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La mort aux trousses, North by northwest, Alfred Hitchcock, 1959
Ce n’est ni un film noir, ni un film d’espionnage, malgré sa trame criminelle, et malgré le mince prétexte d’un trafic de documents au profit d’une puissance étrangère. Film de divertissement, c’est une fantaisie difficile à cataloguer, il est très emblématique de l’idéal cinématographique de Hitchcock basé sur les effets. C’est sans doute une de ses productions les plus célèbres et les plus étudiées, notamment la scène où l’on voit Cary Grant attaqué par un avion sensé déverser des pesticides sur des cultures qui n’existent pas. Hitchcock en a donné une interprétation particulière dans ses entretiens avec Truffaut, insistant sur sa nouveauté et donc du coup sur son propre génie[1]. Vincent Gallo en donnera une interprétation tout à fait personnelle dans l’excellent Arizona dream de Kusturica, en mimant les attitudes de Cary Grant.
Tout porte à croire que Thornhill a tué Townsend
Roger Thornhill est un publiciste fameux qui vit à un train d’enfer à New York. Il a rendez-vous à son club avec des amis, mais il doit envoyer un télégramme à sa mère pour lui rappeler qu’ils doivent aller ensemble au théâtre. En allant se charger de cette besogne, il va être enlevé par deux tueurs qui l’embarquent dans une voiture et le mènent dans la belle demeure de Lester Townsend. Là il rencontre toute une équipe dirigée par une personne qu’il croit être Lester Townsend. Celui-ci croyant avoir à faire à un dénommé Kaplan, lui propose un arrangement. Mais Thornhill lui affirme qu’il n’est pas Kaplan. N’arrivant à aucun arrangement, les tueurs le force à boire du whisky et tentent de le tuer en fabriquant un faux accident de voiture. Echappant miraculeusement à la mort, il est arrêté par la police. A partir de ce moment-là il va enquêter sur Lester Townsend. Mais retournant à la maison où il a été si mal traité, il semble s’être trompé. Il va donc aller jusqu’au siège des Nations Unies. Là il rencontre le vrai Townsend qui ne ressemble pas du tout à celui qui prétendait s’appeler ainsi. Mais un des tueurs qui l’a suivi, va assassiner Townsend d’un coup de poignard dans le dos. Le meurtre a lieu au milieu de la foule, et on croit que c’est Thornhill qui l’a commis, il tient le poignard dans sa main. Il est donc obligé de fuir. Il va se mettre à la recherche du mystérieux Kaplan, tandis que la police le recherche et que sa photo a été publiée à la une de tous les journaux américains. Pour cela il doit aller à Chicago. Dans le train qui l’emmène, il rencontre une séduisante jeune femme, Eva, qui l’aide à se cacher de la police en l’hébergeant dans sa cabine. Jouant les entremetteuses, elle va l’aider aussi à se rendre à un rendez-vous avec Kaplan. Entre temps on a appris que Kaplan n’existe pas et n’est qu’un leurre pour tromper l’ennemi et protéger Eva qui travaille avec les services secrets américains. Au milieu de nulle part, Thornhill manque d’être tué par un avion qui s’écrasera sur un camion-citerne. Revenu à Chicago, il soupçonne de plus en plus Eva. Bientôt pourtant le chef des agents de renseignements américains va lui expliquer qui est réellement Eva et l’utiliser pour la couvrir. Elle va faire donc semblant de tuer Thornhill en lui tirant des coups de feu à blanc. Elle doit fuir avec Vandamm. Mais rien ne se passe comme prévu. Thornhill va tenter de retenir Eva, mais surtout Leonard a démasqué Eva et prévient Vandamm qui est très touché par la trahison de sa maitresse. Il projette de la tuer une fois qu’ils seront au-dessus de l’océan. Thornhill cependant va sauver Eva en l’empêchant de prendre l’avion. Ils arrivent à fuir en amenant les microfilms. Poursuivis par les sbires de Vandamm, ils seront sauvés in extremis par la police. Ils vont pouvoir se marier.
Il cherche a acheté un billet pour Chicago
Le scénario est signé Ernest Lehman, auteur hétéroclite à succès qui signa aussi bien West Side Story que Somebody up there likes me, ou The sound of music. Il signera le scénario de The prize avec Paul Newman qui se situe tout à fait dans la lignée hitchcockienne. La première évidence est que ce scénario est complètement creux et bourré d’invraisemblances du début à la fin. Par exemple on ne sait pas pourquoi Vandamm a confondu Thornhill avec Kaplan. Ou encore, la police arrive in extremis pour sauver Eva été Thornhill, sans qu’on sache très bien ce qui les a décidés à arriver sur les lieux. On est surpris également dans la fameuse scène de l’attentat par avion par ce champ de maïs qui existe tout seul au milieu d’une plaine déserte complètement dénudée. Et d’ailleurs on se demande bien pourquoi Thornhill se rend à ce rendez-vous sans prendre aucune précaution. Sur le plan psychologique, ce n’est pas mieux. Thornhill, vieux célibataire endurci tombe amoureux de la très volage Eva qui, elle-même, à son tour, est touchée par la grâce de l’amour. Mais Hitchcock n’est pas un réalisateur qui fait dans le réalisme. Cependant si dans la plupart de ses films il développe des caractères psychologiques, ici on en reste plutôt au niveau de l’action. Mais bien entendu l’action à l’état pur ne peut pas exister et même si le ressort est minimal, il faut qu’il existe. On va donc trouver deux éléments importants : le premier est l’obstination de Thornhill à découvrir la vérité, envers et contre tout. Le second c’est encore le fameux triangle : une femme et deux hommes. La première joue forcément un jeu ambigüe en se faisant désirer par deux hommes à la fois, deux hommes que tout oppose. Mais il y a aussi la jalousie de Thornhill qui lui fait entrevoir que la lutte avec Vandamm sera récompensée par un trophée, Eva. Dans le message subliminal qui transparait au-delà de l’action proprement dite, il s’agit de savoir jusqu’où la perversité d’Eva la mènera. On remarque d’ailleurs que le seul personnage qui ne ment pas est Thornhill, quoiqu’il reconnaisse que dans la vie courante son métier l’oblige à mentir. Parmi les thèmes mineurs, il y a encore la domination des femmes, que ce soit la mère de Thornhill – qui ressemble d’ailleurs à la mère de Sebastian dans Notorious[2] – Eva bien entendu, mais aussi la gardienne de la maison de Vandamm près du Mont Rushmore. La façon dont Eva se jette sur Thornhill c’est pratiquement un viol !
