• La vengeance de Scarface, Cry vengeance, Mark Stevens, 1954

     La vengeance de Scarface, Cry vengeance, Mark Stevens, 1954

    Glissons sur le titre imbécile en français. Mark Stevens est un petit peu connu des cinéphiles pour ses rôles dans le film noir, notamment les très bons The dark corner d’Henry Hathaway et The street with no name de William Kighley, le reste de sa carrière est généralement oublié. Ce qu’on sait encore moins c’est qu’il a été aussi le réalisateur de deux films noirs, Cry Vengeance et Time table. La première de ces deux réalisations et clairement démarquée de The big heat de Fritz Lang sorti l’année précédente et qui avait été un gros succès public, mais aussi une sorte d’événement cinématographique[1]. C’est à tel point qu’on a pu parler à propos de Cry vengeance de The big heat du pauvre. La principale différence, outre que Mark Stevens n’est évidemment pas Fritz Lang, c’est que le budget de Cry Vengeance est tout petit. Malgré cette parenté dans l’histoire, le scénariste Warren Douglas a introduit un certain nombre d’idées originales. Warren était un acteur qui s’est recyclé dans l’écriture de scénarios, d’abord pour des films à petit budget, puis ensuite pour la télévision. Ici il fera son apparition dans un petit rôle de policier qui tente de raisonner un homme enragé, travaillé par l’idée de vengeance et qui ne semble pas plus que ça tenir à la vie. 

    La vengeance de Scarface, Cry vengeance, Mark Stevens, 1954 

    Peggy se rend compte que Tino est préoccupé 

    Vic Barron sort de la prison de San Quentin où il a passé trois ans pour corruption. En vérité il a été victime d’un coup monté, et sa femme et sa fille sont décédées dans l’explosion de sa voiture. Lui-même a été partiellement défiguré. Pour lui le responsable de tous ses malheurs est Tino Morelli, un caïd qui s’est réfugié en Alaska, à Ketchikan, où il semble s’être rangé, ne s’occupant plus que de pêcher et d’élever sa petite fille. Vic a pour but de le tuer, mais pour cela il doit le retrouver. Ce n’est pas facile. Il achète un révolver, mais la police le surveille. Il va retrouver Lily, une entraîneuse de bar qui l’aime plus ou moins en secret, mais qui est consciente de sa déchéance. Elle vit maintenant avec Roxey, un tueur aux ordres du caïd local, Nick. Vic va tout de même apprendre que Torelli se cache à Ketchikan. Il va s’y rendre. Mais Nick envoie sur ses pas Roxley pour tuer Morelli, en supposant que ce crime sera mis ensuite sur le compte de Vic. Parallèlement il fait envoyer un télégramme à Morelli pour le prévenir de l’arrivée de Vic. Celui-ci arrive sur place et fait la connaissance de Peggy qui tient une sorte de taverne. Entre Peggy et Vic, une sorte de courant va passer. Elle l’amènera visiter un lieu sacré des Amérindiens qui, selon elle, invite à la méditation et à relativiser les aléas de la vie. Elle le dissuade cependant de poursuivre sa vengeance, et elle est fort étonnée d’apprendre que Morelli est en fait un truand de haut vol. la police de Ketchikan va être elle aussi alerté à la fois de la venue de Vic et du fait que Morelli se cache sous le nom de Corey, elle comprend que cela peut avoir des conséquences dramatiques. En fait ce n’est pas Vic qui va déclencher le drame, mais bien Roxley. Il assassine Torelli, puis il règle son compte à la pauvre Lily. Mais celle-ci avant de mourir va avoir le temps à la fois de prévenir Vic et d’écrire une lettre de confession qui le dédouane des crimes de Roxley. Vic se lance aux trousses de Roxley et le tue. La police ne peut que constater les dégâts. Avant de mourir Roxley avoue que c’est lui qui a posé la bombe sous la voiture de Vic. On comprend que celui-ci va enfin se poser et faire sa vie avec Peggy qui a pris en charge la fille maintenant orpheline de Morelli.

     La vengeance de Scarface, Cry vengeance, Mark Stevens, 1954 

    Vic tente d’obtenir des renseignements auprès de Lily 

    On voit donc que le scénario a repris certains tics de The big heat : par exemple le personnage de Lily est décalqué de celui de Debbie, et celui de Roxley du violent Stone. De même Vic Barron est une sorte de Bannion en plus enragé encore. Et puis ce n’est pas Lily qui est défigurée, mais Vic. Sinon le point de départ est le même un flic dont la famille a été détruite par l’explosion d’une bombe qui ne cherche qu’à se venger. De nombreuses différences vont être introduites à partir de cette trame. Vic Barron va connaître la rédemption : Peggy est sa possibilité de rachat. Ensuite il va poursuivre à tort Morelli, croyant que c’est lui qui a décidé de la mort de sa femme et de sa fille. Or ce personnage est intéressant parce qu’il est ambigu et que lui aussi cherche à se racheter en s’occupant de sa fille. Il n’y arrivera pas. Cela permet de dégager deux thèmes principaux : d’une part la vacuité de la vengeance, quoique celle-ci soit une mécanique difficile à enrayer, et ensuite l’opposition entre une vie simple, proche de la nature en Alaska, et la dégénérescence de la vie sociale à San Francisco. C’est un thème récurrent du film noir que cette opposition entre la ville corrompue et une nature plus ou moins préservée. Le symbole sera ce lieu sacré des Amérindiens, ou plus précisément ces magnifiques totems sculptés qui représentent une forme de sérénité. Même le caïd Morelli sera transformé par cette insertion locale. Il sera tellement transformé qu’il n’aura même plus la force de se défendre lorsque sa vie sera en danger. On a même l’impression qu’il accepte sa mort pour se laver de ses péchés. 

