• La mafia fait la loi, il giorno della civetta, Damiano, Damiani, 1968

    La mafia fait la loi, il giorno della civetta, Damiano, Damiani, 1968 

    Leonardo Sciascia est aujourd’hui un auteur bien oublié, mais il a été très célèbre de son vivant, om fait partie de cette cohorte d’écrivains siciliens de la région d’Agrigento qui a donné ses lettres de noblesse à la littérature italienne, Pirandello, Lampedusa, ou même encore Andrea Camilleri ! Il a cette spécificité d’avoir été très engagé à gauche, et de dénoncer la mafia et ses méfaits. Il inspirera aussi Francesco Rosi pour le très bon Cadaveri eccellenti[1]. Mais Sciascia a aussi été critiqué pour avoir été parfois un peu tendre avec la mafia et en avoir sous-estimé la nocivité. Ce ne sera pas le cas ici. C’est aussi le premier film de Damiani qui traite directement de la mafia. On comprend qu’il ait voulu s’appuyer sur un scénario qui avait fait ses preuves : le roman paru en 1961 avait eu en effet un grand succès, en Italie, mais aussi un peu partout dans le monde. En tant qu’écrivain, Sciascia est assez ambigu, et pas seulement parce qu’il a parfois du mal à dénoncer la mafia en tant que telle, les Siciliens n’aiment guère que les gens du Nord se mêlent de leurs affaires. Mais également dans le style, il traite d’histoires somme toute ordinaire dans l’univers du roman noir, mais il le fait avec un style qui frôle très souvent la préciosité. Si cela lui attire la sympathie de la critique, cela le tient aussi éloigné d’un public populaire. Mais évidemment Damiani est là pour redresser la barre et faire un film populaire.

    La mafia fait la loi, il giorno della civetta, Damiano, Damiani, 1968 

    Colasberna, un petit entrepreneur de travaux public se fait assassiner  au volant de son camion de deux coups de fusil de chasse devant la maison des Nicolosi. Personne n’a rien vu. Le capitaine des carabiniers, Bellodi, un homme intègre et déterminé, va mener l’enquête. Il soupçonne que Colasberna a été tué parce qu’il n’arrosait pas la mafia. Mais personne ne veut parler. L’affaire prend un tour encore plus grave quand on sait que Nicolosi a disparu. Or, il a peut-être été le témoin du crime. Rosa Nicolosi non plus ne sait rien. Tout va tourner autour de Don Mariano, le mafieux local qui fait la pluie et le beau temps et qui a des amis très haut placé, à Rome. C’est vers lui que Rosa se tournera pour avoir des nouvelles de son mari, mais sans succès. L’indicateur Parrinieddu semble lui aussi avoir peur, et surtout il ne dit rien de valable. Les soupçons peu à peu se portent sur Zecchinetta, un trainard qui semble impliqué dans des histoires louches et qui a touché de l’argent de Pizzuco, un affidé de Don Mariano. Rosa pousse Bollodi a retrouvé son mari, mais pendant ce temps, Pizzuco tente d’abuser d’elle. Un homme arrive chez elle en moto pour lui dire que son mari travaille à Palerme, et il lui donne de l’argent. Elle commence à penser que son mari a été tué. Elle se rend directement au domicile du capitaine des carabiniers. Bellodi, après s’être disputé avec Rosa, va mettre la pression sur Pizzuco et Zecchinetta et va obtenir des aveux, après les avoir enfermés tous les deux dans des cellules voisines, qui vont lui permettre d’arrêter Don Mariano. Mais les hommes de la mafia vont faire pression sur Rosa pour qu’elle retire ses allégations. Elle refuse attendant toujours le retour de son mari. Cependant, comme Pizzuco a fait courir le bruit qu’elle était une femme facile, elle va devenir la risée de la petite ville. Son mari ne réapparait pas. On croit le découvrir à partir d’une lettre anonyme mais en fait c’est le cadavre de Parrinieddu qui a été enfoui sous nouvelle route. Don Mariano va être relâché, le capitaine Bellodi sera muté et remplacé par un autre carabinier bien plus conciliant avec la mafia.

