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La police a les mains liées, La poliizia ha le mani legate, Luciano Ercoli, 1974
Luciano Ercoli ets un réalisateur atypique. Très attiré par le cinéma de genre, il débute sa carrière au début des années soixante-dix. Il fait un peu de tout, du western-spaghetti, du giallo et bien sûr ce poliziottesco. Mais ce n’est pas en cela qu’il est curieux, après avoir fait le producteur, le réalisateur et le scénariste, il hérite une immense fortune et se retire du cinéma ! Parmi ses productions, il a monté plusieurs Ringo mis en scène par Ducio Tessari, et également deux films avec Toto, Toto vieillissant, mais Toto tout de même. En tant que réalisateur, il aura signé seulement 8 longs métrages et on ne peut pas dire que l’ensemble soit enthousiasmant, ni très original. Mais il appartient au cinéma de genre, donc visant un public populaire, en dehors des ambitions cinéphiliques. Comme on l’a vu, avec des réalisateurs comme Lenzi ou De Martino, ça donne d’excellents résultats, mais ce ne n’est pas toujours le cas. Les budgets étant serrés, il faut une agilité constante pour s’adapter aux conditions de tournage. En ces débuts d’années soixante-dix, il y a deux cinémas italiens qui s’ignore, le premier qui a des visées artistiques et esthétisantes, s’exporte très bien, rafle des prix dans les festivals. Le second vise un public moins bourgeois. Il est au fond plus adapté aux salles de cinéma de la péninsule qui sont très grandes, mal entretenues, peu modernes, et qui doivent faire le plein coûte que coûte. Les cinémas italiens tarderont à se redécoupés en multiplexes, à donner un peu plus de confort aux spectateurs. Au début des années quatre-vingts ce système s’effondrera sous la pression de la multiplication des chaînes de télévision qui passent des films à longueur de temps. Cet effondrement entraînera la quasi disparition du cinéma italien, qu’il se veuille artistique ou simplement populaire.
Une explosion a lieu dans un hôtel international de Milan
Le commissaire Rolandi alors qu’il est en train d’enquêter dans un hôtel où se tient une conférence internationale, sur une affaire qui n’a rien à voir, est le témoin d’une violente explosion qui tue beaucoup de monde. Tandis que le procureur Di Federico ets chargé de l’affaire, Balsamo, l’ami de Rolandi qui s’occupe des pickpockets qui opèrent dans le bus, aperçoit un jeune louche qui laisse un journal dans une cabine téléphonique. Sur ce journal il avoue être un meurtrier puisque c’est lui qui a posé la valise contenant la bombe. Balsamo suit le tueur, mais celui-ci le menace d’un révolver, puis s’en va. Franco Ludovisi, le tueur myope, rejoint un couple avec qui il traficote. Drogué, il est malade, il est aussi rongé de remords. Le trio misérable tente de prendre la fuite, mais le couple abandonne Ludovisi. Mais il ne va pas loin, en essayant de démarrer la voiture mise à sa disposition le couple se fait sauter. Rolandi essaie de découvrir des indices, il va trouver que le portier de l’hôtel a arraché les lunettes du poseur de bombe. Il se fait engueuler par Di Federico qui n’aime pas que quelqu’un s’immisce dans ses enquêtes. Mais Di Federico est sous la surveillance d’hommes qui appartiennent probablement aux services secrets. Ceux-ci s’organisent, Balsamo est abattu. Mais en vérité, alors que Di Federico a découvert un micro dans son bureau, c’est son propre adjoint qui le trahit. Rolandi poursuit la piste des lunettes trouvées sur les lieux et téléphone aux opticiens pour tenter de trouver le tueur myope. Mais celui-ci lui échappe in extremis. Mais les tueurs ne restent pas inactifs. C’est d’abord Ludovisi qui s’est réfugié chez la fiancée de Rolandi, Papaya, qui est abattu, puis celle-ci, pratiquement sous ses yeux. Rolandi et Di Frederico pensent qu’il y a des fuites. Rolandi abat le tueur en état de légitime défense, mais cela coupe la piste qui aurait pu permettre de découvrir les commanditaires de l’explosion. Et d’ailleurs Papaya traficotait avec l’adjoint de Di Federico. Celui-ci comprend qu’il a été joué, et il démissionne. Rolandi va poursuivre le procureur adjoint, et on verra à la fin celui-ci se faire assassiner à son tour dans sa voiture.
Le tueur myope menace Balsamo d’un revolver
Ce film est une nouvelle fois un écho aux années de plomb qui ont endeuillé l’Italie dans les années soixante-dix. Le scénario est construit de telle sorte qu’on ne puisse pas savoir qui sont les commanditaires du massacre de l’hôtel, ni non plus quel est le but poursuivi. Cet état de confusion renvoie au fait que que les Italiens eux-mêmes ne savaient pas qui faisait quoi. Les brigades Rouges s’activaient, mais elles étaient manipulées. Quoi qu’il en soit on savait qu’il y avait un projet de coup d’état fasciste qui portait le nom de Gladio et qui était appuyé par la CIA qui prenait au sérieux le risque de révolution sociale dans ce pays. Ce complot ne pouvait exister sans l’implication des services secrets, d’une partie de la haute administration et bien sûr des hommes politiques, notamment ceux de la Démocratie Chrétienne, parmi eux, Giulio Andreotti qui faisait le lien avec la mafia sicilienne. Le film sera donc basé sur l’idée qu’un groupe d’individus souhaite le chaos maximum pour pouvoir imposé un régime dur, tandis qu’Aldo Moro qui sera assassiné, cherchait une voie d’apaisement en tentant de mettre en place un gouvernement d’union nationale qui s’appuierait sur les communistes. Luciano Ercoli peint le portrait d’un groupe d’hommes totalement corrompus. Face à cette corruption, deux hommes tentent de conserver leur intégrité. D’abord la procureur Di Federico, un magistrat d’une raideur catastrophique, et bien sûr le commissaire Rolandi, un peu indiscipliné tout de même. La trahison vient toujours de là où on ne l’attend pas. Ici c’est Papaya, une marginale, sans doute prostituée, en vérité cette trahison remet en question la confiance qu’il pouvait accorder, à contre-courant des institutions, à une femme semi-délinquante. Elle ne meurt pas victime innocente, mais plutôt à cause de sa cupidité. Notez que le film accable la justice et reste plus mesuré dans l’analyse du rôle de la police. C’est ce qui explique le titre.
