• La maison de la 92ème rue, The house on the 92nd street, Henry Hathaway, 1945

    La maison de la 92ème rue, The house on the 92nd street, Henry Hathaway, 1945

    C’est un film très intéressant, non pas tant par son histoire que par la place qu’il tient dans l’utilisation éhonté que le FBI fit du cinéma pour chanter la gloire de J. Edgar Hoover qu’on verra à l’écran d’ailleurs faire semblant de travailler. Le message est en effet le suivant : grâce à l’incomparable travail de Hoover et du FBI les Etats-Unis sont imperméables à toute agression venant de l’extérieur. Ce film préfigure quelque part l’intensification de la chasse aux sorcières, il suffira juste de remplacer les Allemands nazis par des mauvais communistes.

     La maison de la 92ème rue, The house on the 92nd street, Henry Hathaway, 1945 

    Un agent allemand va être accidentellement démasqué 

    L’action se passe au début de la Seconde Guerre mondiale. A la suite d’un accident, le FBI découvre que le projet 97 qui traite de l’avancement de la bombe atomique, est transmis presque au jour le jour aux nazis. L’inspecteur Briggs est chargé de cette affaire et il va infiltrer au cœur même des services d’espionnage de Hambourg, William Dietrich, un américain d’origine allemande, mais un bon patriote. Celui-ci va revenir aux Etats-Unis, et là il va intégrer directement le groupe chargé de faire passer les éléments d’avancement du projet 97 à Hambourg. Il va rencontrer la belle Elsa Gebhart qui est à la tête du réseau. Au-dessus d’elle il n’y a plus que le mystérieux Christopher que le FBI aimerait bien identifier. Grâce au travail d’infiltration de Dietrich, non seulement le FBI va livrer des fausses informations à Hambourg, mais va finir par repérer la personne qui sortait les infos du centre de recherche, alors même que les employés étaient fouillés à la sortie, il s’agissait d’un individu doté d’une mémoire phénoménale. Cependant les espions allemands sont méfiants et vont soupçonner Dietrich. En vérifiant les informations que celui-ci à livrées, ils se rendent compte qu’il a trafique ses lettres de mission. Ils vont essayer de le faire parler, mais le FBI va intervenir à temps. Le réseau sera démantelé et incidemment on découvrira que le véritable Christopher, le chef du réseau, n’est autre que la belle Elsa. 

    La maison de la 92ème rue, The house on the 92nd street, Henry Hathaway, 1945 

    Le FBI surveille tous ceux qui travaillent au projet 97 

    Pour apprécier ce film il faut passer sur deux obstacles. Le premier est le manque de réalisme. En effet J. Edgar Hoover, contrairement à ce qui est suggéré, a été au contraire de ceux qui ont freiné la traque des réseaux allemands. Je rappelle que l’HUAC dans sa première version ne ciblait pas les communistes, mais elle visait les activités étrangères sur le territoire américain. Dirigée par le fameux Dietz, elle a travaillé pour dédouaner en quelque sorte les américains d’ascendance germanique, et elle a travaillé dans le sens d’un non engagement des Etats-Unis dans la guerre. C’est seulement avec Pearl Harbour, que Roosevelt est arrivé à faire admettre aux Américains que de battre les puissances de l’Axe était une nécessité première. Le second obstacle est que ce film est une sorte de panégyrique de J. Edgar Hoover. C’est très désagréable et difficile à supporter. Mais en réalité si Hoover s’est investi si fortement dans la promotion du FBI au cinéma, c’est parce que le FBI justement était contesté. D’une part on reprochait au FBI d’avoir refusé de combattre la mafia, pour Hoover la mafia n’existait pas, mais on découvrira plus tard qu’il touchait des pots de vin de celle-ci, et aussi on lui reprochait de combattre plutôt les syndicats que le crime[1]. Bref le FBI était souvent dénoncé  comme une sorte de police politique coûteuse, une sorte d’Etat dans l’Etat, Hoover ayant régné sur cette boutique pendant près d’un demi-siècle, seule la mort l’en éloignera, ce qui est assez unique dans les annales de la police[2]. C’est donc seulement après Pearl Harbour que Hoover se rapprocha de la présidence Roosevelt et entrepris de donner au FBI un aspect de respectabilité qu’il n’avait pas. Dès lors le cinéma était tout indiqué pour en flatter les avancées technologiques et l’efficacité. Cette propagande a eu la peau dure et c’est sans doute grâce à ces films que le FBI a eu cette image d’efficacité et de modernité de partout dans le monde.

    La maison de la 92ème rue, The house on the 92nd street, Henry Hathaway, 1945  

    Dietrich va rencontrer Elsa 

    Les films à la gloire du FBI sont innombrables. Certains sont quasiment invisibles, par exemple The FBI story avec James Stewart de Mervyn Le Roy qui date de 1959, tellement le conformisme hagiographe suinte de partout. Mais Hathaway, réalisateur à mon sens très sous-estimé, qu’on peut considérer comme un des maîtres du film noir, a trouvé une manière de faire passer la pilule. En effet, il a écarté par principe les déterminants moraux et psychologiques des protagonistes autant qu’il l’a pu. Autrement dit-il s’est concentré sur l’action sans s’occuper de savoir si les uns étaient bons et les autres mauvais. Bien évidemment l’Allemagne est désignée comme le parti du mal, mais on n’insiste pas là-dessus. Les espions allemands ne sont d’ailleurs pas particulièrement antipathiques, ils n’abusent pas de la cruauté, et Dietrich ne suscite pas l’empathie. Cette neutralité rend le film intéressant et permet de se concentrer sur les techniques d’investigation et d’espionnage qui deviennent le personnage à part entière. Le rythme est également bien soutenu. Et on arrive à suivre une histoire qui se déploie à la façon d’un puzzle assez facilement. Les qualités habituelles de la mise en scène d’Hathaway sont là : une très bonne utilisation des décors naturels urbains, notamment dans la scène initiale qui voit l’accident de l’agent allemand et la disparition d’une mystérieuse serviette. Bien que ce soit plutôt un film d’espionnage, on aura droit à toute la palette bien rodée des codes du film noir. Les clair-obscur, les regards à travers les stores vénitiens et encore quelques rues sombres bordées d’entrepôts inquiétants. Il y a un savoir-faire qui fait que ce film ne peut pas être ennuyeux, même si à son début on sera obligé de voir cette face de rat de J. Edgar Hoover.