     La mafia fait la loi, il giorno della civetta, Damiano, Damiani, 1968 

    Bellodi tente d’interroger Rosa 

    Le sujet est relativement banal, surtout pour la Sicile. Et donc tout va dépendre de la manière dont il est traité. L’idée générale est d’expliquer pourquoi il règne sur cette île un silence de plombe en matière de criminalité. La réponse se trouve dans la forme des réseaux de dépendance et de pouvoir. Même si Rosa se rebelle, on comprend rapidement qu’elle ne sera pas de taille. Et même le rigoureux et obstiné Bellodi ne pourra rien contre Don Mariano. Le message est politique, il met en cause sans le dire la Démocratie Chrétienne, parti dominant à Rome, mais plus encore en Sicile. On verra Don Mariano se rendre à a permanence de ce parti. En vérité la mafia se moque de la politique, et si elle a soutenu la DC, c’est bien parce qu’elle était ennemie des communistes. Quand la DC s’effondrera, elle changera son fusil d’épaule et se rangera derrière Berlusconi. Mais elle aura sans doute moins de pouvoir qu’à l’époque de la DC d’Andreotti. Le film présente donc des rapports quasi féodaux qui forcément freine l’émancipation des Siciliens et donc aussi le progrès économique. C’est d’ailleurs un thème souvent débattu en Sicile et en Italie sur le coût de la mafia qui en abusant de son pouvoir empêche l’économie d’évoluer. Les crimes de sang ne sont là que pour faire régner un ordre parallèle à celui de l’Etat. Celui-ci est représenté par Bellodi, cependant il échoue. Mais cela vient aussi du fait que l’Etat central à Rome est complètement corrompu. En dehors de Don Mariano les hommes de la mafia apparaissent comme des individus plutôt frustres et sans horizon autre que de continuer à profiter d’un système en bout de course.

     La mafia fait la loi, il giorno della civetta, Damiano, Damiani, 1968 

    Pizzuco veut violer Rosa 

    Les représentants de l’Etat sont des individus qui se dressent contre un pouvoir collectif, celui de la mafia. Ce n’est pas le moindre des paradoxes du film d’ailleurs. Cette présentation de la mafia comme le parti de l’ordre correspond à la vision de Sciascia, celle d’Agrigento. En effet, contrairement à Corleone, ou même à Catania, le pouvoir de la mafia dans cette région est plus discret, et plus paisible si on veut. Les Corléonais de Toto Riina et de Provenzano au contraire représentaient le désordre dans une lutte incessante pour le monopole de la violence et la soumission des clans rivaux. Le film de Damiani montre à l’inverse une forme collective de pouvoir. Certes on n’hésite pas éventuellement à tuer, mais c’est seulement dans l’extrême urgence, et non pas comme une funeste manie. Lorsque Don Mariano est libéré, le petit peuple vient le saluer, parce qu’il est dans la dépendance pour le travail de l’ordre qu’il fait régner. Le film est tourné en 1968. Autant dire il y a un siècle ! Les choses ont beaucoup changé en Sicile. Non seulement on n’y voit plus de petites charrettes tirées par des ânes, mais les gens osent parler maintenant, forçant le pouvoir de la mafia à se faire un peu plus discret de partout dans l’île. Nous savons évidemment que ce pouvoir existe encore, et il y a encore des meurtres qui lui sont liés, mais il y en a beaucoup moins. On pourrait dire que quand le cinéma italien a attaqué de front la mafia, c’était déjà la conséquence de la dilution de son pouvoir parce que finalement la modernisation des structures sociales l’imposait. Rosa est le vecteur de l’émancipation car nous comprenons que c’est par les femmes – qui sont par définition en bas de l’échelle sociale et soumises – que la transformation de ce système féodal se réalisera.

     La mafia fait la loi, il giorno della civetta, Damiano, Damiani, 1968 

    Les hommes d’honneur veulent dissuader Rose de témoigner 

    Mais tout ça ne dit rien des qualités cinématographiques de l’œuvre. C’est le premier film de Damiani sur la mafia. Et s’il n’a pas encore tout à fait trouver son style définitif, il est manifestement tombé amoureux de la Sicile et utilise à bon escient les paysages magnifiques tout en ne cachant rien de la misère qu’on peut y trouver. Il multiplie encore les gros plans, notamment pour faire sortir le côté grotesque des hommes de la mafia, approche qu’il abandonnera dans les films suivants. Le film a été tourné à Partinico au Nord de l’île, ce qui permet de filmer une place où se font vis-à-vis la maison de Don Mariano et le local des carabiniers. Evidemment la ville a beaucoup changé aujourd’hui et semble un peu à l’abandon, elle a maintenant des problèmes avec les migrants[2] ou avec le ramassage des poubelles. Mais à l’époque Damiani était capable de filmer les vieilles ruelles de la ville en les opposant à la ferme un peu délabrée dans laquelle vivent les Nicolosi. La mise en scène ne cherche pas à mettre en avant le suspense qu’il pourrait y avoir à découvrir le coupable, ou même le mari de Rosa. Elle met l’accent sur les confrontations directes entre le lisse policier auréolé de son autorité, et ces insaisissables siciliens qui se méfient de tout et de n’importe quoi.

     La mafia fait la loi, il giorno della civetta, Damiano, Damiani, 1968 

    Zechinetta va parler 

    L’interprétation est du premier choix. Franco Nero dont c’était le premier film avec Damiani, il y en aura encore trois autres, s’était fait connaitre dans le rôle de Django de Corbucci, et sans doute voulait il ne pas se laisser enfermer dans le western spaghetti. Il est donc très bien rasé, bien propre, et porte l’uniforme avec beaucoup d’élégance. Il semble un peu raide, mais après tout il représente les rigueurs de la loi. Rosa c’est Claudia Cardinale. C’est une femme en colère, elle est donc parfaite. Elle n’était pas seulement belle, elle avait une fougue très attachante. Lee J Cobb dans le rôle de Don Mariano est au fond assez terne, un peu décalé, pas trop dans la course, mais ça passe. Il arrive cependant à faire passer un peu de mélancolie en méditant sur son pouvoir et sur le caractère du policier qui ose l’affronter avec courage. L’extraordinaire Tano Cimarosa, acteur d’origine sicilienne, qu’on reverra non seulement dans presque tous les films siciliens de Damiani, mais dans un nombre extravagant de poliziotteschi, est excellent comme à son ordinaire dans le rôle de Zechinetta. Et puis il y aussi Serge Reggiani qui a cette époque voyait sa carrière un peu patiner. Il incarne l’indicateur de la police. Son rôle est assez étroit, mais il s’en tire à son avantage. Et puis il y a toutes ces figures qui représentent la mafia et donc le mal et qui sont particulièrement bien choisies.

     La mafia fait la loi, il giorno della civetta, Damiano, Damiani, 1968 

    Enfin Bellodi a arrêté Don Mariano 

    Le film reçu un très bon accueil en Italie, mais aussi à l’étranger. A l’époque les films sur la mafia étaient rares, c’est seulement après Le Parrain que cela deviendra une mode, avec souvent une forme de glamour tout à fait critiquable cependant. Dans le film de Damiani, le fond reste très sombre et même désespéré comme si jamais rien ne devait changer, la fin est très amère. Mais en tous les cas le film vaut le détour, c’est un très bon Damiani et conserve une longueur d’avance sur la plupart des films du même genre. Sans doute pour l’apprécier faut il faire un peu abstraction d’un manque de scènes d’action – c’est seulement au début du film qu’on verra un crime. La tension se trouve à un autre niveau.

     La mafia fait la loi, il giorno della civetta, Damiano, Damiani, 1968 

    Parrinieddu est découvert sous la route

     

    « Luciano Lutring, réveille-toi et meurs, Svegliati e uccidi, Carlo Lizzani, 1966Seule contre la mafia, La moglie piu bella’, Damiano Damiani, 1970 »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :