• La porte s’ouvre, No way out, Joseph L. Mankiewicz, 1950

    La porte s’ouvre, No way out, Joseph L. Mankiewicz, 1950

    Joseph L. Mankiewicz était un homme de gauche, on se souvient de ses batailles contre Cecil B. de Mille pour la défense de la liberté d’expression au moment du maccarthysme quand l’extrême droite hollywoodienne John Wayne, Cecil B. de Mille ou encore Adolphe Menjou et Ward Bond avaient voulu l’évincer du syndicat des réalisateurs pour cause de tiédeur anticommuniste. Démocrate, s’il ne s’investit pas vraiment dans la politique, il ne craint pas toutefois d’affirmer ses convictions. No way out, traduit bêtement par La porte s’ouvre, s’inscrit dans la bataille pour les droits civiques qui va durer au moins jusqu’à la fin des années soixante, et l’acteur Sidney Poitier en sera un peu le symbole. Il est évident que le cinéma hollywoodien a été un élément important dans cette évolution. Si le combat antiraciste était nécessaire, il faut le voir aussi comme une forme de réaction contre l’HUAC dont le caractère raciste, antisémite pour tout dire, était assez mal masqué par la lutte contre les rouges. Aujourd’hui les oppositions entre le délinquant blond aux yeux clairs et le médecin noir généreux et dévoué, peuvent sembler un peu caricaturales et sans nuances. Mais sans doute étaient elles nécessaires dans un pays qui reste encore aujourd’hui travaillé par la question raciale. Evidemment avec le temps on est devenu un peu plus blasé, un peu comme si ce combat, gagné ou perdu n’avait plus d’importance. Ici Mankiewicz va s’appuyer sur le travail de Lesser Samuels qui avait écrit le remarquable scénario d’Ace in the hole de Billy Wilder. Mais le réalisateur retravaillera l’ensemble, notamment les dialogues comme à son habitude. N’oublions pas que ce projet était aussi soutenu par Daryl F. Zanuck qui prenait le combat « progressiste » à cœur. Malgré ses disputes récurrentes avec le producteur, Mankiewicz reconnaissait le talent de Zanuck. Bien que le message anti-racial soit dominant, c’est un vrai film noir. L’histoire se déroule quasiment dans un huis clos, et dans l’univers morbide de l’hôpital, comme si c’était à l’hôpital qu’on pouvait guérir du racisme. C’est cela qui va donner sa particularité au film. 

    La porte s’ouvre, No way out, Joseph L. Mankiewicz, 1950 

    Le docteur Brooks doit examiner le frère de Ray 

    Le jeune docteur Luther Brooks est très heureux d’intégrer l’équipe du docteur Wharton pour lequel il a beaucoup d’admiration, notamment parce que celui-ci juge les hommes non pas à la couleur de leur peau mais à leur implication dans le métier. Travaillant aux urgences, on va lui amener deux délinquants, les frères Ray et Johnny Biddle. Ils ont été blessés à la suite d’une fusillade avec la police. Ray est blessé à la jambe, mais il manifeste tout de suite un racisme dévergondé, refusant de se faire soigner par un « nègre ». Lorsque le docteur Brooks examine le cas de Johnny, il constate que celui-ci est mal en point. Il veut lui faire une ponction, mais Johnny meurt. Ray accuse Brooks de l’avoir tué pour se venger de lui. Pour tenter de se disculper de cette attaque injuste, Luther va demander une autopsie. Mais Ray, qui est son seul parent, s’y oppose. Wharton et Brooks vont tenter de fléchir Edie, l’ancienne épouse de Johnny pour obtenir cette fameuse autopsie. Elle refuse, mais troublée par les propos de Wharton, elle va voir Ray à l’hôpital. On apprend qu’Edie a trompé Johnny avec son frère, mais les deux se détestent cordialement. Edie plaide pour l’autopsie, mais Ray refuse toujours. En sortant de l’hôpital, elle rejoint les gens de Beaver Canal qui prépare une attaque contre le quartier noir. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que de son côté les noirs en font autant. L’affrontement est inévitable, et bientôt les blessés affluent à l’hôpital. Brooks et Wharton sont à la tâche, mais Brooks ayant reçu un crachat de la part de la mère d’un jeune blanc, il s’enfuit de l’hôpital. Désespéré, il va s’accuser de la mort de Johnny Biddle afin d’obtenir une autopsie. Les résultats de l’autopsie lui donnent raison ? Mais Ray ne veut toujours rien savoir. Avec l’aide de son frère sourd-muet il va s’évader après avoir assommé son gardien. Il retrouve Edie chez elle qui tente de fuir la ville. Il la menace et l’oblige à attirer Brooks dans un guet-apens. Edie arrive de se soustraire à la surveillance du sourd-muet et accourt pour tenter de faire quelque chose. Ray a piégé Luther et menace de le tuer avec le revolver qu’il a volé à son gardien. Mais Edie va le sauver en éteignant la lumière. Ray très affaibli va être arrêté tandis que Luther va tout de même soigner sa jambe malade qui lui a donné de la fièvre.