    Deux aspects singuliers affirment l’authenticité du propos : d’abord la voix off qui nous indique au fonds ce qu’on doit penser de l’action qui se déroule sous nos yeux, et la mise en scène des techniques utilisées pour faire avancer l’enquête. Le commentaire renforçant d’ailleurs les images. On aura droit donc à des plans montrant le grand nombre d’employés du FBI en train de trier des empreintes, ou des techniciens se servant d’appareils sophistiqués pour analyser un mégot de cigarette. Cette manière de faire sera reprise un nombre incalculable de fois, et notamment dans The naked city de Dassin en 1948, même si c’est la police ordinaire qui est le sujet. A travers ces films ce qui ressort est bien le caractère anonyme de l’homme moderne saisi dans la masse d’une population urbaine mouvante. Tout cela est soutenu par une très belle photo de Norbert Brodine qui retravaillera avec Hathaway sur plusieurs films noirs, mais qui sera aussi le photographe de Thieves’ Highway de Dassin, ou encore celui de Somewhere in the night et de Five fingers de Joseph L. Mankiewicz.

     La maison de la 92ème rue, The house on the 92nd street, Henry Hathaway, 1945 

    Elsa apprend que Dietrich est un agent double 

    Il est assez difficile de découvrir le message latent d’un tel film. Comme la plupart des films à la gloire du FBI, c’est aussi un éloge de la délation, délation qui va devenir le mode de fonctionnement d’Hollywood dans la chasse aux sorcières qui s’amorce. Ce message conformiste est cependant contrebalancé par l’analyse froide du professionnalisme des espions qu’ils soient allemands ou américains d’ailleurs. On remarquera aussi que le film justifie ex post l’internement préventif des étrangers sur le sol américain, les américains d’origine nippone, sans doute qu’à l’époque de ce film il fallait justifier par l’image les mauvais traitements que cette partie de la population américaine avait subis.

     La maison de la 92ème rue, The house on the 92nd street, Henry Hathaway, 1945 

    Un message intercepté apprend à Briggs que Dietrich est condamné 

    La distribution ne comprend aucun acteur très connu. C’est une manière de faire qui est sensée donner du réalisme à l’ensemble. D’ailleurs il est précisé au début du film que le personnel du FBI lui-même a apporté son concours, et donc que nous voyons de vrais agents dans l’exercice de leurs fonctions. Puisque l’histoire est éclatée entre plusieurs pôles, il est presque normal et naturel de gommer le côté glamour des acteurs qui incarnent cette lutte obscure. William Eytye qui n’a jamais fait grand-chose au cinéma est l’agent infiltré Dietrich. Il a ce côté passe partout qui convient si bien au rôle il n’exprime d’ailleurs aucun sentiment. Le très bon Lloyd Nolan est l’inspecteur Briggs, celui qui est chargé de coordonner la lutte contre le réseau d’espions allemands. Il est suffisamment soucieux pour nous démontrer que cette affaire est bien difficile mais qu’il a les moyens de le faire. Signe Hasso est la belle Elsa. Actrice d’origine suédoise, elle n’a pas fait grand-chose non plus, mais ici elle est suffisamment crédible dans le rôle d’un agent allemand déterminé à assurer sa mission coûte que coûte. Il est dommage que son double rôle – puisqu’elle est aussi Christopher – ne soit pas mieux exploité. Il y avait là une ambiguïté intéressante.

     La maison de la 92ème rue, The house on the 92nd street, Henry Hathaway, 1945 

    Elsa et ses sbires sont cernés dans la maison de  la 92ème avenue 

    Le film d’Henry Hathaway, s’il est un peu oublié de la critique aujourd’hui, aura un bon succès public. C’est pourquoi, quelques années après, en 1948, on retrouvera le personnage de l’inspecteur Briggs dans The street with non name. Toujours interprété par Lloyd Nolan, il s’agira encore d’un agent infiltré. Mais cette fois dans le milieu criminel. Ce dernier film, réalisé par William Keighley, est bien meilleur dans le fond parce qu’il s’attache à la personnalité des protagonistes, en s’attardant sur l’ambiguïté de la relation entre le policier du FBI et le gangster, et puis aussi parce qu’il y avait un très bon Richard Widmark. Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, on peut considérer que The house on the 92nd street est un film pionnier qui a orienté durablement tout un pan du film noir. Ce film est le premier d’une série de cinq très bons films noirs qu’Hathaway réalisera entre 1945 et 1948.

     



    [1] Voir l’excellent ouvrage de Marc Dugain, La malédiction d’Edgar, Gallimard 2005.

    [2] On sait également que le FBI a joué plus récemment un rôle trouble dans l’élection de Donald Trump.

    « Le gros coup, Jean Valère, 1964Le mystère de la plage perdue, Mystery Street, John Sturges, 1950 »
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