Franco est drogué, ses complices veulent l’abandonner
Les petits délinquants qu’utilisent les comploteurs, ne sont pas très fiables, ils sont prêts à se vendre au plus offrant, et à abandonner leur complice comme une sorte de vieux kleenex. A ce titre ils se rapprochent du comportement de ceux qui sont sensés garantir l’ordre et la sécurité ; mais qui en réalité n’ont aucune conscience professionnelle. Mais il n’y a pas que des trahisons, il y a aussi des amitiés solides, comme celle de Balsamo et de Rolandi, ou la loyauté du petit opticien. L’histoire se déroule à Milan et l’attentat lors d’un séminaire international sur l’art renvoie à l’attentat de la Piazza Fontana qui eut un retentissement dans le monde entier. C’est une sorte de Milan brumeux et un peu froid qui est présenté ici, loin d’une Italie solaire et riante. Mais le scénario est écrit de telle sorte qu’il balance entre une forme un peu légère de traitement, par exemple les moqueries auxquelles s’expose Balsamo, et une forme hyper-dramatique, avec des violences récurrentes, des sournoiseries, mais aussi des explosions et des assassinats en série. Ce balancement hésitant est le principal défaut du film, même si l’aspect dramatique est bien entendu dominant. Dans les relations entre Rolandi et Papaya, on tente de dresser du commissaire le portrait d’un homme ordinaire, et donc il baise dans la voiture, mais c’est un peu téléphoné et ça manque de sincérité. De même les relations entre Di Federico et Rolandi ne sont pas explorées. On comprend que la situation est tellement tendue qu’ils ne peuvent pas avoir confiance l’un en l’autre. Mais c’est un peu lacunaire. Peut-être a-t-on gonflé le rôle de DI Federico pour donner plus de place à Arthur Kennedy ? Ercoli perd aussi beaucoup de temps à nous montrer Rolandi très content d’avoir pu acquérir une Mercedes !
L’opticien n’a pas pu retenir Franco assez longtemps
La réalisation est également assez problématique, certes il y a Milan, filmé dans sa diversité de ville tentaculaire, mais si Ercoli se tire très bien des scènes de poursuite et de violence, caméra au poing, il est moins à l’aise pour saisir le décor urbain comme un véritable acteur de l’histoire, à mon avis il n’utilise pas assez le plan large et la profondeur de champ. L’ensemble ne dure qu’un peu plus d’une heure trente, mais si on ne s’ennuie pas, le rythme ne semble pas très bon. Probablement à cause d’un défaut de découpage. La scène où, dans le métro, Rolandi affronte le tueur à gages des complotistes est tout de même superbe. D’autres scènes sont bien maitrisées, par exemple la scène finale quand Rolandi monte les escaliers et croise Di Federico qui vient juste de démissionner, l’un monte, et l’autre descend, comme s’ils regrettaient de ne pas avoir pu travailler ensemble. On notera que si le scénario ne nomme jamais les conspirateurs, ni ne désigne les raisons de cet attentat, la fin est elliptique : on voit Rolandi prendre Bondi, l’adjoint déloyal du procureur en chasse, et puis on apprendra que Bondi a été assassiné. Le réalisateur laisse le choix au spectateur, soit c’est Rolandi qui l’a exécuté, soit, ce sont les commanditaires de l’attentat qui s’en sont débarrasser.
Le commissaire Rolandi se fait sermonner par le procureur
Film à petit budget, l’interprétation n’est pas très enthousiasmante. Le personnage central c’est Rolandi, incarné par Claudio Cassinelli, il est assez peu connu en France. S’il a tourné sous la direction de réalisateurs prestigieux comme les frères Taviani ou Damiano Damiani, il a surtout été un acteur de films de série B. il décédera très jeune dans un accident d’hélicoptère survenu lors du tournage d’un film de Sergio Martino. Ici il est assez quelconque, affublé de lunettes qui estompent sa silhouette. A ses côtés il y a le génial Arthur Kennedy qui ne trouvait plus de travail à Hollywood et qui finissait sa carrière en Italie dans des poliziotteschi. Ici il est plutôt éteint. Franco Fabrizi est Balsamo, mais il perd la vie à la première bobine, il se fait remarquer en jouant avec le briquet de Rolandi. Plus intéressante est la prestation de Sara Sperati dans le rôle de la trouble et troublante Papaya. Il y a également le très bon Bruno Zanin dans le rôle du tueur myope et tourmenté, Franco Ludovisi. Et puis le très bon Francesco D’Adda dans le rôle du fourbe Bondi.
Papaya est assassinée sous les yeux de Rolandi
C’est donc un poliziottesco assez moyen, qui n’est pas inintéressant, mais qui n’est certainement pas très marquant. Certains le redécouvrent et veulent y voir une sorte de chef d'œuvre oublié. Ce n’est pas le cas, mais on passe un bon moment tout de même.
Après la trahison du substitut, le procureur Di Federico démissionne
Tags : Luciano Ercoli, Claudio Cassinelli, Arthur Kennedy, poliziottesco, terrorisme, mafia, corruption
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