Il a rendez-vous avec Kaplan au milieu de nulle part
On peut analyser la mise en scène de deux manières très différentes. La première porte sur les lieux et le style que ceux-ci induisent. C’est un catalogue touristique de la modernité étatsunienne à la fin des années cinquante. On passe des quartiers huppés de New York à l’architecture moderne du siège des Nations Unies, puis on prend un train confortable où le service est excellent, servi par des noirs très respectueux, et enfin, destination finale, on se retrouve au Mont Rushmore, très prisé des touristes américains de la classe moyenne inférieure, un peu comme les chutes du Niagara. Il y a aussi la villa hypermoderne de Vandamm, perchée dans la montagne. Cet ensemble de lieux donne un côté « papier glacé » à l’image, même quand Thornhill se roule par nécessité dans un champ de maïs, il en ressort avec un peu de poussière sur sa veste, mais même pas décoiffé.
Un avion le prend en chasse pour le tuer
Et puis il y a la façon de filmer, d’agencer les scènes d’action. C’est sans doute ici ce qu’Hitchcock a fait de mieux. La caméra est mobile, et l’écran large donne de la profondeur de champ. Il multiplie les prouesses quand il filme la foule newyorkaise[3], la cohue dans le hall de la gare, et bien sûr dans le découpage des scènes d’action. C’est même un des rares films d’Hitchcock où les transparences ne sont pas ridicules. Cela donne un côté à la fois coloré et moderne à l’ensemble. On peut dire que c’est le début des thrillers modernes, avec ce côté design souligné par le générique de Saül Bass. La fin est très bâclée cependant, et les glissades sur les figures sculptées des présidents américains est encore moins crédible que le reste. Mais cela n’enlève rien au fait que le rythme reste soutenu.
Thornhill est maintenant associé avec les services secrets
Un des aspects particuliers d’Hitchcock est de mettre particulièrement en valeur des acteurs très glamour, mais aussi très typés. Cary Grant domine de sa classe évidemment la distribution, c’est autour de lui et pour lui que le film s’est fait. Il tient encore la route, mais ici il commençait déjà à vieillir. Il en fait parfois un peu trop, sans doute parce que son rôle hésite entre comédie et drame et qu’il lui est difficile de trouver le ton juste. Mais enfin, ne barguignons pas, il est efficace et très présent. C’est un peu son dernier grand rôle, il ne retrouvera le succès que dans Charade, film très hitchcokien. Eva Marie Saint est comme toujours excellente et subtile, on regrette qu’elle n’ait pas fait une meilleure carrière. Son rôle reste un peu limité. James Mason joue Vandamm, une crapule faussement sophistiquée. Il n’est pas très bon, peut-être parce qu’il n’a pas le premier rôle. Sa voix est assez mal posée, ce qui est curieux pour un acteur de théâtre anglais. Les seconds rôles sont tous très bien, à commencer par Martin Landau dans celui du sinistre Leonard. Vous me direz qu’avec son physique il n’a pas besoin de faire grand-chose pour inquiéter. Il y a aussi Leo G. Carroll dans le rôle du chef des agents secrets. Comme toujours il est très juste. C’est une silhouette habituelle des films d’Hitchcock. Je glisse sur l’interprétation de la mère de Thornhill par Jessie Royce Landis qui est sensée mettre un peu d’humour.
Eva tire sur Roger
Le film fut dès sa sortie un très grand succès, particulièrement en France. Avec le recul on ne sait pas trop si ce succès extravagant est mérité. Certes le film se voit sans déplaisir, l’attention du spectateur est soutenue. On ne se prend pas comme souvent avec Hitchcock à regarder sa montre. Certains le tiennent pour le meilleur film d’Hitchcock. Sur le plan technique cela me paraît évident, par contre si on ramène le film à son intérêt, il apparaît tout de même assez creux et vide de contenu. Pour moi c’est l’apogée de la carrière d’Hitchcock, après ce film il tournera l’insipide Psycho, grand succès public également, mais controversé dans son intérêt, film hésitant entre le suspense et l’horreur sans jamais choisir. Puis ensuite les choses se déliteront, et le succès le fuira peu à peu. Il en ira ainsi des derniers films Frenzy et Family plot, sortis dans l’indifférence générale de la critique et du public.
Eva a glissé et menace de tomber
[1] François Truffaut, Le cinéma selon Hitchcock, Robert Laffont, 1966.
[2] http://alexandreclement.eklablog.com/les-enchaines-notorious-alfred-hitchcock-1946-a130906828
[3] Il y a curieusement au début du film un doublon avec un rouquin sortant d’un immeuble de bureau. C’est évidemment une faute au montage.
Tags : Hitchcock, Cary Grant, Eva Marie Saint, James Mason, Martin Landau, Espionnage.
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