• L’impasse, Carlito’s way, Brian de Palma, 1993

    L’impasse, Carlito’s way, Brian de Palma, 1993 

    Très souvent on néglige les romanciers ou les scénaristes à l’origine d’un projet. Certes un bon roman ou un bon scénario ne fait pas forcément un bon film, mais un bon film n’existe pas sans un bon scénario. Bien plus qu’un film de Brian De Palma, Carlito’s way est d’abord un roman d’Edwin Torres, ancien juge à la Cour suprême de l’Etat de New York, lui-même d’origine portoricaine. On va en effet y retrouver l’univers des portoricains newyorkais qui était déjà celui de Q&A de Lumet. En même temps, c’est un film noir qui utilise le thème très traditionnel du gangster en voie de rédemption qui pour des tas de raisons cherche à tourner le page du gangstérisme, se refaire une nouvelle vie plus tranquille. Bien que le film soit tourné en 1993, c’est l’univers des années soixante-dix qui est mis en scène ici. Ce film est souvent salué comme un des chefs-d’œuvre de Brian de Palma, mais, comme on va le voir, si c’est un bon film, ce n’est pas un chef d’œuvre, loin de là.  

    L’impasse, Carlito’s way, Brian de Palma, 1993

    Carlito Brigante, après cinq années passées en prison pour trafic de stupéfiants, va retrouver la liberté grâce à son avocat, David Keinfeld, qui a découvert une faute de procédure. Alors même qu’il est dans les quartiers portoricains de New York considéré comme une légende du gangstérisme, il a décidé de se ranger et de quitter le milieu pour aller louer des voitures aux Bahamas. Il va retrouver son ancienne maitresse avec qui il a eu une histoire d’amour, et avec qui il  veut quitter New York. Mais les choses sont très compliquées. D’abord c’est son cousin qui le mêle à une fusillade qui fait plusieurs morts, puis ce sera son associé qui gère la boite de nuit, qui le vole, et puis c’est son propre avocat qui, pour une sombre histoire d’aregtn détourné, l’entraîne dans une histoire d’évasion d’un grand ponte de la mafia, évasion qui tournera très mal et fera que les Italiens n’auront de cesse que d’éliminer à la fois l’avocat et Carlito. Entre temps il essaiera d’éviter les pièges qui lui sont tendus par le procureur Norwalk, et par le jeune Benny Blanco qui se sent pousser des ailes et qui affronte Carlito pour une suprématie illusoire. Tout tournera mal, et le rêve d’une vie normale de Carlito avec Gail ne restera qu’un simple rêve.

     L’impasse, Carlito’s way, Brian de Palma, 1993 

    Carlito fait un discours devant le juge pour affirmer qu’il ne veut plus faire le gangster 

    Brian de Palma abandonne ici les extravagances stylistiques de Scarface. Se rapprochant un peu plus des codes du film noir, il dresse ici le portrait d’un homme usé et mélancolique qui est en porte-à-faux aussi bien parmi les gangsters qui sont le milieu où il vient, que parmi les personnes ordinaires qui ne peuvent pas comprendre ni ce qu’il est, ni ses réactions parfois brutale. Ça commence par les images de Carlito qui vient de se faire flinguer à Grand Central. Le reste du film sera une remontée dans le temps, avec la voix off de Carlito qui commente son parcours désabusé. Il se présente lui-même comme décalé par rapport à la réalité qui l’entoure. Son retour à la liberté ne pose pas seulement des problèmes à Gail, elle en pose aussi à son propre milieu qui a besoin de lui comme un chef de bande autoritaire et cruel. Le fait qu’il ne veuille pas assumer ce rôle va causer sa perte. Il est tellement singulier qu’il apparait aussi comme le seul homme d’honneur, ne voulant surtout pas laisser tomber son avocat qui l’a fait sortir de taule.

