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La mort n’était pas au rendez-vous, Conflict, Curtis Bernhardt, 1945
Regardé comme un classique du film noir, Conflict pose pourtant de nombreux problèmes de classification dans le genre. Le scénario est basé sur une histoire de Robert Siodmak, le maître du genre. Et donc à ce titre il oblige au détour. C’est Warner Bros qui produit, avec Humphrey Bogart au sommet de sa gloire, en plein développement du film noir, bien qu’à cette époque le terme n’existât point encore, surtout aux Etats-Unis !
Richard Mason est immobilisé suite à son accident de voiture
Richard Mason vit une relation conjugale pénible. Il rêve de se séparer de sa femme Kathryn et d’épouser sa belle-sœur Evelyn ! Le jour du cinquième anniversaire de mariage, ils ont une violente dispute, mais ils la font taire pour aller fêter ça avec leurs amis. Ceux-ci ne semblent se douter de rien, et soulignent à l’envie combien leur couple est exemplaire. En revenant à leur maison, Richard, Evelyn et Kathryn ont un accident. La jambe de Richard est cassée. Il va cependant simuler une forme d’infirmité qui laisse croire qu’il ne peut se déplacer. Cela va lui permettre d’organiser un crime parfait. Sa femme devant partir pour leur maison de campagne dans les montagnes, Richard va l’assassiner froidement, il poussera sa voiture dans un précipice, espérant que le corps sera découvert tardivement. Revenu chez lui, il reçoit ses collaborateurs, et se montre inquiet de l’absence de nouvelles de Kathryn. Finalement il décide de prévenir la police. Mais la police tarde à retrouver le corps et la voiture de Kathryn. Entre temps Evelyn vient porter son secours à Richard. Peu après celui-là lui déclare sa flamme, mais Evelyn est très réticente à s’engager, sachant qu’on ne sait pas vraiment ce qu’est devenu sa sœur. Et ce d’autant qu’elle est courtisée par un jeune psychiatre plein d’avenir. Cependant, Richard commence à percevoir certaines manifestations de la présence de Kathryn, d’abord on a trouvé une bague qui appartenait à celle-ci dans la poche d’un pickpocket. Et puis d’autres objets réapparaissent dans la maison, l’alliance, un mouchoir. Richard presse la police d’intervenir et de suivre cette piste qui laisserait entendre que Kathryn est vivante. Entre temps, il comprend qu’Evelyn n’est pas prête à le suivre dans une liaison, et il encourage le jeune psychiatre à persévérer. Peu à peu le piège se referme, alors qu’il croie voir Kathryn dans la rue, il la suit, mais n’aboutit qu’à un appartement vide. Décidant de se rendre sur les lieux de son crime, il sera piégé en réalité par la police. Kathryn était bel et bien décédée, mais c’est le docteur Hamilton – un ami du couple – qui a construit ce piège pour qu’il avoue son crime.
La police n’a aucune trace de Kathryn
Une telle histoire ne tient évidemment pas debout. Il faut être particulièrement complaisant pour adhérer un seul moment à la logique de celle-ci. Non seulement il est exclu que la police monte un piège de longue durée aussi compliqué, mais en outre, le simple fait que Richard se rende sur les lieux du crime n’est pas une preuve suffisante de culpabilité. C’est le premier problème qu’on va rencontrer : la seconde partie de l’intrigue est plutôt digne d’un raisonnement à la Agatha Christie que d’une histoire à la Chandler. Cette complication incongrue fait que le film se tient à mi-chemin entre le film noir et le film à énigme. Ce mélange de genres engendre une grande dispersion thématique. Quel est le sujet ? Une critique du mariage ? L’attrait de Richard, un homme murissant, pour une jeune fille qu’il trouve pure ? On ne sait pas trop. Il n’est guère explicité pourquoi le divorce serait impossible. Certes on voit bien que les deux époux se livrent à des grimaces pour respecter en public des conventions sociales dépassées, mais même en 1945, le divorce était une pratique courante surtout dans les classes élevées. Heureusement il y autre chose. Le personnage le plus intéressant et le plus ambigu est le docteur Hamilton, une espèce de gros tas, un vieux célibataire, qui semble être amoureux de Kathryn et qui semble aussi souhaiter la mort de ce couple qu’il trouve un peu trop parfait. Si l’attitude de Richard est criminelle quoique compréhensible, celle du docteur Hamilton semble ressortir de la méchanceté gratuite : il se venge du mauvais sort que lui a fait la vie sur Richard justement. Evelyn n’est pas très claire non plus, elle semble attirée par Richard, mais elle renonce parce que ce n’est pas convenable et elle se retournera sans doute vers le jeune psychiatre Norman qui rêve d’en faire seulement une femme au foyer pour l’aider à gérer sa carrière. Dans sa demande en mariage, il ne parle pas au nom de l’amour, mais au nom de la nécessité qu’il y a à avoir une épouse qui lui tienne son ménage et lui fasse des enfants ! Au moins Richard agit au nom d’une certaine idée de l’amour. C’est sans doute pour ça que quand on oppose la niaiserie du jeune Norman à la démarche de Richard, on est très déçu qu’il se fasse attraper. Mais étant désigné comme le criminel, il n’est pas question qu’il passe au travers.
Evelyn tente de remonter le moral à Richard
Ces hésitations scénaristiques entraînent des difficultés pour la réalisation. Certes Curtis Bernhardt est un des maîtres du film noir de la période classique, et il maîtrise tout à fait les codes visuels du genre, quoi qu’il ne soit pas très aidé par la photographie de Merritt Gerstad. C’est une œuvre de studio, ce qui nécessairement donne un caractère un peu étouffé à l’ensemble. Le brouillard qui préside à l’assassinat de Kathryn puis au piège qui se referme sur Richard, permet ainsi d’économiser des frais de décor, mais n’en masque pas la pauvreté. Cet aspect fait assez démodé. L’ensemble de la mise en scène n’est pas très fluide. Toute la première partie manque de rythme. La deuxième est bien plus alerte parce qu’on se demande bien qu’est-ce qui peut se passer : Kathryn est-elle vraiment morte ? il va se passer beaucoup de choses, peut-être trop d’ailleurs. L’ensemble est assez besogneux et manque singulièrement de conviction. Comme si Bernhardt se désintéressait de l’histoire et misait tout sur le charisme des grands noms qu’il a réuni. Sur le plan visuel, quelques scènes ressortent du lot cependant, notamment la double visite de Richard à la boutique du prêteur sur gages, ou encore la visite de l’appartement vide à la recherche de Kathryn.
Richard signale à la police d’étranges événements
La distribution est évidemment centrée sur Humphrey Bogart. Il est toutefois ici un peu à contre-emploi et se retrouve être rapidement dépassé par un rôle où il ne contrôle plus rien. Son caractère tranchant s’est éparpillé entre un Richard amoureux qui abandonne trop facilement la lutte avec son jeune rival, et un Richard assassin qui ne se donne pas trop la peine de réfléchir aux conséquences de ses actes. Mais Bogart, reste Bogart. Il a suffisamment de métier et de présence pour nous tenir réveillé. Sydney Greenstreet est le psychiatre tortueux qui piège Richard. C’était la cinquième fois qu’il tournait avec Bogart depuis les débuts de leur collaboration sur The maltese falcon. Il est très bon et surtout il nous convainc tout à fait de la méchanceté des obèses qui se vengent de leurs vicissitudes et de leurs déboires amoureux sur plus maigres qu’eux ! Les femmes sont très bien : il y a d’abord l’énergique Rose Hobart dans le rôle de la sournoise Kathryn. Elle fut une actrice assez importante dans les années quarante, avant de s’orienter vers la télévision. Et puis il y a Alexis Smith dans le rôle de l’irrésolue Evelyn. Cette actrice un peu oubliée aujourd’hui a fait pourtant une très longue carrière jusqu’au début des années 90. Elle représentait la grande fille anglo-saxonne, un rien naïve. Elle est excellente ici. Elle retrouvera d’ailleurs Humphrey Bogart dans The two Mrs Carrolls. Les policiers sont bien, des habitués de ce genre de rôle. Et finalement le terne Charles Drake dans le rôle du jeune psychiatre n’est pas mal non plus puisqu’il incarne un homme plutôt faible et irrésolu.
Chez le prêteur sur gage Richard découvre le médaillon de Kathryn
Ce n’est ni le meilleur d’Humphrey Bogart, ni le meilleur de Curtis Bernhardt. Un film noir un peu routinier. Néanmoins il reste malgré tout encore visible ne serait-ce que pour les acteurs.
Sur les lieux du crime Richard ne trouve pas trace de Kathryn
« Deux ou trois choses que je sais sur Jerry LewisLa toile d’araignée, The drowning pool, Stuart Rosenberg, 1975 »
Tags : Humphrey Bogart, Curis Bernhardt, Sydney Greenstreet, Alexis Smith, film noir
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