     La porte s’ouvre, No way out, Joseph L. Mankiewicz, 1950 

    Edie va tenter de discuter avec Ray 

    L’histoire est simple et plutôt bien menée, si le racisme est présenté dans ses détails comme le résultat d’une frustration, on verra qu’il n’épargne pas non plus la communauté noire. Tous les personnages sont ambigus, et même le jeune Luther Brooks qui veut à toute force réussir comme un blanc. L’approche est donc bien plus nuancée qu’on peut le croire de prime abord. Ray est un criminel de piètre envergure, on comprend qu’il vient d’un quartier pauvre et qu’il souffre de son infériorité sociale et intellectuelle. Edie est également fautive, elle a une vie un peu trop relâchée, misérable, coincée dans un quartier minable. Elle a trahi son mari avec son frère qui ne vaut pas un clou et elle culpabilise de sa lâcheté. Elle voit dans cette histoire une manière de se racheter en se rapprochant du corps médical qui est un échelon au-dessus de sa vie. Mais elle reviendra momentanément vers les siens, comme si elle n’arrivait pas à se détacher de ses origines sociales, puisant quelques raisons d’exister dans ce comportement grégaire. A-t-elle une notion du bien et du mal ? Peut-être, mais surtout elle veut se venger des humiliations qu’elle a subi non seulement de la part de Ray, mais aussi de sa famille. Elle se remémorera les cuites que ses parents prenaient avec les parents de Ray. Si elle et Ray sont pourris, c’est bien la rançon des conditions sociales. Certes il est probable que Ray soit un peu fou, mais il a des excuses, c’est un rejeté. Il se demande d’ailleurs pourquoi personne ne l’a jamais aimé. Ses petites combines sont seulement des manières de détourner son attention de ce qu’il est vraiment. Menteur et manipulateur, il a la science du langage – il parle même le sourd-muet – et à ce titre, il pense pouvoir toujours s’en sortir. Mais plus il agi et plus il s’enfonce. Il envie très nettement ce docteur noir qui a bien mieux réussi que lui, et il n’accepte pas cela. Il ne supporte pas jusqu’à la fin que Luther Brooks soit aussi compatissant, et con comprend bien que celui-ci tient là sa revanche. Tandis qu’Edie lui conseille de le laisser crever, Luther affirme que c’est son devoir que de le sauver, sauf qu’il y prend du plaisir. Il faut voir comment il serrera le garrot ! 

    La porte s’ouvre, No way out, Joseph L. Mankiewicz, 1950 

    Ceux de Beaver canal préparent un raid contre les noirs de la ville 

    On voit donc que si Mankiewicz n’évite pas tous les clichés, il évite au moins celui qui consiste à partager le monde en deux camps, celui du bien et celui du mal. Il y a tout de même en arrière-plan une logique de classe. Le corps médical est instruit, riche, même si Luther ne l’est pas encore tout à fait, et il peut se permettre un antiracisme militant. Les gens de Beaver canal sont rejetés, pauvres, ils vivent comme des rats dans des immeubles insalubres et bruyants. Mais contrairement à ce qu’un visionnage hâtif pourrait laisser penser, ils ont des qualités, par exemple ils sont solidaires, non seulement dans la famille de Ray, mais aussi dans son quartier. Ray le sait, et il n’hésite pas à jouer de ce sentiment de solidarité. Curieusement ils apparaissent aussi plus libres dans leur comportement. Edie ne se prive pas de dire ce qu’elle pense, elle est directe contrairement à Luther de à Wharton. On retrouvera d’ailleurs cette opposition dans The barefoot contessa. Maria mourra de sa franchise et de son manque de manière, inadaptée à la vie de la jet set faite d’hypocrisie et de mensonges. Pour moi c’est Edie le véritable pivot du film et le personnage le plus intéressant. 