     L’impasse, Carlito’s way, Brian de Palma, 1993 

    Carlito accompagne son cousin qui veut acheter de la drogue 

    A l’origine Brian de Palma ne voulait pas faire ce film, il est venu en remplacement d’Abel Ferrara et de John McKenzie. Il n’est donc pas à l’origine du projet. C’est Al Pacino qui l’a convaincu de le réaliser. On s’est extasié sur la technique de De Palma sur ce film. Ce n’est pas mon cas. Même si la mise en scène tient la route, on est loin de la qualité des mises en scène de Lumet. La première critique qu’on peut adresser au réalisateur, c’est une utilisation des décors urbains assez médiocre. Il n’y a pas de profondeur de champ, et les coins de rue sous la pluie sentent le studio. Quelques images échappent à cette critique, notamment quand Carlito accompagne son cousin pour aller acheter de la drogue. Et bien sûr aussi dans la scène finale à Grand Central, où le décor de la gare est très bien utilisé. Les scènes dans la boîte de nuit sont filmées d’une manière assez étriquée, sans mouvements de caméra qui permettent vraiment de saisir la profondeur du décor. Le film est aussi un peu trop long, les scènes entre Gail et Carlito sont souvent répétitives. Il y a par contre une science du montage chez de Palma qui est tout à fait intéressante, cette capacité à mêler des courts travelings avec des plans fixes. Cela est encore plus évident dans les deux scènes finales : la poursuite dans le métro, puis la fusillade au milieu de la gare. Certes on pourrait dire que cette science frise parfois un peu la maniaquerie, mais que cela soutient parfaitement l’action et emballe le suspense. Globalement, et si on le compare aux films de Lumet dont la thématique est proche, la réalisation de de Palma reste un peu trop proprette, ce qui entraîne le réalisateur à compenser ce manque par un surplus d’hémoglobine. On pourrait dire qu’il a du mal à rester dans les clous du réalisme noir. De même la dimension sociale et raciale est gommée, alors qu’elle est pourtant centrale aussi bien dans le fonctionnement des gangs portoricains que dans les affrontements avec les gangs italiens par exemple. Le parti pris d’avoir accentué la relation amoureuse de Gail et Carlito n’est pas très logique non plus, tant il est difficile de comprendre ce que Gail peut bien trouver à Carlito pour vouloir en faire le centre de sa vie. Cet aspect est pourtant compensé légèrement par les quelques rares instants qui nous montrent Gail comme une ratée qui a abandonné au fur et à mesure tous ses espoirs.

     L’impasse, Carlito’s way, Brian de Palma, 1993 

    Carlito retrouve Gail 

    L’interprétation est intéressante, c’est sans doute ce qui fait que ce film a bien passé les années. Pacino ne cabotine pas trop, il est même relativement sobre, c’est l’inverse du personnage de Scarface. Evidemment le film est fait pour lui. Barbu, affublé d’un long manteau de cuir et de bottines à talon, il montre dans son comportement tout ce qui lui reste des manières qu’il a apprises dans la rue. Il est aussi très bon dans les scènes avec Gail quand il fait preuve de tendresse et de compréhension, ce qui ne l’empêche pas de laisser parler sa nature dès lors qu’il est mis au défi de prouver qu’il est le grand Carlito. L’avocat juif est joué par un étonnant Sean Penn qui est sans doute un acteur très sous-estimé. Il s’est transformé, ici il a les cheveux frisés, des petites lunettes, il est agité de tics. Complètement sous l’emprise de la coke, il est attiré par le mode de vie des voyous et cela le conduira à sa perte. Le reste de la distribution est très bonne aussi, Penelope Ann-Miller, dans le rôle de Gail, et bien sûr les figures habituelles de gangsters dans ce genre de films, comme par exemple encore Luis Gusman qu’on a vu dans Q&A et qu’on retrouve dans le rôle de Pachanga. Viggo Mortensen, encore jeune, a un petit rôle d’un truand en fauteuil à roulettes pour cause d’accident du travail.

     L’impasse, Carlito’s way, Brian de Palma, 1993 

    Benny Blanco défie Carlito dans sa boite de nuit 

    Le film n’a pas connu un grand succès public et la critique ne l’a guère apprécié, il coïncide d’ailleurs avec le déclin d’Al Pacino qui ne retrouvera que sporadiquement le grand succès avec Heat et Donnie Brasco. C’est pourtant un film très largement supérieur à Scarface du même De Palma, et bien sûr à l’adaptation malheureuse que de Palma fit du Dahlia noir. En tous les cas Carlito’s way se revoit très bien malgré toutes remarques que j’ai faites plus haut.

     L’impasse, Carlito’s way, Brian de Palma, 1993

     Lalin est venu espionner Carlito pour le compte de Norwalk

     L’impasse, Carlito’s way, Brian de Palma, 1993 

    Une fusillade à lieu à Grand Central 

    L’impasse, Carlito’s way, Brian de Palma, 1993

    « Contre-enquête, Q & A, Sidney Lumet, 1990Requiem pour un caïd, Maurice Cloche, 1964 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :