retrouve dans ce film la même panthère qui portait le nom de Dynamite. Mais cette ambigüité ne dure pas longtemps, il s’agit bien d’un thriller et pas vraiment d’un film noir par sa thématique, bien que l’esthétique soit celle d’un film noir. Pour un film de série B, il a bénéficié d’un budget relativement confortable, autour de 150 000 $, tandis que les films noirs fabriqué par les studios indépendants tournaient plutôt autour de 35 000 $. Le scénario est signé Ardel Wray qui signera quelques scénarios de films noirs, comme I walked with a zombie de Jacques Tourneur, ou Isle of the dead de Mark Robson. Ces films sont tous des productions de Val Newton. Par la suite il ira exercer ses talents à la télévision.
L’action se passe au Nouveau Mexique. Une troupe de saltimbanques a du mal à se faire une place au soleil et se donne en spectacle dans des endroits peu rémunérés. Aussi Jerry Manning le manager a l’idée curieuse de faire de la publicité en demandant à Kiki, avec qui il est plus ou moins fiancé, de se promener entre les spectateurs en tenant en laisse une panthère noire. Mais Clo-clo, une joueuse de castagnettes, ne supporte pas d’avoir été interrompue dans son numéro, et effraie la panthère qui s’enfuit dans la nuit. Tout le monde se lance à sa poursuite, sans succès. Charlie, son propriétaire, qui a prêté sa bête à Jerry lui réclame 200 $. Mais à partir de là une série de meurtres va être commise. C’est une jeune fille qui a donné un rendez-vous à son fiancé dans un cimetière qui est assassinée, puis c’est au tour de Teresa qui doit aller chercher de la farine pour faire des tortillas pour son père de se faire déchiquetée. La manière dont ces filles sont mortes font penser à l’action d’une panthère. Jerry va donc s’enquérir de cette possibilité auprès du docteur Galbraith qui est par ailleurs directeur du musée. Celui-ci va laisser entendre que c’est peut-être Charlie qui est l’assassin. Profondément troublé Charlie demande à ce qu’on le mette en prison car après tout il aurait très bien pu commettre ces meurtres sous l’emprise de la boisson et ne plus s’en souvenir. Jerry est persuadé que la panthère n’est pour rien dans ces crimes. Cependant pendant que Charlie est incarcéré, Clo-clo se fait à son tour assassinée, après que la diseuse de bonne aventure lui ait prédit les pires calamités. Charlie est donc libéré. On va retrouver cependant le cadavre de la panthère noire, tuée d’une balle dans le crâne. Dès lors Jerry et Kiki vont mettre au point un plan pour démasquer le coupable. Ils vont défier le docteur Galbraith, puis le poursuivre et le rattraper après une course poursuite au milieu d’une procession qui commémore la destruction du village par les Conquistadors. C’est le fiancé de Consuelo qui l’abattra finalement après qu’il se soit confessé, lui évitant ainsi un procès.
Kiki tente de faire de la publicité avec une panthère
L’histoire est assez invraisemblable, on ne cherchera donc pas le réalisme de situation. Et d’ailleurs à la fin on ne comprendra pas très bien les motivations profondes de Galbraith, non seulement parce qu’il tue, mais encore parce qu’il camoufle ses crimes derrière un animal. Jacques Tourneur lui-même considérait que le scénario ne tenait pas debout. Evidemment les victimes n’étant que des femmes, on se demande si finalement elles ne sont pas à la recherche des ennuis : Consuelo va à un rendez-vous avec son fiancé dans un cimetière, contre l’avis de sa mère, en outre lorsque le gardien annonce d’un coup de sifflet qu’il va fermer les portes, elle ne l’entend pas et se retrouve enfermée ; Clo-clo erre dans les ruelles sombres de la ville, toujours à la recherche d’argent, quant à Teresa, c’est sa mère qui la pousse à aller dans la nuit se faire occire. Elle sera assassinée presque devant sa mère et son petit frère parce que sa mère n’arrive pas à ouvrir la porte sur laquelle Teresa tambourine. Kiki est présentée aussi comme une femme un peu légère, après tout c’est elle qui déclenche les assassinats parce qu’elle n’est pas capable de tenir la panthère en laisse. Le personnage masculin le plus important est évidemment Jerry, mais il n’est guère attachant, on a du mal à comprendre ses déterminations, il apparait plutôt irrésolu. Reste peut-être le principal de ce film : l’attraction que la panthère peut exercer sur l’être humaine en tant que symbole sexuel, comme dans Cat People. Notez que s’il y a une hybridation entre film noir et film d’horreur, il y a aussi la mise en scène d’une hybridation culturelle entre le Mexique et les Etats-Unis. Ce tropisme mexicain est très courant à l’époque et il correspond d’ailleurs en même temps avec le développement d’une cinématographie mexicaine très riche sur laquelle viendra se greffer ultérieurement Luis Buñuel. Les Mexicains sont comme souvent représentés comme des gens plus simples et plus vrais que les Américains, un peu naïf aussi et du reste Tourneur ne peut pas s’empêcher de porter un regard un peu condescendant sur ce peuple.
Consuelo attend son fiancé dans un cimetière
Le principal attrait de ce film est la mise en scène. Même si elle est moins brillante que dans Cat people, elle contient des scènes excellentes. La peur qui s’empare de Consuelo au cimetière, le rythme de la marche de Clo-clo quand on comprend qu’elle est poursuivie. Pour moi le clou reste une des scènes finales quand Jerry poursuit Galbraith et que celui-ci va se mêler à la foule processionnaire. On atteint une intensité qui manque le plus souvent au film. Tourneur est un maître pour faire ressentir la peur avec le moins d’effets possibles. Le parcours de Teresa est exemplaire. Après avoir montré ses hésitations lorsqu’elle traverse l’arroyo en serrant contre elle son sac de farine, elle s’en va en courant jusque chez elle, mais là on verra seulement une flaque de sang qui s’étend sous la porte, et rien du meurtre, ni même de son résultat qu’on suppose tout à fait terrible et affreux. On voit donc que l’habileté de Tourneur est plus de suggérer que de montrer.
Teresa doit aller chercher de la farine dans les ténèbres
L’interprétation est plutôt faible. Dennis O’Keefe qu’on a vu plus intéressant dans les films d’Anthony Mann, incarne Jerry, mais son rôle est écrit de telle façon qu’il est en décalage avec son physique. Il est en effet très passif jusqu’à la fin du film. Or son style passe plus facilement lorsqu’il est en action. Kiki est incarnée par Jean Brooks qui a tourné dans un grand nombre de série B pour la RKO, elle était plus étrange dans The seventh victim[1]. Ici elle est plutôt fade et sourit le plus souvent à contretemps. Margo incarne Clo-clo, la joueuse de castagnettes. Elle a un physique difficile et surjoue un peu trop les scènes de peur. Le méchant, Galbraith, est interprété par James Belle qui est tout à fait crédible dans ce rôle d’un intellectuel enfermé dans ses recherches, très éloigné de la vraie vie. Du reste, il vit tout seul enfermer dans son musée. Il était déjà le docteur Maxwell dans I walked with a zombie. Lorsque l’on cessera de produire des films B, il se recyclera à la télévision. Entre temps il aura fait une apparition chez Siodmak pour Phantom lady.
Clo-Clo se fait tirer les cartes, mais elles ne sont pas bonnes
La conclusion de tout cela est que si on reconnait bien la patte de Jacques Tourneur, ce n’est pas un de ses films les plus mémorables. Néanmoins, il se voit très agréablement et n’a pas trop pris de rides. La photo est bonne, le rythme enlevé, et cela à l’avantage de ne pas durer trop longtemps ! Ce film n’a pas eu le succès de Cat people, ni même de I walked with a zombie, il est peut-être le moins bon de la trilogie pour la RKO, mais enfin il tient sa place et mérite d’être vu.
Kiki et Jerry se promettent de trouver l’assassin
L’assassin tente de se réfugier au milieu d’une procession
[1] http://alexandreclement.eklablog.com/la-septieme-victime-the-seventh-victim-mark-robson-1943-a144662906
« Vaudou, I walked with a zombie, Jacques Tourneur, 1943Benoît Tadié, Front criminel, une histoire du polar américain, PUF, 2018. »
Tags : Jacques Tourneur, Denis O'Keefe, William Irish, film noir
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