    La porte s’ouvre, No way out, Joseph L. Mankiewicz, 1950

     Dégoûté, Brooks va se livrer à la police 

    Moins bavard que d’autres films de Mankiewicz, il y a une belle maitrise dans la réalisation. On est frappé par la stylisation des images qui empruntent énormément au film noir classique. Mais ce n’est pas étonnant, la photographie de Milton Krasner qui a beaucoup travaillé avec Fritz Lang ou Robert Siodmak, y est pour beaucoup. Les éclairages, les points lumineux placés au-dessus des têtes des protagonistes, c’est sûrement lui. L’ensemble est filmé principalement dans l’hôpital, ce qui donne un sentiment de claustrophobie assez prenant, qui plus est, dans l’hôpital il y a une partie « prison ». Mais Mankiewicz aère très bien sont récit. Les scènes de foule, les blancs d’un côté enfermés dans une sorte de ferraille, et les noirs de l’autre à vociférer sur des caisses de savon, suffisent à nous montrer la vacuité de ce combat racial. Mankiewicz avait l’habitude de dire que la mise en scène ne devait pas se voir et encore moins s’admirer, sous-entendant par là qu’elle était au service du film. Ici on a un rythme très élevé, renforcé par un montage très serré, et la multiplication des angles de prise de vue achève d’éloigner l’ensemble du théâtre filmé. Il y a de belles scènes, notamment celle qui voit Luther s’en aller dans les couloirs de l’hôpital après qu’on lui ait craché à la figure, ou encore les brutalités de Ray à l’endroit d’Edie qui a le front de lui échapper. 

    La porte s’ouvre, No way out, Joseph L. Mankiewicz, 1950 

    L’autopsie va prouver que le frère de Ray n’a pas été tué par Brooks 

    C’était le deuxième film que Mankiewicz tournait avec Linda Darnell avec qui il entretenait une liaison. On dit que c’est elle qui était le modèle de Maria dans The barefoot contessa, seul film qu’il réalisa avec un scénario complètement original, signé de lui, comme s’il avait eu quelque chose à se faire pardonner. Cette très belle femme qui a joué dans une grande quantité de films de qualité, est une victime d’Hollywood. Elle sombra dans l’alcoolisme et mourut à 40 ans dans un incendie. Elle est aujourd’hui injustement oubliée. Dans le rôle très complexe d’Edie, elle domine la distribution. Elle a à la fois la dureté des femmes de la rue, et une rouerie qui l’interpelle elle-même. Richard Widmark est le « mauvais » Ray Biddle. Il est évidemment excellent, mais on l’a vu une quantité incroyable de fois dans ce genre-là, chez Hathaway ou Negulesco ou Keighley. Il ne nous surprend pas, toujours à la limite de la rupture. Stephen McNally est le docteur Wharton, solide et impérial. Et puis il y a Sidney Poitier dont c’était le premier rôle au cinéma. En vérité il est encore un peu maladroit, un peu raide. Il s’améliorera par la suite et fera une très bonne carrière, avec toutefois beaucoup de films militants. Il était très jeune, à peine 23 ans, et il affirme avoir triché pour passer l’audition devant Mankiewicz lui-même. Tous les seconds rôles sont soignés, on reconnaitra au passage Osie Davis dont c’était le premier rôle. J’aime bien également la mélancolie du personnage de Gladys que joue Amanda Randolph, elle est la domestique de Wharton, mais si elle se rend compte de sa position, malgré la « bonté » du docteur, elle ne peut que se poser des questions sur ce qu’elle est. Lorsqu’Edie lui demande ce qu’elle fait de son jour de congé, elle répondra qu’elle va à la messe, au cinéma parfois et puis qu’elle cuisine. C’est un très beau passage, certainement pas naïf, mais émouvant. 

    La porte s’ouvre, No way out, Joseph L. Mankiewicz, 1950 

    Ray veut qu’Edie l’aide à piéger Brooks 

    Malgré les années qui ont passé, le film reste très prenant. Un des moins prétentieux de Mankiewicz, mais un des meilleurs aussi. Il n’a pas eu un grand succès, quoiqu’il n’ait pas perdu d’argent. Une partie de son échec s’explique par le fait que les Etats du Sud refusaient de le passer. C’est dire son importance. Efforçons-nous de le regarder au-delà de son message le plus apparent, regardons le d’abord comme un film noir. Il est bien bouclé sur lui-même. Au fil des années, il est devenu une sorte de classique et certainement un des films de Mankiewicz qui passe le mieux auprès des jeunes générations. On le trouve assez facilement sur le marché dans DVD fort convenable, mais il n’existe pas à ma connaissance de version Blu ray. 

    La porte s’ouvre, No way out, Joseph L. Mankiewicz, 1950 

    Ray a peur de mourir 

    La porte s’ouvre, No way out, Joseph L. Mankiewicz, 1950 

    Mankiewicz sur le tournage avec Linda Darnell et Sidney Poitier

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