    La vengeance de Scarface, Cry vengeance, Mark Stevens, 1954 

    A Ketchikan, Vic repère Johnny qui le suit comme son ombre 

    Le scénario joue sur des impossibilités. D’abord, il y a l’impossibilité pour Lily de sortir de sa condition de femme soumise. Il est trop tard pour elle, comme il est trop tard aussi pour Morelli. Roxley non plus ne peut pas changer. Le tueur albinos est un garçon haineux, sans autre ressource que de se consacrer au mal, il prend un plaisir sadique à son « travail ». Mais si on peut regretter que Lily et Morelli soient condamnés, ils ont en effet tenté de s’écarter de leur pente naturelle, il est difficile de trouver des excuses à Roxley qui ne manifeste aucun remord. Vic par contre va saisir la possibilité qui lui sera offerte par Peggy pour modifier sa vision de la vie. C’est cette prise de conscience qui est ainsi récompensée. Celle-ci est peut-être suscitée par Peggy, mais elle est déclenchée surtout par la relation qu’il noue avec la petite fille de Morelli. On voit que ce sont les femmes qui jouent un rôle important et qui finalement représentent une forme de raison. Lily comme Peggy vont mettre en garde Vic contre ses tendances suicidaires et son obsession de vengeance. Elles représentent donc la vie qui continue par-delà les douleurs. Lily est une femme faible, elle n’a pas su se débarrasser de l’emprise de Roxley. Elle en mourra. Peggy est plus forte, elle ne dépend de personne, c’est elle qui représente l’avenir, aussi bien celui de Vic que celui du genre humain. 

    La vengeance de Scarface, Cry vengeance, Mark Stevens, 1954 

    Vic est très étonné de voir encore Lily 

    La réalisation est assez satisfaisante. Bien rythmée, elle utilise avec intelligence les décors naturels de Ketchikan. L’histoire se passe en été, au moment où la lumière dans cette région est intense te la nature plus exubérante. Mark Stevens connait ses classiques et exploite plutôt bien l’obscurité des espaces clos comme le bar de Peggy par exemple. Il utilise aussi l’écran large – format 1,85 :1 – ce qui est en soi une rupture avec le cycle classique du film noir, mais qui s’adapte bien à une utilisation des décors naturels de l’Alaska. La photo n’est pas exceptionnelle, elle est même assez terne, sans doute parce qu’elle vise trop ostensiblement à donner une allure documentaire à l’ensemble. Les scènes de violence révèlent très bien le caractère de Vic et de Roxley dans leur réalisme. Les deux hommes sont les pendants d’un même mal, sauf évidemment que l’allure tourmentée de Vic lui donne en quelque sorte des excuses. C’est pour cela que la caméra s’attarde sur les cicatrices de son visage, mais aussi sur son allure renfrognée. 

    La vengeance de Scarface, Cry vengeance, Mark Stevens, 1954 

    Roxey veut tuer Tino 

    La distribution est intéressante bien qu’adaptée à un petit budget. Mark Stevens incarne Vic Barron, avec une allure terriblement tourmentée. On peut juger qu’il fait un peu trop la gueule.  Il manifeste une raideur qui au fond va assez bien avec son personnage. Les femmes sont sans doute plus intéressantes. Martha Hyer qui n’a eu que rarement des premiers rôles, bien qu’elle fût l’épouse du producteur Hal B. Wallis, et encore dans des films à petit budget, est l’énergique Peggy. Elle est très bien. Mais il y a surtout Joan Vohs qui incarne Lily avec beaucoup de finesse et éclipse un peu tout le monde. Elle a très peu tourné dans des films importants, et le plus gros de sa carrière se réalisa à la télévision. Les autres acteurs sont bons également, comme Douglas Kennedy dans le rôle de Morelli ou Skip Homeier dans le rôle du tueur albinos. Accordons une mention spéciale à Cheryl Callaway qui, à l’âge de sept ans, interprétait Marie, la fille de Morelli. Cette enfant qui avait commencer sa carrière à l’âge de 5 ans la poursuivra jusqu’à la fin des années soixante principalement à la télévision. Elle a une présence très forte et apporte beaucoup à la crédibilité des sentiments que Vic va découvrir en la prenant dans ses bras ou en la  faisant jouer. 

    La vengeance de Scarface, Cry vengeance, Mark Stevens, 1954 

    La fuite n’est plus possible pour Roxey 

    Evidemment ce n’est pas un chef-d’œuvre. Mais c’est un bon film noir qui a bien passé les années. Plusieurs raisons nous incitent à la voir : d’abord parce qu’en se démarquant de The big heat, il renforce le courant du film noir qui va inexorablement vers une présentation plus crue et plus réaliste de la violence à l’écran, ensuite parce que l’utilisation de l’écran large va amener peu à peu le film noir à utiliser plus intensivement les décors extérieurs, renforçant ainsi l’aspect naturaliste du film noir. Olive en a récemment tiré une copie Blu ray très propre mais qui malheureusement ne comprend pas de sous-titres en français. Incidemment c’est un film qui est vivement recommandé par Bertrand Tavernier.



    [1] http://alexandreclement.eklablog.com/reglement-de-comptes-the-big-heat-frtiz-lang-1953-a119389638 

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